Comment TotalEnergies et la diplomatie française travaillent main dans la main
Aéroport de Sabetta, dans l’Extrême-Nord russe, en décembre 2017. Température : –30 degrés Celsius. Le site n’accueille que des voyageurs très particuliers : ceux qui se rendent sur l’un des sites gaziers les plus spectaculaires au monde, Yamal LNG, propriété de la société française Total et de son partenaire russe Novatek. Sur le tarmac balayé par un vent glacial, le patron de Novatek, Leonid Mikhelson, accueille chaleureusement Patrick Pouyanné, le PDG de Total – qui ne s’appelle pas encore TotalEnergies.
Parmi les passagers du jet privé de la compagnie, aux côtés des dirigeants du géant pétrolier et gazier, se trouve un voyageur pas comme les autres : Jean-Pierre Chevènement. L’ancien ministre était alors le représentant de la France auprès de la Russie, au nom de la diplomatie économique. Après le discours d’investiture de Vladimir Poutine, il est monté sur scène et a mis face à face le président de Total et le président russe qui ont échangé quelques mots. A quelques mètres de là, l’ambassadeur de France à Moscou applaudit avec force au lancement d’un projet sous sanctions américaines et financé principalement par des banques chinoises.
La scène illustre les ambiguïtés de la diplomatie économique française lorsqu’il s’agit d’accompagner TotalEnergies dans sa conquête des marchés à l’étranger. Le plus haut sommet de l’Etat et l’une des plus grandes entreprises françaises entretiennent depuis longtemps des relations étroites. Au prix de contradictions de plus en plus visibles, alors que la France se présente comme un champion de la lutte contre le changement climatique.
« Camaraderie »
Le monde a pu interroger plus d’une quarantaine de diplomates, anciens ministres et dirigeants d’entreprises pour comprendre à quel point cette « camaraderie »selon le terme employé par les ambassadeurs, joue sur les choix stratégiques de l’exécutif – tous ont demandé l’anonymat pour respecter leur devoir de confidentialité.
TotalEnergies n’est pas une entreprise comme les autres : présente dans plus de 120 pays, elle déploie un réseau d’influence parfois équivalent à celui du Quai d’Orsay. Et pour ce faire, elle sait recruter les meilleurs experts. Une grande partie de la gestion des affaires internationales de Total est assurée… par des diplomates ou anciens diplomates. Parmi les 300 managers du groupe figurent une trentaine d’anciens hauts fonctionnaires ayant occupé des postes de direction, estime l’entreprise elle-même. Au cours des dix dernières années, plus d’une cinquantaine d’anciens hauts fonctionnaires des services de l’État ont occupé des postes de direction chez TotalEnergies, a identifié Aria, une ONG spécialisée dans les enquêtes sur l’énergie et l’environnement.
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