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Barnier exempte les projets industriels du zéro artificialisation nette (ZAN)

 » Avec les règles actuelles, nous ne réussirons pas la réindustrialisation. Nous sommes restés coincés ! », pestait il y a quelques jours, à La Tribune, l’économiste Olivier Lluansi, auteur d’un récent rapport que le gouvernement n’a jamais publié. Cette loi ZAN, issue de la loi Climat et Résilience de 2021, vise à réduire, d’ici 2050, le taux d’artificialisation nette des terres à zéro.

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Le message semble avoir été entendu, comme l’a laissé entendre le Premier ministre lors de son discours de clôture du dernier congrès des maires, la semaine dernière à Paris. Lors d’un déplacement à Limoges, vendredi 29 novembre, au sein de l’entreprise Texelis, Michel Barnier a annoncé que la filière allait être exemptée de cette loi ZAN, pour une durée de cinq ans. Le ministre délégué chargé de l’Industrie, Marc Ferracci, a mené une campagne acharnée ces derniers jours pour parvenir à cet arbitrage.

«Dès que le ZAN est confronté à la réalité, il faut créer une dérogation. Alors le plus simple et le plus efficace serait de nous écouter, de changer la loi pour mettre en place un système qui part des réalités du terrain et qui permettra le développement local, tout en évitant la dispersion urbaine et donc en luttant contre l’artificialisation des sols. », réagit David Lisnard, conseiller municipal (LR) de Cannes et président de l’association des maires de France.

Matignon précise également que cette initiative « sera soumis à une clause de révision » à l’issue de cette période, soit une évaluation. « La planification se réfléchit sur une longue période : que se passe-t-il après cinq ans ? Devons-nous changer la règle ? Comment dialoguer avec les industriels dans ce dispositif ? « , s’interroge Guislain Cambier, sénateur (UDI) du Nord et co-auteur d’une loi adoubée par Michel Barnier fixant une trajectoire de réduction de l’expropriation foncière en concertation avec les élus locaux (TRACE).

A ce jour, pour de nombreux élus locaux, chefs d’entreprise et syndicats patronaux, cette loi ZAN constitue un frein important à la dynamique de réindustrialisation, en protégeant des milliers, voire des dizaines de milliers d’hectares disponibles. Or, c’est un point essentiel.

Selon le rapport Mouchel-Blaisot, relatif à la mobilisation des fonciers industriels, il estime les besoins en fonciers pour le développement de l’industrie à 22 000 hectares dans un scénario d’augmentation de deux points de la part de l’industrie dans le PIB d’ici 2030. Aujourd’hui , sa part dans le produit intérieur brut français dépasse à peine 10 %.

 » C’est une bonne nouvelle »

Début octobre déjà, à l’issue de 70 auditions et d’une consultation en ligne à laquelle ont répondu 1.400 élus locaux, les parlementaires du Sénat avaient appelé à « lever temporairement et de manière ciblée la contrainte pour faire face à l’urgence de la crise du logement et de la crise climatique ».

« Les réglementations relatives à l’artificialisation des terres entrent en conflit avec la réindustrialisation et l’accès au logement. »

Le groupe de travail du Sénat sur le sujet avait alors recommandé d’exclure, jusqu’en 2031, les nouvelles constructions de logements sociaux pour les communes confrontées à une pénurie foncière. Il en va de même pour l’ensemble des établissements industriels, sachant que ces derniers ne représentent « que » 4 % des nouvelles surfaces artificialisées. L’exécutif semble donc avoir suivi les recommandations du Sénat, qui séduit déjà certains élus de premier plan.

« Cela fait des mois que nous plaidons pour une pondération. Par exemple, nous avons demandé qu’un hectare d’industrie soit compté comme un demi-hectare. C’est un excellent signal que le Premier ministre s’empare du sujet de la réindustrialisation. Plus nous aurons d’industrie, moins nous aurons de problèmes financiers», réagit Sébastien Martin, président (LR) du Grand Chalon (Saône-et-Loire), président des Intercommunalités de France, très engagé sur le sujet.

« C’est une bonne nouvelle pour l’industrie et les territoires qui souffrent de faillites commerciales. Il ne faut cependant pas oublier le logement, car les deux vont de pair. Dès qu’on a une implantation industrielle, il faut lâcher les rênes du logement pour la collectivité concernée », ajoute Christophe Bouillon, maire (PS) de Barentin (Seine-Maritime), président de l’association des petites villes de France et patron de L’Agence nationale de cohésion territoriale.

Dispense d’enquête publique

Mais Matignon entend aller plus loin.  » Le périmètre de la Commission nationale du débat public (CNDP) sera revu pour exclure les projets industriels », engage l’exécutif. Une telle mesure pourrait faire gagner six à douze mois aux porteurs de projets.

« La suppression annoncée marquerait un recul des droits dont jouissent les citoyens en matière environnementale et une atteinte au principe de non-régression du droit de l’environnement. Cela reviendrait à réduire l’accès de chacun à l’information et à la participation. a déclaré le président du CNDP, Marc Papinutti.

Par ailleurs, le double degré de juridiction sera supprimé pour les litiges liés aux projets industriels. Cette dernière initiative, qui permettrait de gagner jusqu’à 18 mois de traitement des dossiers, était déjà inscrite dans la loi Industrie Verte.

« Sur le principe de ces nouvelles mesures, pourquoi pas ! A condition qu’elle soit réglementée, car sinon, c’est la porte ouverte à une artificialisation à gogo. En tout cas, cela dépendra du Parlement », précise Jean-Philippe Dugoin-Clément, le vice-président (UDI) du conseil régional d’Île-de-France chargé du logement et du développement régional durable.

Actuellement, l’industrie occupe 4,5% des surfaces artificialisées, soit près de 228 000 hectares, dans le pays. Mais le rapport Mouchel-Blaisot préconise que, sur les 22 000 hectares nécessaires à la réindustrialisation du pays, 13 500 proviennent de la densification de sites industriels existants ou encore de la réhabilitation de friches. Selon une étude du Cerema de 2022, 5 918 friches représentent un potentiel d’accueil de projets industriels.

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