comment un bug de découplage avec l’Allemagne a fait plonger les prix français
Que se passerait-il si la France et l’Allemagne, dont les choix énergétiques s’avèrent très différents, n’échangeaient plus du tout d’électricité ? Un bug informatique, survenu hier, donne un bref aperçu : Epex, la principale bourse d’électricité du Vieux Continent, oùles opérateurs indiquent les prix et les volumes qu’ils souhaitent acheter ou vendre, a dû organiser sa propre vente aux enchères locale en raison de difficultés techniques importantes.
Les capacités frontalières n’ont donc pas été réparties entre les deux pays. Pendant quelques heures, tout s’est passé comme s’il n’y avait plus d’interconnexions. C’est à dire, dans ce cas, plus d’exportations de la France vers l’Allemagne.« , précise Emeric de Vigan, responsable des marchés de l’électricité chez Kpler.
Et le résultat est saisissant : alors que la France affichait alors un prix de 2,96 euros le mégawattheure (MWh) pour une livraison le lendemain, ce chiffre s’élève à 492 euros le MWh outre-Rhin ! C’est près de 160 fois plus. » Cela confirme qu’à l’heure actuelle, si nous n’exportions pas, les prix baisseraient ici. », commente l’économiste spécialiste des marchés de l’électricité Jacques Percebois.
La France importe pour passer l’hiver
De quoi donner corps à la proposition du Rassemblement national de revoir en profondeur les règles du marché européen de l’électricité afin de refléter une « prix national » ? Au contraire, croient les deux spécialistes.
« Cela montre justement l’importance d’optimiser les échanges. Lorsque nous vendons de l’électricité à l’étranger, nous gagnons aussi de l’argent ; c’est bon pour la balance commerciale. Et d’un point de vue climatique, cela permet de faire fonctionner des réacteurs nucléaires en France pour éteindre les centrales à gaz allemandes ! »justifie Emeric de Vigan.
Surtout, la France n’a pas toujours un avantage sur l’Allemagne : lors de la crise de 2022 et 2023, l’économie française a dû s’appuyer massivement sur son voisin allemand, sans quoi ses prix de marché auraient été encore plus élevés. a explosé.
» À première vue, cet événement donne de l’eau au moulin de ceux qui disent qu’il faut déconnecter la France du reste de l’Europe. Mais attention aux conclusions hâtives : nous serons dans la situation complètement inverse cet hiver ! Car en cas de vague de froid, nous comptons généralement sur les centrales électriques allemandes pour nous soutenir. », prévient Jacques Percebois. Ce qui compte n’est donc pas le prix à l’instant T, mais la moyenne lissée des prix sur l’année, y compris lors des pics de consommation, insiste l’économiste.
Des prix trop bas pour payer les producteurs
Or, celles-ci finiraient par augmenter si la France bénéficiait de prix très compétitifs, selon Jacques Percebois. » C’est comme le cycle du porc : quand les prix chutent, les acteurs arrêtent d’investir dans le porc… et les prix montent en flèche puisque la demande devient supérieure à l’offre. Pour l’électricité, c’est la même chose « , il explique.
Et pour cause : aucun producteur ne vendrait son électricité à 3 euros le MWh sur le marché spot sans subir de pertes. Si EDF, par exemple, vendait moins de 60 euros le MWh, l’entreprise ne couvrirait plus les coûts de production de son parc nucléaire. Et donc, n’investirait plus, ce qui entraînerait un déficit de production.
Pour l’économiste, cela démontre une chose : pour s’affranchir de la volatilité des enchères quotidiennes, il faut multiplier les contrats à long terme, qui fixent à l’avance un prix de vente de l’électricité. Et notamment le « des contrats pour la différence » (CfD), ces offres négocié entre un opérateur et les pouvoirs publics, ce qui existe déjà en France pour l’éolien et le solaire.
Concrètement, celles-ci prévoient que l’Etat indemnise financièrement les producteurs d’énergie lorsque les prix du marché sont inférieurs au prix indicatif fixé lors des appels d’offres, afin de favoriser leur développement… mais aussi, en contrepartie, un versement du surplus au pouvoirs publics lorsque ces prix sont plus élevés. « En fixant un prix plafond et un prix plancher, cela donne de la visibilité à tous, producteurs comme consommateurs. », dit Jacques Percebois.
Vers un changement de braquet du gouvernement ?
Il y a quelques mois encore, le gouvernement français espérait réguler ainsi l’ensemble du parc atomique, en plafonnant le prix de vente de l’électricité nucléaire à un niveau proche des coûts de production d’EDF, estimés à environ 60 euros par MWh par la Commission de régulation de l’énergie. Il avait d’ailleurs obtenu la possibilité de le faire grâce à la réforme du marché de l’électricité, votée l’an dernier à Bruxelles.
Mais fin 2023, l’option a finalement été refusée par EDF, opposé à l’idée de voir ses tarifs régulés par l’Etat. Néanmoins, Jacques Percebois en est convaincu : « Le gouvernement finira par faire marche arrière et imposer ce type de solution « , il assure.
Lors du Medef jeudi dernier, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a également affirmé qu’il « va rouvrir la négociation des contrats avec EDF car le prix de sortie n’est pas suffisant (…) pour l’industrie française « . De quoi préparer les esprits à un changement de politique, sous réserve, bien entendu, d’une victoire aux élections législatives…
Dans les pays européens, des prix de marché très différents
Même sans problèmes informatiques, les prix du marché divergent depuis plusieurs semaines entre la France et l’Allemagne, même si l’écart est bien moins important. Ce mercredi, même si tout était revenu à la normale à la bourse EPEX, la France affichait un prix de 67,50 le MWh pour livraison le lendemain, contre 95,75 le MWh pour son voisin d’outre-Rhin.
Et pour cause : la France n’a plus besoin de gaz, ou très peu, pour produire son électricité. En Allemagne, les centrales électriques à combustibles fossiles continuent de fonctionner de manière intensive, ce qui fait grimper les prix. De quoi mettre à mal l’idée selon laquelle le marché européen de l’électricité se traduirait par un prix identique pour tous les pays membres, quels que soient leurs choix nationaux de production.
» Il existe de nombreuses interconnexions entre Etats qui favorisent la convergence des prix, mais elles ne sont pas sans limites. Il arrive régulièrement qu’ils soient saturés, et le marché anticipe cela en raisonnant par zones de prix. », soulignait en mai dernier Nicolas Goldberg, cadre supérieur Énergie chez Columbus Consulting.