Divertissement

Cinéma : mort de Laurent Cantet, réalisateur humaniste et subtil

Cinéaste discret et cinéphile enthousiaste, Laurent Cantet était aussi bavard sur ses films que silencieux lorsqu’il s’agissait de se livrer. On se souvient de lui en 2008, foulant le tapis rouge avec les collégiens deEntre les murs, surprise Palme d’Or française, plus de vingt ans après celle décernée à Maurice Pialat. Dans un communiqué publié sur son site, l’équipe du Festival de Cannes se félicite d’un « une œuvre cohérente et humaniste (qui) dessine un cinéma sensible, à la surface de la peau et à la surface de la société ».

Dans neuf longs métrages, sortis entre 1998 et 2021, Laurent Cantet a tracé son chemin à travers des thématiques en prise avec le monde (travail, école, réseaux sociaux…) sans jamais recourir à des films de thèse qui affirment ou démontrent. Cela ne l’a pas empêché d’affirmer des positions et des engagements clairs, notamment en signant, en 2015, un appel à sensibiliser sur les conditions de vie inhumaines des migrants et réfugiés à Calais.

Des études de photographie avant d’entrer à l’Idhec

)Né en 1961 à Melle, dans les Deux-Sèvres, Laurent Cantet est fils d’instituteurs. « Je ne suis pas du tout issu d’un milieu ouvrier »il a confié à Humanité en 2000, à l’occasion de la sortie de Ressources humaines. « Mes parents étaient instituteurs et professeurs, eux-mêmes enfants d’un boulanger, du côté de mon père, et filles d’immigrés polonais travaillant à la ferme, du côté de ma mère. Après le baccalauréat, j’ai d’abord étudié la photographie. » Il rejoint ensuite l’Idhec, Institut des hautes études cinématographiques (aujourd’hui Femis) en 1984, où il rencontre Gilles Marchand et Dominik Moll et surtout Robin Campillo qui deviendra son alter ego et co-scénariste. D’abord directeur de la photographie pour d’autres, il réalise ses premiers courts métrages, dont Tous à la manifestation (1994), à propos de lycéens qui préparent une démonstration dans un café, et Jeux de plage (1995). Après un téléfilm pour Arte, le Sanguinaire (1997), en 1999 il réalise son premier long métrage : Ressources humaines. Inspiré par le choc ressenti en entendant des ouvriers parler de leur travail, il imagine une fiction autour d’un fils (incarné par Jalil Lespert), élève dans une grande école, qui vient mener un plan de restructuration dans l’usine où est ouvrier son père. Laurent Cantet revendique un style sobre, presque documentaire, servi par une direction d’acteurs précise. « J’ai voulu que le réel nourrisse au maximum la matière du film, par des allers-retours entre la sphère intime et la sphère publique, jusque dans le choix des acteurs non professionnels »il a expliqué à nouveau à Humanité.

L’individu contre le groupe, l’idéal trahi, la désillusion face à la révolution

A la limite du cinéma social sans pouvoir vraiment l’assimiler, il explore dans ses films suivants les questions de l’individu contre le groupe, de l’idéal trahi, de la désillusion face à la révolution. En 2001, il adapte librement l’affaire Jean-Claude Romand, en l’emploi du tempsl’histoire d’un imposteur qui s’invente une vie après avoir été licencié et sombre ensuite dans le mensonge et la fraude. Au sud, basé sur plusieurs œuvres de Dany Laferrière, l’emmène en Haïti pour explorer le désir et le tourisme sexuel sous la dictature des Duvalier. C’est aussi chez un écrivain, François Bégaudeau, qu’il s’inspire pour créer Entre les mursun passionnant huis clos sur une classe de CM2 dans un lycée du 20e quartier de Paris. Là encore, l’effet de réalité est saisissant, d’autant que le professeur est incarné par l’auteur du livre, encore professeur à l’époque, et que le tournage a été alimenté par des ateliers d’improvisation avec les élèves. « Je sais que l’école peut fonctionner comme une machine à exclure. je n’ai pas fait de film » à l’école » mais je prends parti contre cette idée, défendue par certains, de classes protégées dans lesquelles les élèves arrivent sans aucun contexte familial et social »il a confié à Humanité. En voyant tous les films qui sortent en ce moment autour de l’école, on se dit qu’il a largement contribué à ouvrir la voie. On retrouvera le même intérêt pour les jeunes des quartiers populaires dans l’atelier (2017), présenté à Cannes dans la section Un certain regard, qui conjugue atelier d’écriture avec des jeunes en insertion et mémoire des chantiers navals de La Ciotat.

La défense du cinéma indépendant

Cinéaste littéraire, attentif à la justesse des dialogues, Laurent Cantet a collaboré avec l’écrivain cubain Leonardo Padura pour Retournez à Ithaque. Présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard (2014), ce long métrage, disponible sous forme de livre, questionne l’exil à travers les retrouvailles nocturnes de cinq anciens amis à La Havane..

Fondateur en 2015 de LaCinetek, la plateforme du cinéma d’auteur, avec Pascale Ferran et Cédric Klapisch, il a salué avec passion les œuvres d’Oshima, Pasolini et Cassavetes et s’est battu pour la défense du cinéma indépendant. Son dernier film, Arthur Ramboinspiré par l’affaire Mehdi Meklat, jeune auteur issu des quartiers populaires happé par des tweets racistes et homophobes, a marqué ses retrouvailles avec Rabah Nait Oufella, l’un des jeunes acteurs deEntre les murs. Selon l’AFP, qui a annoncé son décès des suites d’une maladie, citant des informations de Libérer, Laurent Cantet travaillait sur un nouveau projet, l’apprentiqui devait sortir en 2025.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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