Comment le gouvernement a raté le bateau
L’exécutif macroniste veut laisser derrière lui une ultime mesure budgétaire destinée à récupérer trois milliards auprès des énergéticiens. Jusqu’à présent, la captation des profits n’a jamais été effective.
Bruno Le Maire vit peut-être ses derniers jours à Bercy, mais il a promis de rester actif « jusqu’à la dernière heure du dernier jour ». Laisser derrière lui un ultime plan d’économies ? Les propositions sont en tout cas sur la table – il appartient au futur exécutif de les mettre en œuvre ou non. Et parmi elles, un ressort déjà utilisé : taxer les profits des énergéticiens, les fameux « superprofits ».
Bercy veut durcir les règles du « contribution sur les rentes inframarginales » (CRI)mis en œuvre fin 2022 et reconduit dans le projet de loi de finances 2024 (PLF). Trois milliards d’euros supplémentaires sont ainsi espérés, sur les 10 milliards ajoutés aux plans d’économies déjà existants, sur les 25 milliards à économiser au total en 2025.
Mais le gouvernement compte sur ce durcissement des règles… sans l’avoir réellement mis en pratique. Un rapport publié jeudi 11 juillet par l’Inspection générale des finances souligne ainsi que l’exécutif a bien inclus de nouvelles recettes dans son pacte de stabilité 2024/2027 présenté à Bruxelles (PSTAB), mais sans préciser comment il les obtiendrait.
« La prévision du gouvernement repose sur la mise en œuvre de mesures fiscales visant à ‘taxer les rentes, notamment dans le secteur de l’énergie’, pour un total de deux milliards d’euros à partir de 2024. Non documentées à ce jour, ces mesures devront être inscrites dans le projet de loi de finances 2025 et présenter une forme de rétroactivité pour garantir le respect de la trajectoire prévue dans le PSTAB », prévient l’IGF.
Si ces recettes sont « inscrites dans la trajectoire », « elles doivent encore donner lieu à des dispositions législatives dans la loi de finances », poursuit l’IGF, alertant sur le risque qu’une nouvelle majorité ne pousse pas la réforme jusqu’au bout. L’exécutif attendait peut-être les conclusions de la mission parlementaire convoquée en début d’année sur le sujet, mais il devait les rendre fin juin, avant le bouleversement parlementaire des dernières législatives. Le cabinet de Bruno Le Maire précise de son côté à Capital « il est trop tôt. »
L’impôt sur les superprofits a raté sa cible
Mais sans orientation claire, il est difficile d’imaginer récolter quoi que ce soit, tant les règles semblent mal configurées jusqu’à présent. La Cour des comptes s’est penchée sur le CRI en mars, et ses conclusions sont claires.
« La facture globale payée par les clients finaux et les contribuables pour la fourniture d’électricité dépassera ainsi les coûts de production nationaux de 37 milliards d’euros sur 2022-2023 », estiment les Sages.
Autrement dit, les mesures mises en place par le gouvernement pour taxer les superprofits des énergéticiens ont complètement raté leur cible : elles laissent ainsi « 30 milliards d’euros de marges bénéficiaires nettes réparties entre les acteurs des marchés de gros – producteurs, fournisseurs, négociants et intermédiaires de marché –, et d’un autre côté un coût net de près de 9 milliards d’euros pour les finances publiques. »
30 milliards d’euros payés par les Français, donc, en raison de plusieurs dysfonctionnements : en permettant de répercuter les pertes enregistrées les années précédentes sur un exercice suivant, le CRI permettait aux entreprises de réduire l’assiette des bénéfices sur laquelle elles payaient des impôts. EDF, notamment, touché par de lourdes pertes en 2022 (17,9 milliards d’euros), n’a rien payé ou presque.
Certains secteurs ont également été totalement exclus du CRI, comme les barrages hydroélectriques ou les centrales électriques utilisant du charbon ou du gaz de houille, issus du charbon. Et les distributeurs indépendants d’électricité – qui ne produisent pas mais profitent de l’électricité qui leur est revendue par EDF pour concurrencer EDF elle-même auprès du grand public – sont également situés hors de France, ce qui leur permet d’échapper à l’impôt.
Enfin, les seuils de taxation, les prix à partir desquels l’Etat prélève la taxe, sont trop élevés : 90 euros par mégawattheure pour le nucléaire, par exemple, alors que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) estime les coûts réels de production à 60 euros.
Résultat, alors que l’exécutif estimait les recettes fiscales pour 2023 à 12,3 milliards d’euros, le CRI n’aurait récolté, selon la Cour des comptes, que 4,3 milliards sur l’ensemble de la période 2022/2023. La stratégie du gouvernement consistant à laisser les prix augmenter pour mieux compenser plus tard, les marges ont sensiblement augmenté et ont été en partie remboursées au consommateur via le bouclier tarifaire -72 milliards d’euros entre 2021 et 2024.
Les compagnies pétrolières ne s’inquiètent pas non plus
C’est donc un euphémisme de dire que les entreprises énergétiques n’ont pas vu leurs bénéfices taxés de manière énorme. Et tout durcissement des règles serait désormais trop tardif pour s’avérer lucratif : les prix de l’électricité se sont largement calmés, ils ont été divisés par deux en moyenne depuis 2023.
Les manques à gagner ne seront pas compensés, d’autant plus que d’autres superprofits n’ont pas non plus été captés. Une note de l’Institut de politique publique (IPP) souligne que la taxe sur les superprofits pétroliers n’a rapporté que 69 millions d’euros – après avoir estimé fin 2022 qu’elle pourrait rapporter six milliards d’euros.
Les raisons sont les mêmes que pour le CRI : des sociétés pétrolières basées hors de France et des pertes passées imputées à l’exercice en cours. La taxe concernant le raffinage, très peu de bénéfices ont été captés, les entreprises du secteur parvenant facilement à transférer leurs bénéfices hors de France pour optimiser leur assiette fiscale. Totalenergies, qui réalise 51 % de son chiffre d’affaires en Europe, n’y paie que 4 % de ses impôts.
Le seul point positif est le rendement des CFD (« contrats sur différence ») mis en place par l’État dans le domaine des énergies renouvelables : il permet de fixer un prix de vente au-dessus duquel l’État capte des profits, et en dessous duquel il aide les entreprises. L’objectif est d’aider les nouvelles entreprises à investir. Ce système a rapporté 13,7 milliards d’euros en 2022/2023. C’est donc le solaire et l’éolien qui auront le plus financé la crise énergétique.