De l’Espagne à la Manche, la tomate au bord d’une migration sans précédent, sous l’effet du réchauffement climatique
Si elle est (souvent) toute rouge dans nos assiettes, la star de l’été craint aussi les coups de soleil. Locales ou importées du Maroc, d’Espagne ou d’Italie, les tomates décorent les étals français toute l’année, défiant sans vergogne les règles des saisons. Mais avec le réchauffement climatique, la tomate devient de plus en plus difficile à cultiver dans le sud de l’Europe. Même en France, plusieurs études suggèrent qu’il faudra s’adapter pour continuer à les cultiver, dans vingt, trente ou cinquante ans, comme de nombreuses autres cultures.
Tomates des champs, des serres, des petits maraîchers ou des grands producteurs, préparées en salades ou en sauces… Toutes sont d’une manière ou d’une autre vulnérables aux aléas d’une météo de plus en plus chaotique à mesure que le climat se réchauffe, sous l’effet des gaz à effet de serre émis par les activités humaines.
« Quel que soit le type de culture, la tomate est irriguée »explique François Lecompte, directeur adjoint du laboratoire Plantes et systèmes de culture horticoles de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Ainsi, les zones touchées par des sécheresses répétées sont les plus vulnérables, selon qu’elles peuvent compter ou non sur l’aide alimentaire. disponibilité de l’eau pour l’irrigation. Du côté de la température, « au-delà de 32-34°C, il y a des problèmes de nouaison (transition de la fleur au fruit)risques de brûlure des fruits et de nécrose apicale », » poursuit le scientifique, qui cite également l’exposition à de nouveaux parasites ou maladies, ou encore des pollinisateurs étourdis par la chaleur.
Après un été 2022 marqué par ces conditions chaudes et sèches, La production française de tomates pour le marché du frais a ainsi a diminué de 3% par rapport à 2021, malgré une augmentation de 7% des surfaces cultivées. « Tous les bassins de production sont concernés, à des degrés divers », détaille le rapport annuel de France Agrimer (PDF)rappelant que plus il fait chaud, plus les Français consomment de tomates. L’été suivant, c’est le sud de l’Europe qui suffoque, de la Grèce à l’Espagne. La production de ces pays souffre à tel point qu’à l’été 2023, les distributeurs espagnols se tournent vers les producteurs belges pour remplir leurs rayons, explique le média flamand Actualités de la VRT le responsable de la coopérative belge BelOrta. « L’Allemagne nous a également acheté davantage de tomates parce qu’elle ne pouvait plus les obtenir auprès des producteurs espagnols ».
En Belgique, comme aux Pays-Bas, toute la production de tomates se déroule sous serre. La France, elle, a un modèle mixte : une majorité sous serre, destinée à la consommation de tomates fraîches, et une partie en plein champ, dont l’essentiel est transformé, en sauce, en conserve ou encore dans nos pizzas et plats préparés. Ces derniers, en plein air, sont logiquement moins protégés des aléas climatiques.
« L’été devient peu à peu hostile à la tomate en Espagne et dans le sud de la France. Les côtes de la Manche, au contraire, acquièrent un potentiel important »L’agroclimatologue Serge Zaka a récemment écrit sur X,auteur d’une étude sur l’évolution de la « saisonnalité » et « biogéographie » de cette tomate de champ. Un modèle pour les années 2060-2090 montre que « L« L’aire de répartition de la tomate tend à s’étendre vers le Nord et à disparaître vers le Sud avec la désertification progressive de l’Espagne. »
Pour l’instant, les producteurs français ne savent pas « Problèmes répétés d’accès à l’eau » On observe un phénomène observé dans d’autres régions méditerranéennes, se réjouit le directeur de l’organisation interprofessionnelle des tomates destinées à la transformation (Sonito), Robert Giovinazzo. Les trois quarts de la production française se font le long de la vallée du Rhône, entre Lyon et le delta de la Camargue, explique-t-il. « Nos capacités d’irrigation ne sont pas comparables à celles d’une région comme l’Andalousie. Pour que nous n’ayons plus d’eau, il faudrait qu’il n’y ait plus de glaciers dans les Alpes pour alimenter le Rhône. » Pourtant, la ressource est menacée, car les glaciers alpins ont perdu 70% de leur volume depuis 1850, et pourraient même disparaître d’ici la fin de ce siècle, selon le scénario le plus pessimiste du GIEC. (PDF).
En attendant que le nombre de conflits d’usage explose le long du fleuve qui alimente les villes, les usines, les champs et les centrales nucléaires, les producteurs de tomates de plein champ travaillent « en France comme ailleurs aux systèmes d’irrigation qui permettent une meilleure gestion de l’approvisionnement en eau, comme l’irrigation au goutte-à-goutte, ou sur « la possibilité de développer le photovoltaïque », c’est-à-dire protéger les cultures avec des panneaux solaires. Prévoient-ils de remonter à terme la vallée du Rhône ? « Nous y réfléchissons. Nous y réfléchissons de près et nous savons que nous devrons le faire un jour, mais nous ne sommes pas encore dans cette situation. »soutient le réalisateur de Sonito.
L’ambition, pour l’instant, est d’accroître la culture française de ces tomates destinées à la transformation, minuscule en comparaison de ses voisins. La France produit entre 160 000 et 180 000 tonnes par an, contre près de 6 millions de tonnes en Italie et jusqu’à 3 millions de tonnes en Espagne. « 90% des tomates consommées en France proviennent de l’étranger, dont 85% d’Italie et d’Espagne », Robert Giovinazzo explique plus en détail. La France saura-t-elle compenser, à plus long terme, les difficultés du Sud ? Existe-t-il un risque de changement climatique, comme le redoutait le magazine, en 2023 ? Temps face à l’effondrement de la gigantesque production californienne, « menacer le ketchup » ? Les présidents de Sonito et de la Chambre d’agriculture Provence-Alpes-Côte-d’Azur, André Bernard, ambitionnent en tout cas d’augmenter la part des tomates françaises destinées à la transformation consommées en France. De 10 % aujourd’hui à 25 % d’ici 2030, via une stratégie visant notamment à intégrer cette tomate de plein champ avec d’autres cultures.
Le réchauffement climatique ne se manifeste pas seulement par la chaleur et la sécheresse. Les inondations, les tempêtes ou encore l’alternance chaotique de périodes sèches et de fortes pluies malmènent les cultures et désarment les agriculteurs les plus aguerris. Y compris les maraîchers qui produisent les tomates que l’on trouve sur les étals. Celles-ci sont, contrairement aux tomates destinées à la transformation, très largement cultivées sous serre, où la chaleur, la lumière et l’humidité peuvent être régulées à volonté.
Chercheur à l’unité Ecosys de l’INRAE, Kévin Morel travaille depuis longtemps sur le maraîchage périurbain en Ile-de-France : dans des régions moins exposées aux étés étouffants, « Il y a des rafales de vent plus régulières aujourd’hui, des épisodes de grêle plus fréquents… Des conditions extrêmes qui peuvent détruire une serre », il explique. « Si nous voulons planifier les années à venir, il est essentiel de ne pas nous contenter de considérer la sécheresse. » Et ce même si l’arrière-saison offre de nouvelles opportunités, comme ici, chez un maraîcher du Val-d’Oise capable, en 2022, de proposer des tomates fraîches en octobre à ses clients.
À l’automne 2023, en Bretagne, la tempête Ciaran éclate « presque 50 000 m2 de toitures » sur les serres de la coopérative Savéol, expliquait en avril à l’AFP son président, Pierre-Yves Jestin. Heureusement pour le leader français de la tomate, « elle est simplement tombée dans l’interculturel ». Mais avant cela, la région qui domine la production de tomates fraîches « manque de lumière, (les producteurs ont) « Les agriculteurs ont eu du mal à rattraper le retard pris au printemps. Les fermes ont également été touchées par des virus »a-t-il déclaré à l’AFP, citant des pertes de production de « 3 000 à 5 000 tonnes » au cours de l’année.
Cultiver des cultures sous abri n’est pas sans risque, confirme Kévin Morel, notant toutefois « Il faudrait voir davantage de cultures sous abris à l’avenir, afin de mieux contrôler les conditions. Mais cela pose la question du coût de l’énergie »il insiste. UUne tonne de tomates cultivées sous serre chauffée en France émet autant de CO2 qu’une tonne de tomates de saison transportée par camion depuis l’Afrique du Sud, nous l’expliquons dans cet article de notre rubrique Vrai ou Faux. « Allons-nous continuer à cultiver des tomates en plein été à Perpignan, coûte que coûte, en déployant une énergie colossale pour y parvenir ? Peut-être est-il plus pertinent de suivre les évolutions du climat et de cultiver des tomates ailleurs pendant cette saison » quitte à le faire dans le Sud au printemps et à l’automne, poursuit l’agronome, avant de conclure : « Si pour s’adapter au changement climatique nous commençons à consommer plus d’énergie, ce n’est pas la solution. C’est une mauvaise adaptation.