Au Liban, les rénovations de « façade » de la ville de Tripoli se font au détriment de la population
Sur les pavés caractéristiques des rues des souks de Tripoli, le claquement des talons des passants rythme les échanges entre clients et commerçants. Malgré la chaleur écrasante de cet après-midi de juin, les Tripolitains sont là.
Chaque jour, les passants se pressent pour faire leurs emplettes entre les madrassas (écoles coraniques), les mosquées, les hammams et les multiples souks. Pour les guides touristiques, les architectes et les chercheurs, chaque recoin de l’allée recèle son trésor. Tripoli est aussi la deuxième ville mamelouke après Le Caire. Et tout cet héritage a traversé les âges : entre la guerre civile, l’occupation syrienne, la corruption, la crise économique, pour n’en citer que quelques-uns.
Dans une ruelle où la lumière du jour peine à pénétrer la pierre, l’atelier de couture de Soumaya Taleb est niché au cœur des souks et donne directement sur la rue. La couturière est assise derrière sa machine, installée devant des rangées de tissus. Au-dessus, un petit ventilateur au moteur ronronnant tourne de droite à gauche, diffusant un courant d’air chaud.
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La Tripolitaine allume une cigarette. La réhabilitation des souks ? « Je regrette que ces rénovations n’aient pas été plus utiles à la population… A quoi bon rénover la pierre, de l’extérieur, quand on ne se soucie pas des gens qui vivent à l’intérieur ? » « Elle demande, dans une question rhétorique, en soufflant la fumée de sa cigarette. La veuve et mère de famille regrette l’argent payé en impôts, sans rien obtenir en retour, et l’inaction des pouvoirs publics.
« Rendre les souks touristiques »
De nombreux lieux et quartiers ont fait l’objet de réhabilitations et de rénovations, mais souvent au détriment de la population. C’est le cas du projet de développement urbain et du patrimoine culturel (CHUD), selon l’architecte tripolitain Bassem Zawdeh. Il précise que c’est le souk de l’or (Souq el Dahab) qui a été rénové en premier dans les années 1990.
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« C’est un prototype pour rendre les souks touristiques, mais ils n’ont pas suivi l’authenticité de la ville et les besoins de la population. Par exemple, les nouveaux matériaux utilisés ne sont pas authentiques, ils les ont trouvés à bon prix. Les souks ne ressemblaient pas à ça avant » se lamente-t-il.
C’est ce que l’anthropologue Manal Ginzali a constaté en interrogeant les habitants de Tripoli : dans les souks médiévaux, les besoins sociaux n’étaient pas pris en compte. « Parmi les personnes interrogées, certaines n’étaient pas satisfaites des changements et s’en sont plaintes, notamment concernant les matériaux utilisés et les zones piétonnes… »Selon elle, les souks sont importants pour la vie quotidienne, car à Tripoli, comme ailleurs au Liban, il y a peu de places publiques ouvertes ou de parcs.
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Une rénovation de « façade »
En face de l’atelier de Soumaya Taleb, à près d’un kilomètre de rues commerçantes, se trouve le célèbre Khan al Khiyatin (le souk des tailleurs), le plus ancien khan de Tripoli, construit au XIVe siècle. Dans sa ruelle rénovée et lumineuse, les rideaux, tissus et keffiehs suspendus au-dessus des devantures couronnent les arches des boutiques.
Au bout, une grande porte en bois s’ouvre sur la rivière Abu Ali et le reste de la ville. Là, sous une arche de pierre, un groupe de trois hommes discutent devant un mur de films piratés qu’un passant achète pour quelques dollars. « Ils ont rénové deux fois, ils ont tout détruit deux fois… »proteste Emad Maria, un vendeur de DVD. Autour de lui, les autres hommes hochent la tête en signe d’approbation.
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Pour de nombreux experts, les rénovations du patrimoine de Tripoli s’apparentent davantage à du façadeisme. Et les souks en sont un exemple flagrant. « Les projets de réhabilitation ont été réalisés sans tenir compte de la population. C’est une intervention de façade, comme se maquiller, c’est pour avoir quelque chose à montrer, prendre des photos et partager sur les réseaux sociaux »poursuit Manal Ginzali, qui s’intéresse de près à la valeur sociale du patrimoine culturel.
Si les devantures et les murs extérieurs sont jolis et propres, l’intérieur est dans un état pitoyable. Les appartements sont délabrés et leurs murs sont couverts de moisissures. Au-delà de la rénovation de la « façade », la vieille ville de Tripoli compte aussi de nombreux lieux historiques vides et abandonnés : khan (caravansérail), hammams ou encore madrassas (écoles coraniques).
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Toutefois, selon les organismes ayant participé au financement de sa rénovation, les résultats ont été jugés plutôt satisfaisants. La Banque mondiale et l’Agence française de développement (AFD) ont financé en partie le CHUD. L’AFD explique avoir mené plusieurs séances de consultation avec la population, notamment lors d’une « séance publique tenue à la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Tripoli réunissant des habitants et des commerçants des souks du sud ».
Selon les deux organisations, les résultats sont satisfaisants, selon un rapport d’évaluation de la Banque mondiale de 2017. L’AFD estime qu’un « La majorité des gens trouvent que l’image des souks s’est améliorée ».
Prenez les devants et faites-le vous-même
Bassem Zawdeh aimerait que Tripoli s’inspire de Tunis, en Tunisie. L’association ASM Tunis a été créée pour protéger la médina (vieille ville) de la capitale tunisienne. Il rêve d’une organisation dédiée à la vieille ville de Tripoli et voit plus loin :
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Le patrimoine architectural peut être un atout. Il peut contribuer à revitaliser un quartier, créer des emplois, apporter du tourisme, etc.
Il estime que ces lieux peuvent devenir des musées ou des centres culturels. « Cela rapporterait de l’argent pour la préservation des bâtiments »imagine l’architecte.
Entre frustration et colère face à ces rénovations qu’ils jugent inutiles, certains ont préféré prendre les devants. Dans le très animé Souq el Dahab (souk de l’or), un vendeur de café de rue claque ses tasses pour annoncer son arrivée. Des scooters pétardent et filent à toute allure. Au coin d’une de ces rues pavées se trouve la boutique de Ziad Al Kari. Il termine une transaction avec une cliente venue acheter un bijou. Membre de l’association des bijoutiers du quartier, le bijoutier estime qu’il ne faut rien attendre des autorités. « Ici, nous avons tout fait nous-mêmes. La première rénovation a été celle de l’électricité pour mieux la distribuer. Ensuite, nous avons nettoyé les chemins menant à la mosquée, les rues et d’autres rénovations. Nous avons payé tous les frais… »le bijoutier se vante.
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Avec ses rénovations, mais aussi un service de sécurité qu’ils espèrent employer prochainement, ils veulent remettre les souks de Tripoli sur la carte touristique du Liban. Pour que leurs rénovations profitent à tous les Tripolitains.
GrP1