28 mai 1802 : Le jour où Delgrès et ses compagnons choisirent la mort plutôt que le rétablissement de l’esclavage
Parmi les dates célèbres du mois de mai dans l’histoire de la Guadeloupe, celle du 28 mai 1802 n’est pas la moindre : Ce jour-là, Louis Délgrès et ses compagnons, fidèles à la proclamation écrite par lui au début du mois, se suicider pour refuser le rétablissement de l’esclavage
Louis Delgrès (1766-1802) est une figure emblématique de la lutte contre l’esclavage en Guadeloupe.
Né en 1766 à Saint-Pierre, Martinique, Delgrès est le fils d’un afro-descendant et d’un procureur royal. Après la Martinique, la famille s’installe à Tobago (occupé par les Français en 1781) lorsque son père y fut nommé directeur des Domaines.
Il rejoint l’armée française et gravit les échelons grâce à ses compétences militaires et son dévouement.
Engagé à dix-sept ans dans la milice martiniquaise, il est promu sergent en 1791, après la mort de son père. Partisan de la Révolution, il s’exile à la Dominique en 1791 lorsque les royalistes prennent le contrôle de son île natale.
En 1792, il est élu lieutenant.
Delgrès servit pour la première fois sous les ordres de Victor Hugues, envoyé en Guadeloupe pour reprendre l’île aux Britanniques pendant les guerres révolutionnaires. À cette époque, la Révolution française avait déjà aboli l’esclavage en 1794, et Delgrès, en tant qu’officier, soutenait avec ferveur cette cause.
Capturé par les Anglais en février 1794, il fut retenu prisonnier, mais rapatrié en mai à Saint-Malo.
Envoyé en 1795 en Guadeloupe, puis à Sainte-Lucie pour combattre les Anglais, il est grièvement blessé le 22 avril.
Pour avoir pris le Mont Rabot après de violents combats et y avoir hissé le drapeau tricolore, il fut nommé capitaine le 25 juin 1795.
A Saint-Vincent, il dirige un commando guadeloupéen pour combattre les Anglais et s’allie aux Caraïbes noirs de Joseph Chatoyer, les Garifunas, population issue de descendants africains et amérindiens.
Capturé de nouveau par l’ennemi le 16 juin 1796, il est déporté en Angleterre (Porchester) et ne bénéficie d’un échange qu’en septembre 1797. Il séjourne ensuite au Havre, Rouen, puis sur l’île d’Aix, en compagnie de Magloire Pélage.
En 1799, après un séjour à Paris, il revient en Guadeloupe. Le 27 juillet, il est nommé commandant provisoire du district de Basse-Terre. En 1801, après que le capitaine général Lacrosse fut démis de ses fonctions, Delgrès rejoignit les officiers rebelles.
Le tournant décisif dans la vie de Delgrès intervient en 1802, lorsque Napoléon Bonaparte décide de rétablir l’esclavage dans les colonies françaises. Cela suscite une forte opposition dans les îles, notamment en Guadeloupe, où la nouvelle est accueillie avec consternation. Delgrès, alors commandant de l’armée française en Guadeloupe, refuse de se soumettre à cette décision injuste.
En Basse-Terre, il ordonne d’ouvrir le feu sur les navires transportant les troupes du général Richepance, envoyées par Bonaparte pour rétablir l’esclavage, avec l’aide de traîtres d’ascendance africaine sous le commandement de Magloire Pélage, un militaire né en Martiniquedont la participation consciente ou inconsciente à restauration de l’esclavage en 1802 dans les colonies françaises fait encore débat. Pour Delgrès, Pélage était un traître.
Si Pélage est libre, c’est pour nous avoir vendus ; C’est pourquoi il n’a pas subi le traitement odieux que subissaient nos frères d’armes à Pointe-à-Pitre. Ils furent désarmés, déshabillés, battus et mis aux fers à bord des frégates. Fallait-il s’attendre à tant d’outrages… Pélage doit être un véritable lâche pour s’être livré à de telles horreurs.
Delgrès à propos de PélageDelgrès, ou la Guadeloupe en 1802 par Jacques Adélaïde-Merlande
En mai 1802, les troupes françaises, commandées par le général Richepanse, arrivent en Guadeloupe pour rétablir l’ordre colonial et l’esclavage. L’arrivée de ces troupes esclaves entraîne de violents affrontements à Basse-Terre et ses environs.
Louis Delgrès rédige alors une célèbre proclamation, en collaboration avec l’adjudant général Monnereau, martiniquais sous ses ordres, et l’affiche le 10 mai 1802. Il appelle à la résistance et au combat pour la liberté.
Réfugié avec Joseph Ignace au fort de Basse-Terre (actuel Fort Delgrès), il se retrouve encerclé par les troupes de Richepance et les défie en jouant du violon depuis les remparts. Delgrès, déterminé à éviter que le conflit prenne une dimension raciale et soucieux de protéger les habitants de Basse-Terre, parvient à s’enfuir avec Ignace le 22 mai 1802. Ignace, encerclé à Baimbridge, choisit de se suicider.
Delgrès mène une résistance farouche contre les forces françaises, bien supérieures en nombre. Après plusieurs jours de violents combats, il se replie vers la maison d’Anglemont, à Matouba, près de Saint-Claude. Encerclé et n’ayant plus aucune chance de victoire, il décide de choisir la mort plutôt que de se rendre.
Le 28 mai 1802, Delgrès et ses compagnons d’armes, environ 300 hommes et femmes, choisissent de se faire exploser à coup de barils de poudre plutôt que de se rendre. Ce sacrifice est devenu un puissant symbole de résistance à l’oppression et de lutte pour la liberté.
Les survivants, dont l’épouse de Delgrès, Rose, surnommée Toto, qui n’avait pu suivre son mari en raison d’une jambe cassée, furent massacrés lors d’une terrible répression.
L’adjudant général Monnereau, demandé de désavouer le texte écrit avec Delgrès car il n’était pas d’origine africaine, refusa et fut pendu.
Malgré la résistance sporadique de quelques Neg mawon, l’esclavage fut rétabli en Guadeloupe pendant 46 ans, jusqu’à son abolition définitive en 1848.
Louis Delgrès est aujourd’hui célébré comme un héros de l’abolition de l’esclavage. De nombreuses rues, places et monuments de Guadeloupe portent son nom, et sa mémoire est honorée chaque année lors des commémorations de l’abolition de l’esclavage. Son courage et son engagement sont des sources d’inspiration pour les générations futures, nous rappelant l’importance du combat pour la liberté et la justice.
La figure de Delgrès, avec son ultime sacrifice, incarne les valeurs de résistance et de dignité humaine, laissant une marque indélébile dans l’histoire de la Guadeloupe et de la lutte contre l’esclavage.
À l’univers entier
Le dernier cri d’innocence et de désespoir
C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des Lumières et de la philosophie qu’une classe de malheureux qui veulent s’anéantir se voient obligés d’élever la voix vers la postérité, de lui faire savoir lorsqu’elle a disparu, son l’innocence et ses malheurs.
Victime de quelques individus sanguinaires, qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voient enveloppés dans une proscription méditée par l’auteur de tous leurs maux. Le général Richepance, dont nous ignorons l’étendue des pouvoirs, puisqu’il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a fait connaître son arrivée que par une proclamation dont les expressions sont si bien mesurées, que, même s’il promet protection, il pourrait donner nous la mort, sans s’écarter des termes qu’il utilise. A ce style, nous reconnaissions l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous jurait une haine éternelle… Oui, nous aimons croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait aussi user de poignards et de calomnies.
Quels sont les coups d’autorité dont nous sommes menacés ? Voulons-nous diriger contre nous les baïonnettes de ces braves soldats, dont nous aimions compter l’arrivée, et qui auparavant ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! Au contraire, si l’on en croit les coups d’autorité déjà portés à Liberty Port, le système de mort lente dans les donjons continue d’être suivi. Bien ! Nous choisissons de mourir plus tôt.
Osons le dire, les maximes les plus atroces de la tyrannie sont aujourd’hui dépassées. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous dit qu’au siècle de la philosophie, il y a des hommes malheureusement trop puissants en raison de leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent pas voir d’hommes noirs. ou ayant leurs origines de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et toi, Premier Consul de la République, guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi devons-nous déplorer notre éloignement de la maison d’où proviennent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent données ? admirer ! Ah ! Sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps et les pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils nous ont prodiguées pour achever notre ruine.
Citoyens guadeloupéens, vous dont la différence de peau est une raison suffisante pour ne pas craindre la vengeance dont nous sommes menacés, – à moins que nous voulions vous faire le crime de ne pas avoir dirigé vos armes contre nous, – vous avez entendu les raisons qui ont excité notre indignation. La résistance à l’oppression est un droit naturel. Même la divinité ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; c’est celui de la justice et de l’humanité : nous ne le tacherons pas de l’ombre même du crime. Oui, nous sommes déterminés à être sur la bonne défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez chez vous ; ne craignez rien de nous. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos biens, et de mettre en œuvre tous nos moyens pour qu’ils soient respectés de tous. Et vous, postérité ! Accordez une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.
Le Commandement de Basse-Terre, Louis Delgrès