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Élections législatives 2024 : dans les Côtes-d’Armor, certains choisissent le RN, d’autres l’entraide

Senven-Léhart et Trémargat (Côtes-d’Armor), correspondance privée.

Des rangées de pierres tombales et un silence assourdissant. Arrivée à Senven-Léhart, commune agricole de 239 habitants dans le 4e Circonscription des Côtes-d’Armor, la vie est comme sur pause. Le seul restaurant du village a fermé ses portes il y a deux ans et personne n’y est venu depuis. A quelques mètres de là, l’enseigne de l’ancien bar tabac Chez Michelle s’efface chaque jour un peu plus. Seul le cimetière semble offrir d’autres perspectives que de rester chez soi.

Lors des élections européennes, le Rassemblement national (RN) a été élu avec 55,81% des voix. Soit le score le plus élevé de la région, proportionnellement ; 48 bulletins pour la liste de Jordan Bardella, une poignée pour Renaissance et 87 abstentions sur les 177 enregistrées. Des résultats qui témoignent de la percée du RN dans une partie de la France, qui, jusqu’à présent, avait mieux résisté qu’ailleurs aux sirènes de l’extrême droite.

Un village en déclin entre apathie et amertume

Passé sur le bord de la route en tenue de travail, Jean-Louis, la soixantaine, ne semble guère bouleversé par la tournure des événements. «J’ai voté à droite, résume cet employé municipal, qui a passé ici toute sa vie. C’est une habitude que j’ai développée au fil du temps. Mes frères, ils votent RN. » Et pour les élections législatives ? « J’irai voter mais je ne sais pas pour qui. Je n’ai pas encore reçu les programmesjustifie-t-il avant de parler de l’état de la ville. On a vu l’école disparaître dans les années 1990 et, aujourd’hui, c’est au tour des fermes laitières de fermer les unes après les autres. »

L’immigration et la criminalité ne font pas du tout partie du paysage, mais un mélange d’apathie et d’amertume imprègne ce village en déclin. Il y a un tiers d’habitants de plus de 60 ans et un taux de chômage élevé. Dans les rues désertes, il y a un distributeur de baguettes avec, à côté, une petite pancarte en soutien à l’hôpital public.

Derrière le bureau de la mairie, Gilbert Burlot passe un dernier coup de fil avant de fermer boutique. Élu pour vingt-huit ans, l’octogénaire ne souhaite plus parler. « La France est au bord du gouffre» lâcha-t-il malgré tout. On a fait trop de travail social, les jeunes ne veulent plus travailler. »

Face au bâtiment municipal, seules deux affiches sont apposées sur les panneaux prévus à cet effet : celle de Cyril Jobic sous l’étiquette Renaissance et celle de la candidate du Nouveau Front populaire (NFP), en campagne pour sa réélection. Comme si la victoire de Noël Lude, figure locale du RN, était déjà acquise dans la petite ville costaricienne. Murielle Lepvraud, députée (FI) sortante, n’est pas surprise : « Dans de nombreuses communes rurales comme Senven-Léhart, il n’y a plus de commerces. Les services publics disparaissent un à un. Même si nous avertissons depuis des années, cela continue. Les habitants sont en colère et c’est mal géré. Le RN est un vote du désespoir. »

A Trémargat, sur 176 habitants, seules cinq voix sont allées à l’extrême droite

Une fatalité ? Il ne faut pas en croire les résultats d’un autre village situé à une vingtaine de kilomètres de là, dans la même circonscription. Bienvenue à Trémargat, où la digue républicaine est fermement défendue. Sur 176 habitants, seules cinq voix sont allées à l’extrême droite lors des élections européennes, avec un taux de participation bien supérieur à celui de Senven-Léhart. Les Verts arrivent en tête avec 51,40% des voix, devant FI et la liste de Raphaël Glucksmann.

Pour le maire sans étiquette François Salliou, c’est le résultat d’un travail de longue haleine entamé à la fin des années 1970 : « A l’époque, un groupe de jeunes agriculteurs dont je faisais partie est venu s’installer ici. Nous avons commencé à participer à la vie politique du village, à investir dans des entreprises, à construire des logements sociaux, une ferme pédagogique… Il y a une dynamique qui s’est créée et qui continue de fonctionner depuis. »

Agriculture en circuit court, coiffure à domicile, menuiserie, location de gîtes… En témoignent les nombreuses associations et entreprises implantées à Trémargat ou le projet participatif qui, ce jour-là, vise à agrandir l’épicerie du village. « La politique de la municipalité est d’accueillir « , résume l’élu, qui devrait céder lors des prochaines élections municipales, une coutume à Trémargat.

Les réfugiés y sont les bienvenus, tout comme les jeunes urbains à la recherche d’une nouvelle vie. Pour lui, écologie et enjeux sociaux vont de pair. «  Il s’agit d’être solidaires les uns avec les autres, c’est ce qui nous rend riches”il ajoute.

Pour faire fonctionner ce modèle alternatif, la municipalité se débrouille avec les moyens du bord, dans un territoire touché par la précarité. Selon l’Observatoire territorial, le revenu disponible médian par unité de consommation était de 18 120 euros par an en 2020, contre 22 000 euros à Rennes.

Malgré le dynamisme de ses habitants, le village fait face à des problèmes similaires à ceux de Senven-Léhart. Le manque de moyens dont souffre la commune et l’éloignement des lieux de pouvoir n’arrangent rien. « Le milieu rural est abandonnéjuge Jérôme, rencontré lors de l’ouverture du Tremargad Kafe, l’un des principaux lieux de convivialité du village. Il y a des problèmes avec les hôpitaux, les écoles, les transports… Il est impossible de se déplacer sans voiture. »

Il a donné sa voix au FI aux élections européennes et déposera un bulletin NFP dans les urnes les 30 juin et 7 juillet pour faire barrage à l’extrême droite. « Pendant un moment, j’ai arrêté de voter. Je ne regardais même plus les informations depuis le Covid, j’étais dégoûté par la pression sociale et médiatique. Mais j’ai regardé les sondages un peu avant les élections, ça m’a encore motivé. Je me dis qu’on a trop abandonné. Et, en même temps, c’est dur : il suffit de voir l’échec de la mobilisation contre la réforme des retraites… »

Quoi qu’il en soit, pour Murielle Lepvraud, Trémargat reste un exemple précieux, en Bretagne, terre modérée de tradition chrétienne-démocrate, qui a vu le RN décoller aux élections européennes. « J’ose quand même penser que ce n’est pas un vote racisteestime l’élu. Même si on commence à entendre ici et là des propos décomplexés. Nous voyons des actes de violence, des graffitis sur des mosquées, des dégâts antisémites… Ou peut-être que c’est tout simplement difficile à imaginer. »

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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