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La population iranienne « ne croit plus au régime, le Liban ou Gaza, ce n’est pas son combat »

Et la population iranienne dans tout ça ? Depuis samedi dernier et la réponse de la République islamique d’Iran à l’attaque israélienne contre son consulat en Syrie, les analyses sur l’escalade redoutée au Moyen-Orient se multiplient. Qu’en est-il de la position du peuple iranien face à ce conflit mené par ses dirigeants ?

Pour une grande partie de la société, « la question israélienne ne les concerne pas directement » explique 20 minutes Amélie Chelly, Iranologue, chercheuse à la Sorbonne Nouvelle et auteur de Coran de sang (éditions du Cerf). Elle en subit même les conséquences directes, économiques, financières et répressives, ajoute Azadeh Kian, franco-iranien, professeur de sociologie à l’université Paris Cité et auteur de Les femmes et le pouvoir en Islam (Michalon).

Femme, vie, liberté… Étouffé ?

Si des scènes de liesse et des explosions de joie ont été diffusées à l’extérieur suite à l’attaque de drone lancée samedi contre Israël, difficile de dire qu’il s’agit d’un soutien populaire sincère et représentatif. . Au contraire. « C’est une minorité, et même les milices du régime, qui torturent et violent », affirme sans ambages Bahareh Akrami, une illustratrice d’origine iranienne qui anime une revue de dessin actuelle sur le blog Mediapart.

Cette propagande visuelle cache en réalité l’impopularité majoritaire de l’État iranien auprès de sa population. On se souvient des mois de manifestations de grande ampleur qui ont suivi la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Si cette contestation ne se traduit plus par l’agitation de foules en colère dans les rues de Téhéran et ailleurs, elle reste bien ancrée dans la société civile iranienne. « Il y a eu une expansion à toutes les classes sociales et à tous les âges, et surtout il y a une représentation de ce mouvement comme quelque chose qui ne peut pas avoir de fin, un courant qui a vocation à perdurer », analyse Amélie Chelly.

Une impopularité réprimée

Cette protestation s’exprime depuis longtemps par la désobéissance civile, notamment de la part des femmes qui osent sortir sans voile malgré le risque de sanction. Mais avec l’escalade des tensions entre Téhéran et l’Etat hébreu, le régime islamique a redoublé d’efforts dans la répression en remettant dès samedi la police des mœurs dans les rues pour réprimer tout écart au port du voile. « On voit beaucoup de vidéos de femmes agressées, harcelées sexuellement, battues. Tous ceux qui ont témoigné sur les réseaux sociaux ont été arrêtés », précise Bahareh Akrami. Car la priorité du régime est de se maintenir, et donc d’empêcher tout signe de rébellion en interne.

Ce serrage de vis anticipé s’accompagne d’une intolérance totale à l’égard des critiques de la stratégie militaire adoptée par le régime iranien : « les Gardiens de la révolution ont ordonné que personne ne s’oppose à leur stratégie militaire. Même les journalistes qui ont osé critiquer l’attaque sur les réseaux sociaux ont vu leurs journaux suspendus. Ils tentent par tous les moyens d’étouffer toute forme de protestation en Iran », rapporte Azadeh Kian.

Faible à l’intérieur, fort à l’extérieur

Le régime des mollahs sait qu’il est effectivement critiqué. « Il a peur de son peuple et craint qu’en cas de guerre, il ne soit pas soutenu à l’intérieur de ses frontières », estime Azadeh Kian, c’est pourquoi il se renforce à l’extérieur. Car ces actions contre Israël le galvanisent aux yeux des populations arabes voisines. L’État iranien apparaît comme « l’ultime bastion du soft power antisioniste alors qu’une grande partie des pays arabes ont normalisé leurs relations avec Israël », souligne Amélie Chelly.

Il est « considéré comme le seul régime au monde à véritablement soutenir les Palestiniens », déclare Azadeh Kian. Les « exaltés », comme les appelle Amélie Chelly, ceux qui vénèrent le régime islamique sont en effet hors d’Iran, ils sont au Liban avec le Hezbollah, à Gaza avec le Hamas, au Yémen avec les Houthis… Le régime ne survit pas aujourd’hui. seulement grâce à ces tensions qu’il crée lui-même”, résume le sociologue.

« Ni Gaza ni le Liban »

Si les mollahs ont besoin de la guerre pour se renforcer et détourner l’attention, c’est actuellement un conflit qui ne concerne pas les Iraniens. L’un des slogans repris lors des grandes manifestations de ces dernières années révèle l’opinion publique sur la politique étrangère du régime : « Ni Gaza ni le Liban, mon cœur va à l’Iran ». En sous-texte : « laissez-nous notre économie, arrêtez d’envoyer des fonds à Gaza pour le Hamas, au sud du Liban pour le Hezbollah ». « Ils ne sont pas préoccupés en tant que peuple par ce qui se passe à Gaza ou au Liban. Ce n’est pas leur combat. Pourquoi les Iraniens devraient-ils être en conflit avec Israël ? », demande Azadeh Kian.

La principale préoccupation est la situation économique et financière. Déjà catastrophique, la situation s’est aggravée avec les représailles lancées samedi. L’inflation a augmenté, le taux de change s’est dégradé… Une pilule qui passe mal sachant qu’une partie des ressources obtenues par la vente du pétrole iranien est destinée à des mandataires extérieurs. « Cette population ne fait que subir les conséquences de cette politique étrangère du régime islamique », regrette Azadeh Kian. Si l’État profite de ce conflit pour faire taire toute contestation interne, « la population ne veut pas reculer », estime finalement Bahareh Akrami. Elle considère la colère populaire comme « un profond mouvement de masse dans la société. C’est un changement que nous n’avons jamais vu auparavant. Les gens n’y croient plus, ne croient plus à ce régime. »

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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