plus de 50 produits chimiques trouvés dans les analyses des enfants
SSamedi soir, au Méga CGR de La Rochelle, l’heure n’était pas à la fête. «Je suis inquiète», confie Lise, habitante de Bourgneuf, un village de la Rochelle, et mère d’un garçon et de deux filles. Comme 70 autres enfants, deux d’entre eux ont été testés par l’association Avenir, Santé, Environnement, créée suite au décès de Pauline des suites d’un cancer lymphatique à l’âge de 15 ans. Comme tous les autres parents, Lise attend les résultats avec anxiété. « On a un champ juste devant chez nous, on sent les odeurs de pesticides », décrit-elle.
Les enfants testés viennent de six communes de la plaine de l’Aunis : Bourgneuf, Saint-Rogatien, Périgny, Dompierre-sur-Mer, Montroy et Clavette. 408 molécules ont été recherchées dans leurs urines, 14 ont été trouvées. Dans les cheveux, 45 molécules ont été détectées sur les 353 étudiées. Très peu de données sont similaires entre les deux échantillons. Au total, plus de 50 produits chimiques différents ont été découverts. Aucun des 72 sujets de l’étude n’a bénéficié d’une analyse exempte de toute contamination. Les parents sont stupéfaits.
Pesticides interdits
Parmi la cinquantaine de produits retrouvés, 14 soulèvent plus de questions que les autres : ce sont des pesticides interdits. Il existe par exemple des néonicotinoïdes qui sont interdits depuis 2020. D’autres, comme le lindane, sont interdits depuis plus de vingt ans. Quant à l’usage de la dieldrine, il a été suspendu il y a plus de cinquante ans.
Comment les retrouver dans le corps des enfants en 2024 ? La persistance de ces produits dans l’environnement constitue une première explication mais elle n’est pas la seule, selon le chercheur venu décrypter les résultats à destination des parents. « Il existe des corrélations statistiques entre la proximité des enfants avec les champs, et un taux élevé de certains pesticides interdits », analyse Laurence Huc. Cela nous porte à croire que certains agriculteurs les utilisent encore dans le secteur. » Les visages des parents s’assombrirent au fur et à mesure des explications.
Sources multiples
L’agriculture reste l’un des plus grands émetteurs de pesticides trouvés. Propamocarbe, pendiméthaline, thiabendazole… « C’est une pollution invisible mais diffuse », commente le chercheur. D’autant que nous n’avons fait le test qu’une seule fois, mais les pesticides utilisés changent tout au long de l’année en fonction des cultures. »
Parmi les molécules retrouvées, certaines proviennent également de la pollution domestique. C’est le cas du fipronil utilisé contre les puces chez les animaux, ou du 2-phénylphénol présent dans les détergents. Le traitement du bois (poutres, parquet, terrasse…) peut également libérer de nombreuses molécules chimiques.
« Effet cocktail »
« Certains de ces pesticides sont cancérigènes, reprotoxiques, neurotoxiques ou perturbateurs endocriniens », prévient Laurence Huc. Chez certains enfants, jusqu’à dix molécules chimiques différentes ont été identifiées dans les cheveux. Augmentation des fausses couches, de l’infertilité, de l’autisme… « Nous constatons chaque jour les conséquences dans nos cabinets », assure avec agacement le docteur Louis-Adrien Delarue, membre de l’association Alerte des médecins sur les pesticides.
« On n’a trouvé que trois molécules dans ses cheveux, je m’estime presque chanceux ! »
A cela, il faut ajouter de probables « effets cocktails », prévient également la toxicologue : « On sait comment chaque molécule peut se comporter individuellement, mais combinée avec les autres, on peut craindre que ce soit encore pire », souligne-t-elle. Les études sur le sujet manquent.
Colère et consternation
Avant l’annonce des résultats, une manifestation a été organisée à La Rochelle dans l’après-midi. Après cette annonce, la consternation a régné parmi les parents. Un résident de Dompierre a par exemple fait tester sa fille de 12 ans. « On n’a trouvé que trois molécules dans ses cheveux, je m’estime presque chanceux ! », ironise-t-il. Avec sa femme, ils s’étaient préparés au pire : « On s’est dit que si on faisait tester notre fille, il fallait être prêt à prendre de grandes décisions en fonction des résultats, comme déménager. » Le père doit encore prendre le temps de décrypter en détail les résultats de sa fille.
Lise, qui se disait « inquiète » en début de soirée, est repartie « en colère ». « Il a dû y avoir des abus de la part des agriculteurs », s’énerve la mère. « Nous sommes en train de refaire le film. Est-ce pour cela que mon mari souffre d’une maladie chronique ? Qu’il fallait faire du PMA pour nos trois enfants ? Que notre dernière fille est née très prématurément, à seulement vingt-cinq semaines ? Nous ne le saurons probablement jamais. »