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Dans l’Yonne, l’amertume des électeurs du Rassemblement national après la défaite de l’extrême droite au second tour

Bien que le parti d’extrême droite ne soit finalement arrivé que troisième au niveau national dimanche, il a néanmoins remporté les trois circonscriptions du département.

Christelle sert un premier café aux habitués tôt ce matin, mardi 9 juillet. L’ambiance est toujours très calme au bar-restaurant Le Balcon, repris il y a six mois par l’habitant de longue date de Brienon-sur-Armançon (Yonne). Une ambiance bien différente de celle de dimanche soir, lors de l’annonce des résultats des élections législatives. « Il y avait beaucoup de clients. Certains disaient : « Nous avons évité le pire », mais d’autres disaient que nous étions en difficulté. »raconte Christelle.

Dans cette commune de 3 000 âmes, comme dans le reste de la France, le succès du Nouveau Front Populaire au second tour, suivi par le bloc présidentiel constitue un surprise. Le Rassemblement national et ses alliés, en tête une semaine plus tôt, sont relégués à la troisième place après une série de retraits de ses adversaires et appelle à bloquer l’extrême droite.

Si l’extrême droite a raté son pari d’une entrée à Matignon, elle a réussi, dimanche soir, à conquérir un peu plus des territoires de l’Yonne. Les trois circonscriptions du département sont aujourd’hui aux mains du RN ou de ses alliés, contre deux jusqu’alors. La deuxième circonscription, celle qui comprend Brienon-sur-Armançon, Sophie-Laurence Roy a été choisie de justesseun candidat de Ciott, allié au Rassemblement national. Le député sortant André Villiers (Horizons-Ensemble)au Palais-Bourbon depuis 2017, a été évincé par un peu moins de 400 voix (49,58% des suffrages exprimés).

Brienon-sur-Armançon, commune rurale traversée par le canal de Bourgogne, a voté pour l’extrême droite : Sophie-Laurence Roy y a recueilli 64,56% des voix dimanche. A chaque scrutin depuis la présidentielle de 2022, le RN n’a cessé de grimper en tête dans la commune. « Je ne sais pas vraiment pourquoi nous votons majoritairement pour le RN ici », glisse Christelle, qui elle-même a soutenu le candidat Ciottiste au second tour. Un choix guidé par une « envie de changement » face au député sortant, même si la gérante vote habituellement à gauche. Elle avait en effet choisi le Nouveau Front Populaire au premier tour.

Affiches électorales aux abords de la mairie du centre de Brienon-sur-Armançon (Yonne), le 9 juillet 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Philippe, assis sur le balcon, un café à la main, est furieux depuis deux jours. Ce retraité de 64 ans, qui travaillait dans une scierie aujourd’hui fermée, a voté à gauche « avec le temps ». « À force d’être pris pour des imbéciles, à force d’être déçus par la gauche et la droite, je me suis dit qu’il fallait laisser sa chance au RN », souffle le Brienonnais aux yeux bleus et à la carrure imposante. Sa réaction, face au blocage qui bloque l’extrême droite si proche du pouvoir, est catégorique : « Les autres ont voulu bloquer et ont retourné les gens. Dans deux semaines, on se retrouve troisième. Ça me dégoûte. ».

Pour le retraité, « C’est la peur qui a provoqué le blocus. » Une réaction qu’il a du mal à comprendre car, à ses yeux, le RN n’est plus aussi « dur » que lorsqu’il était dirigé par Jean-Marie Le Pen. Nombre de candidats du parti ont pourtant été pointés du doigt lors de la récente campagne pour avoir tenu des propos racistes, xénophobes, complotistes ou encore climato-sceptiques.. « DDans le groupe, il y a des moutons noirs »le résident reconnaît. Cependant, il considère que le parti d’extrême droite est le seul qui peut apporter « changement ».

A ses côtés, Jean-Luc raconte avoir déchiré sa carte d’électeur dimanche, après la défaite du RN. Le quinquagénaire est un électeur de longue date de l’extrême droite, tout comme sa famille. En situation de handicap, il s’accorde avec « Tous » Ce que propose le parti, du pouvoir d’achat aux discours xénophobes opposés à l’immigration. Pour lui, les retraits républicains sont une injustice.

« Les gens ont suivi les bonnes paroles comme des moutons. Je ne suis pas d’accord avec le fait de le bloquer. C’est un peu une victoire volée. »

Jean-Luc, électeur RN habitant Brienon-sur-Armançon

à franceinfo

Jean-Luc craint que ce scénario se répète lors des prochaines élections. « À chaque fois, ça se passe comme ça, il fustige. Nous votons RN, nous avons beaucoup de voix au premier tour, mais ensuite, les moutons rentrent au bercail. À tout le moins, note-t-il, le RN sera désormais le parti le plus représenté à l’Assemblée nationale.

Dans les rues de Brienon-sur-Armançon, de nombreux habitants, contrairement à Jean-Luc et Philippe, préfèrent ne pas trop parler de politique. Certains se sont abstenus, d’autres ont voté mais « pas pour la RN »Une habitante, rencontrée dans un supermarché Leclerc avec son mari, souhaite rester anonyme afin de donner son témoignage. « Avant, je votais juste. » souligne la sexagénaire. Cette fois, elle n’a pas choisi André Villiers mais son rival de Ciott.

Brienonnaise évoque la délinquance, ainsi qu’une perte des traditions. Elle tient à son tour remarques anti-immigration. « EJe suis loin d’être le seul à penser cela. L’alliance anti-RN, lors des deux tours, le remet en cause. « Je comprends très bien que la gauche soit contre le RN. Mais cela m’a étonné que tant de gens à droite soient contre », est-ce que ça se développeIl y a eu des alliances entre des partis qui étaient complètement opposés. On se moque un peu de nous.

Joé Gruet, mécanicien automobile dans un garage proche du supermarché, est du même avis. « Ceux qui se sont retirés ont demandé au peuple de voter contre le RN. C’est une escroquerie politique. L’opinion publique était différente », a-t-il ajouté. affirme l’employé de 33 ans, qui a voté pour Sophie-Laurence Roy.

Joé Gruet dans le garage où il travaille, le 9 juillet 2024 à Brienon-sur-Armançon (Yonne). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Un peu plus loin dans la ville, le long de Sur les voies ferrées, Lucas Créneau et Frédéric Quatre travaillent au sein d’une imposante coopérative agricole. Très vite, ils confient leur déception. « On nous a encore volés » dénonce le premier, un commerçant de 20 ans qui « J’ai toujours voté pour l’extrême droite. »

Dans sa circonscription, voisine de celle de Brienon-sur-Armançon, le député RN Julien Odoul a été réélu dès le premier tour. Mais à l’échelle nationale, « nous sommes en minorité maintenant, les Français n’ont pas le courage d’aller voter RN », se lamente le jeune homme. Lucas Créneau, qui dit être « nationaliste », est convaincu de cela : « Il y a eu une fraude » lors du second tour. Aucune irrégularité n’a toutefois été constatée.

A ses côtés, Frédéric Quatre partage le ressentiment de son collègue. Lui aussi vote RN « toujours », Par dessus tout « pour l’immigration ». « Ils ne veulent pas qu’on passe, c’est inacceptable qu’on mette des barrages. Pourquoi mettent-ils des obstacles sur notre chemin ? Chacun fait ce qu’il veut. », le manager de 38 ans s’énerve.

Frédéric Quatre à la coopérative agricole où il travaille à Brienon-sur-Armançon (Yonne), le 9 juillet 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Comme beaucoup, Frédéric Quatre attend de voir la composition du prochain gouvernement, et les mesures prises au fil des mois. « Nous restons très prudents », admet le trentenaire.

Malgré la frustration laissée par les élections législatives, il garde espoir pour le prochain scrutin national : l’élection présidentielle de 2027. « Avec ce qui va se passer (le nouveau gouvernement)d’ici trois ans, il est certain que le RN fera un bond »il assure.

Cammile Bussière

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