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cinq ans après l’incendie, le mystère reste entier

Notre-Dame a retrouvé sa flèche qui transperce à nouveau le ciel de Paris. Cinq ans seulement après le terrible incendie du 15 avril 2019, le chef-d’œuvre de Viollet-le-Duc est le symbole des prouesses des constructeurs de la cathédrale qui devrait rouvrir le 8 décembre 2024. Si le chantier avance comme prévu D’un coup d’œil, l’enquête judiciaire sur les causes du sinistre se poursuit, dans le plus grand secret, alimentant les spéculations.

Quelles difficultés les magistrats rencontrent-ils dans ce type d’incendie ? Quelles pistes ont déjà été écartées et lesquelles restent les plus tangibles ? Nous avons cherché à répondre à ces questions le plus soigneusement possible dans un contexte où les hypothèses rivalisent avec les rumeurs.

Ces derniers n’ont pas attendu la défaite des flammes pour prospérer. Dès le 15 avril, des images circulaient sur Internet où certains croyaient détecter la silhouette d’un homme en djellaba au lieu, selon les versions, d’une statue ou d’un pompier, donnant l’impression qu’un attentat avait eu lieu. Le soir même, une enquête préliminaire a été confiée à la brigade criminelle de la direction régionale de la police judiciaire. Au terme de ce travail – 1 000 pages de procédure, 96 scellés, des centaines d’audiences – « Aucun élément ne conforte l’hypothèse criminelle »» a conclu le procureur de la République, Rémy Heitz, le 26 juin.

Une expertise ralentie

Une information judiciaire est alors ouverte « contre X pour dommages involontaires par incendie résultant d’une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité ». L’enquête est confiée à trois magistrats. Ces travaux, actuellement couverts par le secret de l’instruction, déboucheront prochainement sur une ordonnance de non-lieu ou de renvoi devant le tribunal de première instance. Mais cette seconde issue nécessite de pouvoir identifier la cause de l’incendie et de démontrer qu’il est lié à un délit imputable à quelqu’un.

« Dans ce type de cas, l’enquête est extrêmement longue car on recourt à de nombreuses expertises spécialisées réalisées par des laboratoires publics ou privés.note Frédéric Macé, président de l’Association des magistrats enquêteurs. Comme ils travaillent sur les mêmes sceaux, la chaîne d’expertise doit être organisée, il y a un ordre à respecter”, explique encore le magistrat. Selon nos informations, il restait encore environ trois expertises à réaliser début 2024. Un travail fastidieux qui a d’abord été retardé par la configuration inhabituelle du lieu de l’incendie. Durant les premières semaines, lorsqu’une partie des voûtes et de la charpente s’est effondrée, l’intervention des experts des laboratoires de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP) et de la préfecture de police s’est révélée trop dangereuse. « Mais le plus important dans une telle catastrophe est de pouvoir geler les lieux le plus rapidement possible », explique Hervé Bazin, ancien chef du laboratoire de la préfecture de police et aujourd’hui juriste.  » Là,les travaux ont été compliqués par la sécurisation des lieux et les conditions climatiques. Les décombres avaient également été mêlés à des coulées de plomb fondu. »

Notre-Dame de Paris : cinq ans après l'incendie, le mystère reste entier

« Plus on intervient tard, moins la scène est exploitable »acquiesce Daniel Joyeux, également juriste et spécialiste des incendies. « Dans le cas de Notre-Dame, c’est compliqué car il y a eu un effondrement. Lorsque l’incendie se déclare au rez-de-chaussée d’un immeuble, les chances d’établir un scénario clair sont plus grandes. »

Le point de départ de l’incendie identifié

Malgré le retard et les obstacles, les spécialistes identifient une première pièce du puzzle : la zone où l’incendie s’est déclaré. Le 8 avril 2021, l’architecte en chef de Notre-Dame, Philippe Villeneuve, était interrogé par les députés. Il révèle que les enquêteurs s’intéressent à un point précis, une base de la voûte à la croisée du transept (angle sud-est du transept et du chœur, c’est-à-dire côté Seine). L’incendie aurait pris naissance à ce qu’on appelle en architecture une poutre de sable, une pièce de bois installée horizontalement en haut d’un mur de façade et sur laquelle repose la charpente. « Grâce aux dépôts de suie et au niveau de carbonisation du bois, nous pouvons savoir où un incendie s’est déclaré. » explique Daniel Joyeux.

L’investigation doit parallèlement avancer sur le scénario incendie, en utilisant des modélisations que quelques rares bureaux d’études en France sont capables de réaliser. Un scénario retient l’attention des experts, celui d’un incendie couvant, avec une combustion lente durant plusieurs heures, voire plusieurs jours. A Rennes, en 1994, une roquette de détresse tirée lors d’une manifestation de pêcheurs brise une ardoise du Parlement de Bretagne et atterrit dans le cadre. Le feu couvait ensuite avant que le bâtiment ne prenne feu en pleine nuit. À Notre-Dame, les poussières produites au fil des siècles se sont peut-être accumulées dans la partie basse des voûtes. Au contact d’une source de chaleur, celui-ci peut produire des gaz qui s’accumulent sous la toiture et qui explosent brutalement avec un apport d’oxygène.

Cette hypothèse a cependant ses faiblesses. « En cas de combustion, il y a forcément de la fumée », observe Philippe Moineau, ancien colonel des pompiers et juriste. Or, lorsqu’il y a un chantier, comme ce fut le cas à Notre-Dame, les normes imposent des contrôles avant et après interventions justement pour identifier un incendie couvant.

Etincelles, cigarette ou court-circuit ?

Enfin, et ce sera la plus grosse partie de l’enquête, reste à déterminer l’origine de l’incendie. La justice recoupe notamment les résultats des analyses avec les témoignages de toutes les personnes interrogées. Depuis cinq ans, diverses hypothèses ont été avancées dans la presse ou dans les livres. C’est ainsi que la société Socra a été pointée du doigt. Le jeudi 11 avril 2019, elle a retiré les statues des apôtres de Viollet-le-Duc perchées sur le toit de la cathédrale afin de les rénover. Dans un ouvrage récent (1), le spécialiste du patrimoine Didier Rykner évoque l’utilisation d’un outil, d’une meuleuse ou d’un chalumeau, comme source possible de l’incendie. Contacté, le directeur de la Socra, Richard Boyer, réfute catégoriquement. « Nous avions déjà terminé les travaux préparatoires il y a un mois. Ce jour-là, il s’agissait simplement d’enlever les statues à l’aide d’un camion-grue. Comme il bloquait la rue, nous avons dû agir rapidement. Il n’y avait pasutilisation d’équipement pouvant créer un point chaudCe jour là « , il assure. Comme tous les acteurs de la scène, il a été longuement interrogé le soir du drame par les enquêteurs. « Depuis, je n’ai pas été entendu par la justice. Je n’ai pas engagé d’avocat car c’est évident que ça ne tient pas. »

Il reste deux pistes qui ont « a attiré l’attention des enquêteurs », indiquait Rémy Heitz en 2019. Celui d’un dysfonctionnement d’un système électrique et celui d’une cigarette mal éteinte. Lors du sinistre, l’entreprise Le Bras Frères avait érigé un échafaudage au pied de la flèche en vue de sa réparation. Cependant, les travailleurs ont admis aux enquêteurs qu’ils avaient fumé à l’extérieur. Cependant, l’hypothèse d’un mégot de cigarette atterrissant dans le grenier laisse les experts consultés très dubitatifs. L’hypothèse d’un court-circuit au niveau de l’élévateur de l’échafaudage ne semble pas plus crédible, car sa localisation ne coïncide pas avec celle de la poutre de sable identifiée. L’entreprise a failli ne pas survivre aux accusations qui la visaient après le drame et c’est pourtant elle qui a alors accompli l’exploit de concevoir et de construire le nouvel échafaudage géant pour la reconstruction de la cathédrale.

Entreprise, diocèse, Etat : la difficile identification des responsabilités

Un doute demeure cependant car la plupart des incendies des monuments historiques surviennent justement lors d’un chantier de restauration. Ce fut le cas de l’hôtel Lambert à Paris, en 2013, ou de la basilique Saint-Donatien à Nantes, en 2015. Dans l’affaire Notre-Dame, Julien Le Bras, le PDG de l’entreprise, s’est porté partie civile et à ce titre a accès au dossier d’enquête. Il refuse actuellement de parler. Idem pour le diocèse de Paris qui était également mis en cause.

Notre-Dame de Paris : cinq ans après l'incendie, le mystère reste entier

Plusieurs années avant l’incendie, le responsable de la cathédrale avait en effet installé dans les combles un carillon à commande électromagnétique pour les offices. Installation temporaire qui n’aurait jamais dû rester en place. Plusieurs sources ont évoqué la possibilité d’un dysfonctionnement de l’appareil qui aurait pu provoquer un court-circuit. Sans pouvoir toutefois le justifier. « Nous ne pouvons faire aucun commentaire en raison du secret de l’enquête. Nous souhaitons évidemment que ce volet puisse être fermé prochainement. », déclare sobrement l’archidiocèse qui s’est également porté partie civile. Enfin, des articles de presse ont également fait état de la découverte par les enquêteurs d’un coffret électrique installé « clandestinement » dans le cadre.

Au-delà de l’origine de l’incendie, l’enquête judiciaire devrait examiner la rapidité et la force de l’embrasement ainsi que les retards dans l’intervention des secours, qui révèlent d’importantes négligences, notamment de la part de l’État. Professeur à l’université de Versailles, Paolo Vanucci avait réalisé en 2016 un rapport alarmant sur le déficit de protection incendie du bâtiment. L’universitaire déplore que son rapport ait été enterré et qu’aucune de ses recommandations n’ait été adoptée.

Le saurons-nous un jour ?

La gestion de la sécurité de Notre-Dame implique de nombreux acteurs publics – ministère de la Culture, pompiers de Paris, monuments historiques, etc. – et autant de dysfonctionnements potentiellement embarrassants. En 2020, la Cour des comptes elle-même estimait « très anormal » (2) qu’aucune enquête administrative n’a été ouverte par le ministère de la Culture pour déterminer d’éventuels manquements. « Mais qui, en fin de compte, a intérêt à savoir ? « , » demandait, en 2020, l’un des meilleurs experts de la cathédrale, Bernard Fonquernie. L’ancien architecte en chef de Notre-Dame, aujourd’hui décédé, nous avait alors fait part de ses doutes, soulignant notamment que l’élan mondial de générosité pour la reconstruction de Notre-Dame – près d’un milliard d’euros de dons ont été récoltés – aurait également amoindri question de responsabilité.

« Dire qu’on ne saura rien est faux, assure Frédéric Macé. Une ordonnance de non-lieu doit être extrêmement motivée, d’autant plus que dans le cas d’une ordonnance de renvoi, car il faut reprendre toutes les voies une à une et justifier pourquoi elles ne sont pas poursuivies. explique le magistrat. Le suspense pourrait bientôt être levé car, selon plusieurs experts, la fin de l’enquête est désormais proche.

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Avancement des travaux

Quelques mois avant la réouverture Prévu le 8 décembre, le chantier de Notre-Dame avance bien.

Le toit en plomb La charpente en chêne massif a débuté en mars.

Le pignon sud du transept (Côté Seine) avec sa grande rosace sera débarrassée des échafaudages avant l’été.

À l’intérieur du bâtiment Les réseaux techniques et le nouveau système de protection incendie sont en cours de déploiement. Les dalles sont posées au sol.

Dans le chœur, la dépose des échafaudages permet la restauration et le nettoyage d’œuvres qui n’avaient pas quitté les lieux : statues en marbre, bronzes de Vœu de Louis XIIIportes et stalles.

Remise en état des 8 000 canalisations du grand orgue se poursuit en même temps que leur harmonisation qui durera six mois.

(1) Notre-Dame, une affaire d’État, Les Belles Lettres, 17,50 €.
(2) La conservation et la restauration de Notre-Dame de Parisrapport de la Cour des comptes, septembre 2020.

Cammile Bussière

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