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comment la ville de Rafah est « comprimée de tous côtés » alors qu’Israël se prépare à y lancer une offensive

En quelques mois, la capitale sud de l’enclave palestinienne a accueilli plus d’un million de personnes déplacées par la guerre, qui survivent dans des conditions extrêmement difficiles.

Des tentes à perte de vue. C’est le paysage qui s’est progressivement aménagé à Rafah, au sud de la bande de Gaza, au gré des bombardements et des évacuations. Avant les attaques meurtrières du 7 octobre et la réponse militaire massive d’Israël, près de 250 000 personnes vivaient dans la ville. Elle accueille désormais environ 1,2 million de personnes, selon l’ONU. Mardi 7 mai, vingt-quatre heures après avoir ordonné à certains habitants de quitter les lieux, l’armée israélienne a bombardé plusieurs quartiers et pris le contrôle d’un poste frontière.

Sans possibilité de fuir plus au sud, la frontière avec l’Egypte étant fermée, les civils s’entassent dans des abris de fortune,Autour des places de Rafah et même dans les champs et friches qui bordent la ville. Depuis le ciel, cette surpopulation est bien visible, ce qui témoigne de l’ampleur des déplacements de population dans l’enclave palestinienne. Images satellite à l’appui, franceinfo retrace la transformation de Rafah en un refuge précaire, finalement dépassé par la guerre.

Les civils s’entassent

Si Rafah déborde, c’est parce que l’armée israélienne a longtemps désigné la ville comme un lieu sûr vers lequel les habitants du nord de la bande de Gaza, puis du centre et du sud, étaient contraints de se rendre. « La densité de population y était déjà l’une des plus élevées au monde, mais elle a doublé à Rafah avec l’arrivée des réfugiés »raconte Mariam Chfiri, présidente de l’ONG française Plateforme pour la Palestine.

Fuyant les combats et les bombardements incessants à Gaza ou à Khan Younes, de nombreux Gazaouis ont planté leurs tentes près d’un site de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), au nord-ouest de Rafah. La proximité des entrepôts, où arrivent les rares camions d’aide humanitaire, explique en grande partie cette concentration d’abris.

« Tous ces gens étaient entassés dans des conditions physiques et psychologiques très dégradées »déplore Mariam Chfiri. « Rafah est comprimée de toutes parts, à la fois par le blocus de l’aide alimentaire, l’isolement dans des tentes précaires et le désespoir des nombreux blessés et de leurs proches. » Selon l’Unicef, environ 600 000 enfants vivent dans la région et ont peu accès à l’eau, à la nourriture ou même aux soins médicaux. Nombre d’entre eux « sont extrêmement vulnérables et luttent déjà pour leur survie »précise l’agence onusienne.

Après avoir bombardé la ville dans la nuit de lundi à mardi, l’armée israélienne y a déployé des troupes terrestres et semble se préparer à l’offensive planifiée de longue date par Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, qui qualifie Rafah de « dernier bastion du Hamas ». Majoritairement opposée à ce projet, la communauté internationale alerte sur le risque très élevé de « massacre de civils »pour reprendre les mots du Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha).

Des milliers de bâches visibles

Depuis le ciel, la métamorphose de Rafah s’observe facilement. Des milliers de points blancs ou gris, correspondant pour la plupart à des tentes, sont apparus au fil des mois. Au nord de Tal as Sultan, l’un des huit camps de réfugiés historiques de Gaza, les friches bordant les serres agricoles ont été prises d’assaut. Il en va de même pour les abords de l’axe routier du Gush Katif, qui longe Rafah d’ouest en est. Dans les parkings, les esplanades des mosquées Taiba ou Bilal notamment, presque chaque mètre carré est recouvert de bâches blanches ou bleues sous lesquelles «souvent plus de 10 personnes vivent»explique un cadre de l’UNRWA, contacté par franceinfo.

« Chaque jour, c’est une quête difficile pour trouver de la nourriture, de quoi allumer un feu, obtenir de l’eau qui servira à boire ou à se laver », poursuit ce responsable de l’ONU. Pour survivre, les familles dépendent souvent des enfants. « A eux de faire la queue et d’être prêts si des distributions ont lieu », il explique. Pour la majorité des réfugiés, les charrettes sont préférées, « manque de carburant disponible ».

Des enfants traînent des bidons remplis d'eau jusqu'à leur tente aux abords de Rafah, le 26 avril 2024. (MOHAMMED ABED / AFP)

Dans ces conditions, l’ordre donné par l’armée israélienne d’évacuer les quartiers est de la ville scandalise les ONG humanitaires. « Nous déplaçons des personnes qui ont déjà été déplacées plusieurs fois », a déploré Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde, sur franceinfo. Selon lui, ce déplacement forcé est « en violation du droit international humanitaire ».

Après avoir envoyé des chars du côté gazaoui du poste frontière de Rafah, l’armée israélienne a interdit l’accès, y compris aux agences de l’ONU. « On nous a dit qu’il n’y aurait pour le moment aucun mouvement de personnel ni de marchandises dans les deux sens… Pour combien de temps ? Je ne sais pas », a déclaré mardi Jens Laerke, porte-parole du Bureau des affaires humanitaires de l’ONU, lors d’un point de presse. Dans ces conditions, les réserves de carburant de « tous » les opérations humanitaires à Gaza devraient se tarir d’ici mercredi matin, a-t-il prévenu.

Zones désertes à évacuer

Pour les Palestiniens qui ont fui leurs foyers depuis octobre 2023, Rafah a servi de dernier refuge. Face à l’impossibilité d’aller plus au sud, des milliers de familles se sont installées le long de la barrière noire hérissée de barbelés qui longe sur 12 km la frontière avec l’Egypte. Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a répété qu’il ne souhaitait pas ouvrir cette frontière, la qualifiant de « bombe à retardement » l’installation des Palestiniens déplacés à qui Israël pourrait refuser de retourner à Gaza.

Côté égyptien, la surveillance de cette frontière s’est progressivement renforcée. Des fortifications ont été érigées au bord de la mer Méditerranée, là où se termine la barrière. Comme CNN l’a repéré mi-février sur d’autres images satellites, une « zone tampon » d’un peu plus d’un kilomètre de large est en train d’être créée par les autorités égyptiennes, qui craignent qu’une opération terrestre de l’armée israélienne à Rafah ne provoque une fuite massive de réfugiés. sur leur territoire.

Dans des tracts largués lundi sur Rafah, l’armée israélienne a ordonné aux habitants et aux réfugiés de l’est de la ville de partir pour une « zone de services humanitaires » situé en bord de mer, entre le village d’Al-Mawasi et la ville de Deir el-Balah. En décembre, les Gazaouis avaient déjà été dirigés vers ce rectangle de 14 km2 alors qualifié de « une terre vide ».

« Nos partenaires nous parlent de terres complètement désertiques, sans aucune infrastructure nécessaire »rapporte Mariam Chfiri, qui souligne le dénuement des réfugiés. « Nous avons des populations qui ont d’énormes besoins d’aide humanitaire, sanitaire et psychologique.elle se souvient. La désignation de zones vides ne constitue en aucun cas une issue.»

Des Palestiniens fuient après une attaque de l'armée israélienne près d'Al-Mawasi (bande de Gaza), le 10 mars 2024. (ASHRAF AMRA/ANADOLU/AFP)

Par dessus tout, « le passé nous a montré que le risque d’attentats sur la route (d’une évacuation) est vrai », constate Mariam Chfiri. Dans ce contexte, les Gazaouis déplacés pourraient être moins enclins à reprendre la route. « J’ai déjà fui trois fois depuis le début de la guerre. Et à chaque fois, les zones où nous devions aller étaient bombardées.»a déclaré l’un d’eux à Franceinfo. « Il y avait beaucoup d’espoir autour d’une éventuelle trêveraconte Mariam Chfiri. Mais l’inquiétude et la terreur sont finalement revenues parmi les habitants de Gaza. »

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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