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à l’usine Metex d’Amiens, la gauche tente de retrouver des couleurs sociales

En pleine campagne électorale, les têtes de liste des partis de gauche multiplient les visites sur le site d’une usine d’Amiens menacée de liquidation à cause de la concurrence chinoise.

Le costume bleu est recouvert d’une blouse blanche, les chaussures noires troquées contre des chaussures de sécurité. Casque sur la tête, Raphaël Glucksmann est prêt à visiter l’usine Metex Noovistago, dans le quartier nord d’Amiens (Somme). Sous une pluie légère, mardi 14 mai, la tête de liste PS-Place publique aux élections européennes suit le directeur de l’usine à travers les gigantesques cuves métalliques et les panaches de fumée au parfum aigre-doux. Dans ces appareils, Metex fait fermenter des milliers de tonnes de sucre pour produire de la lysine, un acide aminé utilisé pour nourrir les porcs et les volailles, et pour fabriquer certains médicaments comme l’ibuprofène.

Dans les couloirs des bureaux, des portraits en noir et blanc de salariés sourient aux visiteurs du jour. Mais sur le site, les visages sont inquiets. L’usine est à l’arrêt jusqu’au 27 mai, date limite des offres de rachat. Sinon, elle cessera ses activités cet été. Si tel est le cas, 300 salariés perdront leur emploi, tandis qu’un millier d’emplois seront indirectement touchés.

Le dernier site en Europe à produire de la lysine attire les leaders de la campagne. Certains y voient un cas d’école de la désindustrialisation en France et des blocages de l’Union européenne. « Non au dumping chinois », affiche une banderole rouge accrochée à l’entrée. L’entreprise est en déclin depuis des mois en raison de la hausse des prix du sucre et de l’énergie et de la concurrence de la lysine chinoise, bien moins chère. L’occasion pour les candidats de vanter leurs mesures protectionnistes, dans l’espoir de reconquérir un électorat plus tenté par l’abstention ou le Rassemblement national (RN).

« L’Europe doit faire son travail »souffle Raphaël Glucksmann dans les locaux de Metex, c’est-à-dire taxant « massivement » Lysine chinoise. Pendant que l’essayiste déambule, escorté par une quinzaine de journalistes, des grappes d’employés quittent l’usine en fin de journée. Certains tentent d’esquiver discrètement les caméras. Ces dernières semaines, ils ont déjà vu défiler pas mal d’hommes politiques.

La veille, la tête de liste de La France insoumise, Manon Aubry, avait fait le déplacement. Devant l’usine, elle s’est entretenue avec les salariés. Il s’agissait de sa deuxième visite après un rassemblement fin mars où étaient présents les têtes de liste écologiste, Marie Toussaint, et communiste, Léon Deffontaines. Le candidat PCF dénonce un « triple scandale » : « social, économique et écologique »car la lysine Metex émet cinq fois moins de carbone que la lysine chinoise, selon l’entreprise.

« L’usine Metex est au cœur de tous les dysfonctionnements européens. C’est pourquoi il est à l’honneur dans cette campagne.

Léon Deffontaines, tête de liste communiste aux élections européennes

sur franceinfo

Après le début de la campagne centrée sur l’Ukraine, Raphaël Glucksmann a choisi cette étape pour donner des engagements sociaux. Une fois la visite de l’usine terminée, il se rend à un rendez-vous à Camon, dans la banlieue d’Amiens. « Metex est le symbole de l’impuissance de l’Union européenne et de la France, une usine abandonnée par l’Europe », dénonce-t-il devant 300 personnes. La solution ? « Protéger la souveraineté industrielle et sanitaire » s’inspirant de « Le Canada qui taxe certains produits à 245% ».

De son côté, Manon Aubry est venue promettre de« emmener le Metex à Bruxelles ». Manière de montrer que la question de l’emploi est au cœur de son agenda, après avoir été éclipsée ces dernières semaines par la question palestinienne. En attendant d’être invités dans la capitale belge, deux syndicalistes de Metex ont été invités à la tribune du meeting LFI à Amiens, devant 400 personnes. L’eurodéputé insoumis défend également « une taxe aux frontières » Européen.

Les syndicats assurent que tous les candidats leur ont dit « la même chose » et n’ai que la parole « protectionnisme » À la bouche. Une promesse qui risque d’être difficile à tenir compte tenu des divergences entre les Vingt-Sept sur les règles commerciales, mais qui montre une gauche unie face au libre-échange. Devant les micros, les têtes de liste affichent pourtant leurs différences. L’usine devient le théâtre d’un match à distance entre la liste PS-Place publique, en tête de la gauche dans les sondages, et La France insoumise.

En réunion, le député local François Ruffin pointe son « des désaccords évidents » avec Raphaël Glucksmann : sur la réforme des retraites (le socialiste est contre tout départ à 60 ans), le marché européen de l’électricité (qu’il ne veut pas quitter) ou encore l’adhésion de l’Ukraine, facteur de nouvelles délocalisations, selon l’élu insoumis. Mais le député de la Somme se réjouit de l’arrivée de celui qu’il juge « Au-dessus du sol » Et « débranché » : « Tant mieux si les Metex, les travailleurs picards, attirent l’attention de Paris. »

«Maintenant, les socialistes viennent ici, les ministres viennent ici. Et ils nous parlent de souveraineté industrielle. C’est notre victoire idéologique !

François Ruffin, député LFI

en réunion à Amiens le 14 mai

De son côté, le communiste Léon Deffontaines accuse Manon Aubry et Raphaël Glucksmann de« incohérences ». « On ne peut pas réindustrialiser le pays en sortant du nucléaire, comme le dit LFI, et en restant dans le marché européen de l’électricité, comme le veut le PS. »

Les beaux discours sauveront-ils la dernière usine de lysine d’Europe ? Autour d’elle, la zone industrielle d’Amiens porte quelques cicatrices : l’ancien site Whirlpool, où travaillaient 1 500 ouvriers il y a vingt ans, est en friche depuis la délocalisation de l’activité en Pologne malgré la médiatisation lors de l’élection présidentielle de 2017. Un peu plus loin. , l’usine de pneus Goodyear a également fermé ses portes en 2014, laissant derrière elle un millier d’employés.

L’intérêt récent des candidats européens pour Metex alimente les soupçons de redressement politique. « Ça va être le grand défilé. Les politiques viennent parce qu’ils sont en campagne, pour dire qu’ils s’en occupent, mais après, les gens seront laissés tranquilles »déclare Antonio Abrunhosa, ancien délégué CGT chez le fabricant d’électroménager Whirlpool.

« S’il y a une reprise politique, cela nous dépassesourit Samir Benyahya, délégué CFDT (syndicat majoritaire) de Metex. Notre objectif est de faire du bruit, de faire parler de nous, pour que nous ne soyons pas mis de côté. »poursuit celui qui travaille ici depuis 21 ans. « Nous essayons de faire pression sur l’Etat »acquiesce son collègue Christophe Ranouille, responsable logistique depuis six ans et délégué CFE-CGC.

C’est d’ailleurs l’intersyndicale Metex qui a sollicité les candidatures, une initiative que la direction voit favorablement. « Tout ce qui peut faire parler de nous est positif », appuie le directeur général de l’usine, David Demeestere. Le calendrier électoral tombe à point nommé : les têtes de liste sont bien plus présentes dans la dernière ligne droite avant le 9 juin. « Quand j’ai envoyé des mails aux politiques en octobre, personne ne m’a calculé, sauf François Ruffin. Je ne suis pas LFI, mais il connaît vraiment notre dossierse souvient Samir Benyahya. C’est pourquoi nous avons accepté de prendre la parole lors de la réunion, pour le remercier. »

Dans la manœuvre pour faire venir les candidats de gauche fin mars, François Ruffin assume sa méthode : « J’ai dit aux salariés et à la direction que je n’avais aucune garantie que nous gagnerions, mais de toute façon, cela ne passera pas comme une lettre par la poste. » Venu 13 fois à l’usine en un an avec son dossier sous le bras, le député assure qu’après six mois de négociations loin des caméras, il a décidé avec les syndicats de faire connaître le sort de Metex.

La campagne européenne sert de prétexte, car à ce stade il ne s’agit pas de convaincre Bruxelles de protéger l’usine de la concurrence chinoise. « Aujourd’hui, c’est l’État français qui peut sauver Metex en déroulant le tapis rouge à un repreneur », assure François Ruffin. Là « lutte contre le dumping au niveau européen » arrivera plus tard.

Les salariés ne sont pas naïfs face à l’exploitation de leur lutte par certains candidats, « qui viennent juste pour la photo ». D’autres rencontres, avec l’ancien LR Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, et la députée macroniste Ingrid Dordain, ont été beaucoup moins médiatisées. « Il y a des salariés qui nous critiquent pour la récupération politique »reconnaît le délégué CFDT, qui veut défendre François Ruffin. « S’il le fait un peu, cela me semble légitime, car il s’est rendu disponible pour nous. »

En choisissant de faire campagne dans cette usine de la Somme, les candidats de gauche s’aventurent sur des terres électorales pour le moins indifférentes, voire hostiles. Le très pro-européen Raphaël Glucksmann sait que le département a largement rejeté le traité constitutionnel européen lors du référendum de 2005 (près de 67%).

La gauche sait que sa survie est en jeu sur ce territoire. « Merci à François qui se bat pour que la Picardie ne soit pas reléguée pour toujours au RN », salue Manon Aubry depuis le podium. Dans la Somme, Marine Le Pen est arrivée première au second tour de l’élection présidentielle de 2022. En France, la majorité des travailleurs se détournent de la gauche : un sur deux envisage de voter pour le RN le 9 juin, selon un Sondage Ipsos publié le 29 avril.

Cela n’est pas une surprise pour Antonio Abrunhosa, dont la plupart des anciens collègues de Whirlpool « ne s’intéresse plus à la politique »ou voter « pour les extrêmes ». Le RN a cependant été peu entendu sur le dossier Metex. Deux responsables locaux étaient discrètement présents au rassemblement syndical organisé fin mars.

Ce n’est peut-être pas non plus auprès des salariés de Metex que la gauche peut espérer grappiller des voix. Lors d’un meeting, les candidats scandent tous le compte à rebours du vote européen. Mais les ouvriers de l’usine n’ont qu’une seule date en tête : le 27 mai, date limite avant la liquidation. « Les gens ne savent même pas s’ils passeront l’été en vacances ou au chômage. Donc le 9 juin, ce n’est pas leur affaire» affirme Christophe Ranouille, qui ne se fait aucune illusion. Si nous avons une décision positive, vous verrez que beaucoup de gens s’approprieront les choses. Mais si c’est négatif, on verra beaucoup moins de monde.»

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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