Champions Cup – Technique. Décryptage du jeu de La Rochelle, véritable kryptonite des forces du Leinster
Pour la cinquième fois en quatre ans, Rochelais et Leinstermen se retrouveront, cette fois pour une place dans le dernier carré de la Champions Cup. L’ADN du Stade Rochelais, frustrant pour certains, se révèle plus qu’efficace dans les phases finales. Encore plus face au redoutable Leinster.
« Établir une dynastie, c’est l’idée, c’est le plan. C’est brutal, mais il faut être brutal dans sa tête quand on est entraîneur ou joueur de haut niveau, être impitoyable. Ce que l’équipe a démontré à Dublin est incroyablement positif : elle a prouvé qu’elle n’avait pas de limites. » Ces propos sont ceux de Ronan O’Gara après la finale de la Champions Cup 2023. Ce jour-là, les Maritimes avaient réalisé le plus bel exploit d’un club français sur la scène « européenne » en renversant le grand Leinster dans leur antre de l’Aviva Stadium.
Depuis l’arrivée de l’ancien ouvreur du Munster à la tête du club (d’abord aux côtés de Jono Gibbes), les Jaune et Noir ont disputé cinq finales sur sept possibles. Une régularité dans la performance qui s’ancre dans un style de jeu parfaitement clair et raffiné depuis la promotion de l’Irlandais au poste de manager de l’équipe première (2021).
Cet ADN, fait d’un rugby de collisions, de défi physique et d’intelligence tactique, a fait ses preuves depuis plusieurs saisons. Une entreprise de démolition, en somme, et c’est loin d’être une notion péjorative. Car ce n’est un secret pour personne, le Stade Rochelais n’a pas bâti son succès grâce à un jeu désordonné, imprévisible et déroutant. Non, La Rochelle construit ses triomphes en renversant l’adversaire, encore plus lorsqu’il porte le maillot bleu.
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Et ne nous faites pas dire ce que nous ne pensons pas : ne pas être ébouriffant ne veut pas dire être ennuyeux. Face aux Irlandais lors de deux finales de la Coupe des Champions, les Maritimes ont marqué six essais au total. Sept lors de la demi-finale de l’année dernière contre Exeter. « Certes, La Rochelle ne joue pas un rugby spectaculaire, mais il est très efficaceanalyse Dimitri Yachvili, consultant de France Télévisions. Ils nous surprennent depuis plusieurs années, mais devons-nous encore le faire ? Lors de la première finale contre le Leinster, nous ne pensions pas qu’ils gagneraient. Le deuxième, pareil. »
Un axe droit crucial
Répertorier les forces rochelaises, c’est avant tout mettre en avant le puissant axe droit derrière lequel le Stade a bâti ses grandes victoires. Uini Atonio, Will Skelton, Levani Botia, trois joueurs avec certaines caractéristiques communes qui excellent à leur poste. Les deux Golgoths portent beaucoup le ballon. Atonio plus au milieu de terrain, Skelton plus proche des rucks, avec la même envie : mettre son équipe en avant, ouvrir des espaces à ses partenaires et amener un danger constant grâce à cette capacité à passer les bras pour redonner vie au ballon.
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Le pilier et la deuxième ligne sont également cruciaux dans la défense des ballons portés, rampe de lancement appréciée des Leinstermen pour leurs attaques placées ou pour conclure directement à proximité des lignes. Yachvili est d’accord : « Le jeu de La Rochelle est fort quand le surpuissant axe droit avec Atonio, Skelton, Botia, et j’ajoute Danty, excelle. C’est un travail d’usure. Dans les derniers grands matches, hormis la finale du Top 14 où ils étaient coincés sur « Cette dernière action, les Rochelais ont usé l’adversaire en le dominant dans les duels, le défi physique. C’est ainsi qu’ils ont pris les commandes de la finale de l’an dernier après un premier quart d’heure en enfer. »
Contre les Stormers, Atonio et Skelton ont eu du mal à entrer dans le match. Perturbés physiquement par un étonnant pack sud-africain, ils sont montés en puissance tout au long du match – notamment pour l’Australien – au point de faire exploser les coéquipiers de Manie Libbok.
Ne les laisse pas enchaîner
Continuer sur cet axe droit, c’est aussi parler de Levani Botia, qui en plus de sa puissance, est indispensable dans le jeu au sol pour récupérer les ballons et offrir des turnovers à son équipe (déjà 8 à son actif cette saison en Champions Cup). Cancoriet a également assumé ce rôle avec succès cette saison. Il sera aussi un peu plus précieux samedi en l’absence de Pierre Bourgarit, autre maître en la matière mais blessé depuis plusieurs semaines.
Cette guerre terrestre a très souvent fait la différence face au Leinster. En mai dernier, c’est dans un ultime dégagement clandestin irlandais que les Rochelais l’ont emporté. « Avec le niveau d’intensité mis par les deux équipes, nous parlons d’équilibre et de contrôle. Nous devons rester du bon côté.continue Yachvili. Nous connaissons la vitesse du jeu du Leinster. Il ne faut pas trop consommer de joueurs dans les rucks mais aussi trouver le bon timing pour récupérer des munitions et ne pas les laisser enchaîner leurs séquences. »
Les trois « P »
La guerre sur le terrain, oui, mais pas seulement. Les Boys in Blue sont habitués à contrôler la situation. Pour éviter la folie du Leinster, leurs séquences ultra rapides autour des rucks, leur impressionnante redistribution offensive dans la cellule qui offre un grand choix au porteur, les Rochelais ont leur kryptonite : la possession.
Lors de la finale 2023, les Leinstermen ont réalisé deux fois plus de plaquages que les Rochelais. Les tenants du titre avaient imposé leurs longues séquences pour pousser les Irlandais à l’erreur grâce à une attitude exemplaire sur le terrain (11 pénalités, 1 carton jaune, 1 rouge).
Possession, précision, puissance ; les trois P de la Palme d’Or pour les Rochelais conquérants. Cela dit, la formation de Ronan O’Gara rencontre également des défauts. Déjà, le passé prouve qu’il atteint son meilleur niveau lorsque mai pointe sa vilaine tête. La saison dernière, la bande d’Alldritt a frôlé une grosse déception en huitièmes de finale face à Gloucester.
Cette saison, les Jaune et Noir trouvent moins de solutions lorsqu’ils portent le ballon (9ème équipe du Top 14 en termes de centres, 7ème en nombre d’essais marqués). Certains individus ne sont pas encore à leur meilleur niveau (Hastoy, Danty, Seuteni pour ne citer qu’eux). Malgré cela, et c’est dans son ADN, le Stade Rochelais est toujours numéro un en termes de possession (55%), d’occupation du deuxième échelon et de points encaissés. Yachvili conclut : «Ils réalisent pour l’instant une saison mitigée mais ils parviennent à battre des Stormers invaincus à domicile. Ce n’est pas rien. Il y a une âme dans cette équipe, une alchimie. Je crois sincèrement que si les hommes sont en forme, s’ils sont bien mentalement, s’ils ont la conquête, ils peuvent encore les battre. »