De plus en plus tendance, l’espresso Martini régnera-t-il sur l’été âpre ?
Il y a un temps pour tout, même pour l’amertume. En ce début d’été avec la sale gueule d’octobre, crise politique supplémentaire, nez cassé de notre meilleur joueur de l’Euro et 17 euros la barre de beurre avec une inflation sans fin, avouons que le cœur n’est pas totalement en fête.
Pas même le foie. Tout comme les bières blondes ont cédé la place aux IPA amères, l’amertume s’invite peu à peu dans le monde des cocktails. Avec pour fier porte-drapeau : l’espresso Martini. Autrefois quasi confidentiel, le verre chic, voire un peu snob, se retrouve de plus en plus dans les bars, entre pintes et Aperols plus consensuels. Au Mouton noir, à Montpellier, le gérant Tom le remarque : « on l’a mis à la carte après avoir entendu les clients nous le demander. Ce n’est pas un raz-de-marée comme on l’a vu avec le spritz, mais au bout d’une certaine heure, il est sur le podium des alcools les plus demandés. »
Un cocktail loin des habitudes de consommation françaises
Rien n’indiquait que la liqueur de café deviendrait à la mode. Au contraire, les Français penchent traditionnellement vers des goûts beaucoup plus régressifs en matière de mixage. « La forte tendance des cocktails est sucrée et fruitée. C’est pourquoi le mojito est le numéro 1 indéniable », affirme Julien Veyron, directeur des solutions clients chez NielsenIQ et spécialiste des alcools, citant également l’incontournable spritz ou la piña colada comme détenteurs indiscutables du top 10.
L’espresso Martini n’est que 30ème, loin derrière. Néanmoins, « il progresse constamment dans ce classement – et en termes de ventes. Les liqueurs de café comme la vodka augmentent leur part de marché», poursuit le spécialiste. Et si l’on voit de nombreuses utilisations de l’alcool russe, la liqueur de café « ne compte pas 36 exploitations. »
« Après tout, les mojitos, j’en ai assez donné »
Une progression jusqu’au palais de Laura, 34 ans, et qui désormais ne reste plus au bar sans son expresso Martini au comptoir. Pour cette experte de la vie nocturne, qui buvait des bateaux pleins de mojitos à la vingtaine, il faut aussi évoluer avec son temps : « de même que je trouvais la manzana sympa à 18 ans et sale à 28 ans, on se tourne vers des goûts moins sucrés, que ce soit dans l’assiette ou dans l’assiette. dans le verre. Cela s’appelle simplement grandir. » Même constat pour Thomas, 38 ans : « Les mojitos et les Jaegers, j’en ai assez donné. Ensuite, c’est bon, un cocktail un peu plus fort en goût, à savourer, à apprécier, plutôt qu’à descendre en quelques gorgées. Autant prendre une pinte, sinon. »
Mais aussi mature que soit l’espresso Martini, il véhicule une morale très enfantine : faites de votre différence une force. « C’est sûr qu’il n’a pas le même goût que la plupart des cocktails, mais c’est aussi ce que recherche de plus en plus le consommateur : se démarquer dans ses choix », souligne Clémentine Hugol-Gential, professeure et spécialiste des enjeux alimentaires contemporains à l’Université de Bourgogne.
Amer, le goût du spécialiste
Surtout avec l’amer, le goût tendance de la mode, explique-t-elle. « Aujourd’hui, on s’éloigne des goûts régressifs ou trop simplistes. Le Bitter, par son côté assez dur pour les non-initiés, montre une expertise du consommateur, un savoir, il est socialement valorisé. » Tom voit une autre évolution : « la population vieillit, il y a moins d’étudiants, plus de trentenaires, voire de quarante ou cinquante ans au bar, même dans une ville jeune comme Montpellier. Il y a évidemment d’autres goûts à satisfaire. »
Une différenciation d’autant plus indispensable que le monde du cocktail vit sa révolution, constate Julien Veyron : « la bière n’a pas retrouvé ses volumes de 2019, où cocktails et spiritueux avaient dépassé leurs performances d’avant la pandémie. » Clémentine Hugol-Gential précise : « avec les confinements, les terrasses ont pris une valeur plus symbolique et la consommation d’alcools différents et plus techniques a explosé. »
Un cocktail « tendance, mais pas encore populaire »
Coincés dans leurs 15 mètres carrés, les confinés transformés en auto-barmaids ont aussi appris leurs propres recettes. « Le mojito est facile à faire, et on a toujours du rhum à la maison quand on est étudiant », raconte Noémie, en cinquième année de médecine. La liqueur de café est plus rare. Et maintenant c’est ma règle : au bar, je ne consomme que ce que je ne consomme pas à la maison. »
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Elle n’est pas la seule. Selon la dernière étude NielsenIQ sur les cocktails préférés des Français, 45 % des consommateurs sont prêts à essayer de nouveaux cocktails dans les bars. De là à imaginer l’espresso Martini régnant en maître sur l’été ? «Ça progresse, mais ça reste un alcool de spécialité», estime Julien Veyron. On observe des ventes le soir, tard, dans des clubs ou dans des bars spécialisés. Cela devient tendance, mais n’est pas encore populaire. » Allez, malgré le temps maussade, l’été risque d’être encore doux. Phew!