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Ces images montrent-elles l’armée israélienne déplaçant la population du nord de Gaza ? – Libération

Au milieu des décombres du nord de Gaza, des milliers de Palestiniens forment de longues files, écrasés sous des sacs et des bidons d’eau. Depuis samedi 19 octobre, de nombreuses vidéos montrent d’importants mouvements de population, et interrogent la communauté internationale sur ce que cherche à accomplir l’armée israélienne dans cette zone de l’enclave qu’elle assiège depuis le 6 octobre. l’État juif a alors ordonné « évacuation » de tous les civils de la région du sud, tout en lançant des ultimatums à trois des hôpitaux encore en service dans cette région. Depuis, les organisations internationales et les chancelleries s’alarment de la faiblesse de l’aide humanitaire en provenance du Nord et d’un risque de famine bien réel, qui se double désormais de ces images de déplacement de Palestiniens de toute une partie de Gaza.

Cette opération terrestre dans le nord de Gaza est la troisième incursion terrestre de Tsahal dans la région, toujours avec l’objectif revendiqué d’empêcher le «restauration de l’infrastructure terroriste de l’organisation terroriste Hamas». Des vidéos et des communiqués diffusés par l’armée israélienne et la branche armée du Hamas, les brigades Al-Qassam, font état de violents affrontements. Depuis plusieurs semaines, le Nord tout entier est la cible des bombardements israéliens, notamment contre des écoles et des hôpitaux.

Véhicules blindés israéliens visibles autour des groupes

Les images de ces déplacements massifs ont commencé à être diffusées par l’armée israélienne le 19 octobre, et le sont quotidiennement depuis. Ils étaient géolocalisés dans les villes voisines de Beit Lahia et Jabalia, au nord de Gaza, au cœur de la zone où opère l’armée israélienne. Plus précisément autour des écoles qui jouxtent l’hôpital indonésien (ici, ici, deuxième vidéo ici, et ici), mais aussi 1,5 kilomètres plus au sud-ouest pour cette grande ligne (ici), et 500 mètres plus à l’ouest pour ce tir de drone (ici), vers l’hôpital Kamal Adwan. Dans quatre vidéos sur cinq, des véhicules blindés israéliens sont visibles autour de groupes de personnes, ainsi que dans diverses vidéos amateurs.

Avichay Adraee, le communicateur arabophone de Tsahal qui ponctue les ordres d’évacuation à Beyrouth et à Gaza depuis le début de la guerre, a affirmé le 19 octobre : « La barrière de la peur de Sinwar (Le chef du Hamas tué vendredi 18 octobre, ndlr) est brisé : après une pression constante, des centaines de civils commencent à quitter Jabalia. (…) Hier soir, après que les forces de la 162e division ont lutté contre les saboteurs et les structures terroristes dans la région de Jabalia, des centaines de civils ont commencé à évacuer la zone. Il insiste sur le fait que « Au cours des opérations, Tsahal a permis aux civils d’évacuer la zone en toute sécurité via des itinéraires organisés, car des centaines de personnes ont jusqu’à présent quitté la zone. »

Son message est accompagné d’images de l’entrée de l’école Hamad, dans le quartier Beit Lahia. Nous voyons cinq véhicules blindés israéliens encercler les Palestiniens. Des hommes, certains visiblement jeunes, marchent les mains en l’air vers un groupe déjà assis. Deux sont en fauteuil roulant. Toujours dans la même publication, le militaire affirme que l’armée israélienne a « Il a arrêté un certain nombre de saboteurs membres d’organisations terroristes et les a placés en détention pour enquête ».

On ne sait pas s’il s’agit d’un contrôle ou si tous les hommes sont faits prisonniers, comme ce fut le cas lors d’opérations similaires menées il y a un an par l’armée israélienne, et que VérifierActualités avait documenté. Plusieurs sources palestiniennes, rapportées par Al-Jazeera lundi 21 octobre, évoquent une séparation des sexes aux points de contrôle israéliens, qui conduirait à l’arrestation de « des dizaines » des hommes. Selon un communiqué de l’armée israélienne publié mercredi, 150 terroristes ont été arrêtés.

Une école qui abritait des réfugiés détruite

Différentes photos montrent cette campagne massive d’arrestations d’hommes dans le quartier. Notamment celles partagées mardi sur Telegram par Amit Segal, journaliste à la télévision publique israélienne, qui montrent des dizaines d’hommes en tenue blanche, les yeux bandés et les mains liées, toujours entourés de soldats et de véhicules blindés israéliens. La scène se déroule toujours dans la même école. A noter que lors d’opérations similaires en décembre 2023, l’armée israélienne a précisé que seule une partie de ces hommes arrêtés étaient en réalité des combattants. Contactée, l’armée israélienne n’a pas répondu à nos questions sur le sujet.

Ce qui est sûr, c’est que l’opération israélienne s’accompagne de la destruction d’au moins un des lieux où les images évoquées ont été prises : l’école Hamad. Le complexe abritait des réfugiés jusqu’à l’arrivée des troupes israéliennes. Des images, repérées sur les comptes militaires israéliens par le journaliste palestinien Younis Tirawi, montrent le bâtiment de l’école en feu derrière les soldats israéliens.

Le bâtiment n’était pas encore noirci par les flammes sur les images diffusées dimanche par l’armée israélienne. Deux jours plus tard, on le voit en partie calciné dans la vidéo du prisonnier diffusée par Amit Segal, ainsi que dans celle publiée mercredi par le porte-parole de l’armée israélienne. L’incendie des écoles a également été corroboré par les soignants de l’hôpital voisin (dont les générateurs auraient été touchés par les flammes), interrogés par Reuters mardi.

Préoccupation internationale

Dans sa dernière déclaration, datée du 23 octobre, le porte-parole arabophone de Tsahal donne le chiffre de « 20 000 Palestiniens qui ont quitté la région de Jabalia » (les habitants du nord de Gaza se comptent par centaines de milliers), tout en évoquant une pression militaire israélienne accrue contre le Hamas. Une situation décrite comme « la levée du siège imposé par le Hamas » sur la zone, qui chercherait à empêcher les civils de partir.

Comme VérifierActualités a écrit, l’organisation terroriste a effectivement appelé le 6 octobre « Les citoyens du nord de Gaza doivent ignorer les menaces israéliennes. » Or, les témoignages recueillis par différents médias comme CNN ou les médias israélo-palestiniens +972 depuis le début du siège, décrivent des incidents au cours desquels des civils cherchant à évacuer le nord ont été pris pour cible par les forces israéliennes.

Les questions soulevées par ce vaste mouvement de population ne se limitent pas aux images diffusées ces derniers jours. Ils s’inscrivent dans la continuité d’une préoccupation internationale exprimée de plus en plus ouvertement autour de l’action israélienne dans le nord de Gaza. Et cela une semaine après la publication dans la presse d’une lettre adressée par l’administration Biden au gouvernement israélien, qui déplorait alors un effondrement de l’aide humanitaire à Gaza, exigeant du pays une amélioration significative d’ici 30 jours, faute de quoi les États-Unis suspendre une partie de son aide militaire à Israël.

Mais aujourd’hui, les préoccupations ne se limitent plus à la livraison de nourriture, d’eau et de carburant. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déclaré mardi 22 octobre que« Après plusieurs jours d’action militaire, les rapports en provenance du nord de Gaza sont horribles. Les souffrances humaines dues à la famine infligée (par les décisions d’Israël) et aux déplacements forcés sont injustifiables. Des propos qui font écho à ceux diffusés le 20 octobre par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). Celui-ci « de plus en plus préoccupé par la manière dont l’armée israélienne mène les hostilités dans le nord de Gaza », ce qui pourrait notamment « entraîner la destruction de la population palestinienne dans le gouvernorat (à l’extrême nord de Gaza), par la mort et (le déplacement forcé). »

Désirs d’annexion

Dans un article publié lundi soir, le journal israélien de gauche Haaretz a fait état des doutes des diplomates américains et des principaux pays européens quant aux intentions de l’Etat juif, qui nie (publiquement et auprès de ce dernier) vouloir vider le Nord de sa population civile. L’un de ces diplomates, interrogé par le journal, a rapporté : « La première fois que Tsahal est entré dans cette zone, nous avons compris qu’Israël devait agir contre le Hamas. La deuxième fois, nous avons exprimé nos réserves et déclaré que sans plan diplomatique pour le lendemain, Israël devrait y retourner encore et encore. Cette fois, la réponse est différente. Nous sommes vraiment préoccupés par le fait qu’Israël fasse quelque chose de très dangereux, ce qui est catégoriquement interdit par le droit international. »

Ces craintes font écho plus ou moins explicitement au « plan des généraux » ou « plan Eiland », une option militaire formulée par des officiers israéliens à la retraite qui propose d’éradiquer le Hamas en assiégeant le nord de Gaza pour couper l’aide. humanitaire, et pousser ainsi l’organisation terroriste à « se rendre ou mourir de faim. » Si le projet est soutenu par plusieurs ministres, le gouvernement de l’Etat juif refuse de le réaliser. Tout comme d’éventuelles tentatives d’annexion d’une partie de Gaza, que Benjamin Netanyahu a démenties en mai et juillet. Mais cela certains de ses ministres l’ont ouvertement soutenu lors d’une conférence organisée lundi à la frontière entre Gaza et Israël.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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