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Après l’Ukraine, la Russie peut-elle vraiment envahir la Moldavie?

Cela fait plus de deux ans que la guerre en Ukraine s’est étendue à l’ensemble du territoire ukrainien. En Europe, l’action militaire de la Russie a provoqué une onde de choc. A Kyiv, l’étonnement était total. En Pologne, dans les pays baltes et ailleurs en Europe de l’Est, le choc de voir le Kremlin mettre en œuvre ce qu’il annonçait depuis plus de quinze ans a été immense. Mais un pays a dû ressentir le réveil de ces sentiments avec une intensité encore plus grande : la Moldavie.

Contrairement à certains de ses voisins d’Europe de l’Est (comme le plus proche, la Roumanie), la Moldavie n’est pas membre de l’Union européenne (UE). L’existence d’une région pro-russe et sécessionniste de la Moldavie sur son flanc oriental, la Transnistrie, rend les négociations difficiles depuis près de quarante ans, alors que la République moldave s’attache à respecter une certaine neutralité entre l’Occident et la Russie.

Avec une présence militaire russe depuis 1992 en Transnistrie – État autoproclamé, mais non reconnu par une grande majorité des pays de l’ONU, dont la Russie –, la guerre en Ukraine a attisé l’idée d’une invasion du territoire moldave. A Chișinău, la capitale, la peur est là. Mais qu’est-ce que c’est réellement ?

Depuis février 2022, une question revient régulièrement : après l’Ukraine, la Russie peut-elle réellement envahir la Moldavie ? En a-t-elle les moyens ? Moscou a-t-elle réellement intérêt à ouvrir un nouveau front, alors que la situation en Ukraine est déjà largement contenue ? C’est difficile à prédire. Mais des éléments de réponse existent. Alors, l’Ukraine aujourd’hui, la Moldavie demain ?

Carte de la Moldavie et de la Transnistrie (en rouge). | Celeron via Wikimedia Commons

Entre Russie et Moldavie, des relations tumultueuses

Entre 1940 et 1991, la Moldavie, connue sous le nom de République socialiste soviétique de Moldavie, était sous la domination de Moscou et de l’URSS. Lorsque les pays d’Europe de l’Est concernés ont déclaré leur indépendance de l’Union soviétique, certaines régions autonomes de ces États n’ont pas voulu voir leurs relations avec la Russie se détériorer. En ce sens, une partie des populations russophones refuse l’indépendance de la nouvelle République moldave.

Ainsi, la République moldave du Dniestr (RMD), communément appelée Transnistrie (ou Transnistrie), déclare unilatéralement son indépendance. Avec Tiraspol pour capitale (est de la Moldavie, proche de la frontière avec l’Ukraine), le RMD demande son rattachement à la Russie. Cela a été refusé par l’administration de Chișinău et son président de l’époque, Mircea Snegur, déjà à la tête de la République socialiste soviétique de Moldavie avant l’éclatement de l’URSS.

Pour Mircea Snegur, il était difficile d’imaginer voir la Transnistrie devenir indépendante. Moteur économique de la Moldavie, doté de fortes ressources industrielles, cette région fut la cible des principaux investissements de la RSS de Moldavie durant la période soviétique.

Les populations slavophones et russophones craignaient, quant à elles, que leurs avantages hérités de l’URSS et de sa politique à l’égard des minorités ne leur soient retirés. Une guerre éclate entre Chișinău et Tiraspol. Boris Eltsine, président russe (1991-1999), est intervenu comme arbitre dans ce conflit armé, appelé « guerre du Dniestr » (mars à juillet 1992). Il suspend les combats avec un cessez-le-feu signé le 21 juillet 1992, sans qu’une solution durable ne soit trouvée.

La Transnistrie continue d’exister et possède ses propres institutions, monnaie et constitution. La Transnistrie reste cependant, de facto, une région autonome de la Moldavie, alors que seules l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et le Haut-Karabakh reconnaissent son existence (eux-mêmes n’étant pas reconnus par la communauté internationale). Cette région séparatiste pro-russe reste aujourd’hui une source de tensions entre Moscou et Chișinău. La Russie y stationne toujours 1 500 soldats, ce que la Moldavie déplore et considère comme un moyen pour Moscou d’exercer une pression sur l’ensemble du pays.

Après son arrivée au pouvoir en Russie en 2000, Vladimir Poutine a hérité de cette situation en Transnistrie, dans ce que l’on peut qualifier de conflit gelé. La Russie continue de soutenir cette région avec des investissements importants, tant dans l’industrie que dans le secteur de la défense.

Cependant, la région reste dépendante de la Moldavie pour l’exportation d’une partie de ses marchandises. Tout comme avec l’UE, qui est l’un de ses principaux partenaires commerciaux. Or, les produits manufacturés comportent la mention « Made in Moldavie », ce qui a pour effet de rendre cette réalité invisible. Outre une présence militaire russe sur le sol de Transnistrie, la Russie est donc un acteur clé dans cette région, même si elle n’est pas la seule, on l’aura compris.

Difficulté sur le front ukrainien

De son côté, le pouvoir central de Chișinău a amorcé, au fil des années, un rapprochement avec les institutions européennes. Maia Sandu, présidente de la République moldave depuis décembre 2020, illustre cette tendance. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu pour effet de susciter une demande d’adhésion à l’UE. La Moldavie a déposé cette demande pour y adhérer à partir du 3 mars 2022, avant d’avoir droit au statut de pays candidat à l’Union européenne le 23 juin 2022 (en même temps que l’Ukraine).

En décembre 2023, après une précédente recommandation de la Commission européenne en ce sens, une négociation officielle d’adhésion a été ouverte par le Conseil européen. Mais la Moldavie doit encore respecter certains devoirs, notamment en matière de droit et de transparence de la vie politique. Faisant preuve d’un soutien diplomatique sans faille à l’Ukraine face à la Russie, les deux pays affichent leur proximité, y compris face à ce long processus d’adhésion à l’UE.

Le 28 février 2024, un événement rappelle le degré de tension qui règne dans cette région. Les dirigeants de Transnistrie ont appelé la Russie à « protéger » d’un éventuel massacre, perpétré par la Moldavie. De son côté, Moscou a répondu que la protection des intérêts des habitants de la région était « une priorité ».

Face à ces déclarations, la crainte d’une invasion russe a refait surface, alors que ces propos rappellent ceux tenus par Vladimir Poutine à propos des populations russophones du Donbass, quelques jours avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. De plus, la Transnistrie, foyer des soldats russes, n’est qu’à quelques centaines de kilomètres du port d’Odessa en Ukraine, l’un des principaux objectifs militaires de l’armée russe. Un mois plus tard, l’armée russe n’a toujours pas bougé en Transnistrie.

La situation en Ukraine, avec les zones contrôlées par les forces ukrainiennes et russes au 9 avril 2024. | Infographie AFP / Valentin Rakovsky, Sophie Ramis et Cléa Péculier

Si la crainte d’une escalade est réelle, il est néanmoins difficile d’imaginer la Russie ouvrir un nouveau front en Moldavie. Sa présence en Transnistrie lui confère déjà un avantage stratégique important. Et la Moldavie ne présente pas de caractéristiques économiques intéressantes pour la Russie, contrairement à l’Ukraine et à ses ressources en blé absolument inestimables.

Les dirigeants moldaves, qui accusent Moscou de mener une guerre hybride contre Chișinău, comme le rappelait Maia Sandu dans les colonnes du Monde du 7 mars, se sont toutefois bien gardés de présenter une candidature à l’OTAN, conscients des limites de ne pas croix. La Moldavie s’est également historiquement engagée à rester neutre, cette neutralité étant directement mentionnée dans sa Constitution.

Une invasion de la Moldavie reste aujourd’hui difficilement imaginable. La Russie n’a pas atteint ses objectifs militaires en Ukraine et la guerre continue de s’enliser, avec une impasse tactique observée ces derniers mois. Mais Moscou pourrait être tenté de favoriser l’émergence d’une figure pro-russe. Selon plusieurs sources citées par le New York Times, la Russie tente depuis plusieurs années de déstabiliser le gouvernement pro-occidental en promouvant Ilan Shor, un oligarque moldave réputé favorable aux intérêts du Kremlin en Moldavie.

Il se trouve actuellement en Israël pour éviter une peine de prison pour fraude et blanchiment d’argent. Sur les réseaux sociaux ou dans la rue, la présence pro-russe en Moldavie se fait entendre. Ilan Shor serait l’homme derrière ces magouilles, avec le soutien de Moscou. C’est probablement plus par ce biais que par une intervention militaire que la Russie souhaite influencer les orientations politiques moldaves.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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