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Après neuf mois de guerre dans la bande de Gaza, la collecte de fonds en ligne comme « dernier recours » pour fuir

Pour les civils palestiniens qui ne peuvent pas payer les frais exorbitants exigés pour traverser la frontière avec l’Égypte, le financement participatif apparaît comme la seule alternative à l’exil forcé.

« Beaucoup de gens disent que nous ne pouvons rien faire pour soutenir les Palestiniens. (…) Pourquoi ne pas faire un don à une campagne de financement participatif certifiée ? » Dans la nuit noire de Gaza, Ahmed, 21 ans, se filme avec son téléphone. Depuis plusieurs semaines, cet étudiant en médecine à l’université al-Azhar de Gaza publie sur son compte TikTok de courtes vidéos en anglais avec sa sœur. Ses appels à la générosité ne visent pas à soutenir les ONG humanitaires présentes dans l’enclave, mais à financer l’évacuation de sa famille vers l’Egypte.

Dans la description de son profil sur le réseau social, un lien redirige vers une cagnotte hébergée sur le site américain GoFundMe. Son initiative est loin d’être isolée. Sur la plateforme de financement participatifLes campagnes de soutien aux civils de Gaza ont pris des proportions sans précédent. « Nous avons constaté une incroyable vague de soutien envers les personnes touchées par le conflit actuel au Moyen-Orient »rapporte Elisa Liberatori Finocchiaro, directrice des affaires générales de GoFundMe. En moins de neuf mois, 150 millions de dollars (139 millions d’euros) ont été versés.

Pour des dizaines de milliers de civils bloqués dans la bande de Gaza, les permis de sortie émis par l’agence de voyage égyptienne Hala Consulting and Tourism représentent le seul moyen de quitter l’enclave. Mais depuis le début de la guerre, Les prix de ces graines de sésame ont grimpé en flèche. L’entreprise Hala, propriété de l’homme d’affaires et chef bédouin Ibrahim al-Argani, proche du président égyptien al-Sissi, est accusée d’avoir gonflé les prix. « Ce n’est pas une entreprise, c’est un gang » résume Assia*, une Palestinienne de la ville de Gaza qui tente de fuir avec sa famille.

« Nous ne leur faisons pas confiance. En fait, nous ne faisons confiance à personne, mais nous n’avons tout simplement pas d’autre choix. »

Assia, résidente de Gaza

à franceinfo

Permis sont achetés aujourd’hui au moins 5 000 $ (4 650 €) par personne, selon une enquête publiée par le collectif de journalistes OCCRP et le média égyptien Saheeh Masr. En conséquence, de nombreux Palestiniens sont obligés d’emprunter de l’argent ou vendre leurs biens pour quitter le territoire. Ameera et sa famille ont dû payer près de 40 000 dollars pour effectuer la traversée et se rendre au Caire. « PASNous avons dû vendre nos voitures, nos bijoux et utiliser toutes nos économies », explique l’étudiante en médecine, qui vit désormais en Egypte. Après avoir payé la somme demandée par la compagnie égyptienne, elle a attendu un mois avant d’obtenir l’autorisation de traverser la frontière par le checkpoint de Rafah. « Pour nous, l’attente a été très difficile. D’autant plus que mon grand-père est diabétique. »

Pour ceux qui ne peuvent pas payer ces sommes exorbitantes, le financement participatif est la seule alternative possible. Mais les conditions d’utilisation de GoFundMe restreignent l’utilisation de la plateforme aux civils palestiniens. Pour héberger une cagnotte sur le site, le créateur de la campagne doit être présent dans l’un des 20 pays où l’entreprise américaine est active et disposer d’un compte bancaire pris en charge par la plateforme. « Ces éléments sont indispensables au processus de vérification et de validation nécessaire au retrait des fonds »expliquer Elisa Libérateur Finocchiaro.

Cette liste restreinte n’inclut pas les territoires palestiniens, Israël ni les États du monde arabe.« Si une personne dans le besoin ne se trouve pas dans l’un de ces pays, elle peut travailler avec un ami ou un membre de sa famille qui s’y trouve et qui répond aux exigences (…) pour créer une collecte de fonds en son nom. »détails de l’entreprise. C’est le cas d’Ahmed, qui a demandé à sa tante, qui vit aux Pays-Bas, de créer la collection pour sa famille.

Mais une fois cette première barrière administrative franchie, d’autres défis attendent les candidats au départ, comme se faire connaître sur les réseaux sociaux.Trois mois après la création de sa collecte de fonds et malgré ses efforts, les dons peinent à arriver. « Nous avons déjà récolté 800 euros »explique l’étudiant palestinien, contacté par mail en juin. « Je consulte le site non pas tous les jours, mais toutes les heures. Pour l’instant, c’est loin d’être suffisant : il nous faudrait 30 000 dollars rien que pour pouvoir (…) recommencer notre vie à zéro.

Pour Assia, le constat est tout autre. Avec 160 000 dollars récoltés en quelques jours, la levée de fonds de la jeune femme rencontre un succès inespéré. « J’ai créé mon chaton assez tard par rapport aux autres »explique-t-elle. Sceptique à l’idée de quitter l’endroit où elle a grandi, Assia a décidé d’ouvrir une cagnotte fin avril. Face à la faim et à la famine dans le nord de la bande de Gaza, « La situation était devenue insupportable. » Cette initiative constitue son « la seule issue possible ».

Au début, Assia dit avoir envoyé des messages à des créateurs de contenu étrangers pour essayer d’obtenir une certaine visibilité. Après deux mois d’efforts et de messages sans réponse, « J’ai décidé de faire mes propres vidéos au lieu de faire appel à des influenceurs », explique-t-elle. Début juin, elle s’est lancée sur TikTok, sans grande expérience. Avant la guerre, « Tous mes comptes sur les réseaux sociaux étaient privés, je n’étais pas forcément très actif. »

« De temps en temps, j’écris mes vidéos pour mieux guider les gens. Beaucoup de gens veulent nous aider, mais la plupart ne savent pas comment. »

Assia, résidente de Gaza

à franceinfo

Avec un ton calme et un regard fixe vers la caméra, elle a publié une première vidéo, puis une seconde, qui est devenue virale. « Je ne suis pas un expert (…), mais mon niveau d’anglais a peut-être facilité les choses », explique-t-elle. Son compteur affiche désormais plus de 100 000 abonnés TikTok et plusieurs millions de vues. Cette notoriété inespérée lui a permis de toucher une manne providentielle. « Nous n’avions pas reçu un dollar au cours des deux derniers mois et en une semaine, nous avions atteint 70 000 dollars. » Depuis, les coups de main continuent d’affluer. Plus de 8 000 dons pour Assia et sa famille ont été effectués depuis que la cagnotte est en ligne. « Je ne pourrais pas être plus reconnaissant pour votre soutien. »elle a écrit à ses donateurs.

Mais ces collectes numériques se révèlent parfois épuisantes. Entre colère et culpabilité, Ahmed avoue être habité par un sentiment de malaise. « Avant la guerre, ma famille donnait aux gens dans le besoin. L’idée de recevoir de l’argent était quelque chose de très difficile.. Mais j’ai finalement accepté cela.il dit. « Nous vivons dans un monde injuste. Nous avons tout perdu : notre maison, notre université et notre patrie. Ce chaton est notre échappatoire à cette réalité.

Même si Ahmed parvient à réunir l’argent, il sait que le plus dur reste à venir et que s’adapter à une nouvelle vie en Égypte sera un défi majeur. « Je vais devoir recommencer mes études à zéro. Les universités égyptiennes avec lesquelles j’ai été en contact ne reconnaîtront pas les années que j’ai passées ici. »il confie.

Assia partage également ce sentiment : « Je n’attends qu’une chose, atteindre l’objectif fixé pour enfin supprime mes vidéos. En fait, nNous ne sommes pas des gens habitués à demander de l’aide, surtout de l’argent. Face à l’insécurité dans l’enclave palestinienne et à l’urgence de la situation humanitaire, Gaza a surmonté ses réticences à ouvrir sa tirelire. « C’est le prix de nos vies. Nous n’avions pas le choix. »

* Le prénom a été modifié à la demande de la personne concernée. Pour respecter son anonymat, nous n’avons pas inclus de lien vers son chaton.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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