19 personnes jugées pour accueil illégal d’enfants placés par l’Aide à l’enfance
Entre 2010 et 2017, des dizaines d’enfants confiés à l’Aide à l’enfance du Nord ont été accueillis dans des familles non agréées. Ces enfants ont subi des violences, des humiliations et ont été soumis au travail forcé.
Mathias a subi des violences morales et physiques. Gifles, coups de poing, coups de tête, coups de pied. On lui a uriné pendant une soirée arrosée. Pour le « recadrer », la liste des violences, brimades, humiliations, auxquelles s’ajoute le travail forcé sur les chantiers, subis par le garçon de 15 ans est longue. Et la jeune victime est loin d’être un cas isolé. Un autre a plongé la tête dans la cuvette des toilettes en guise de punition.
19 personnes comparaissent à partir de ce lundi 14 octobre et jusqu’à vendredi pour, entre autres, des faits de maltraitance sur des enfants confiés à l’Aide à l’enfance (ASE) du Nord et placés dans ces familles d’accueil, qui n’ont pas obtenu d’agrément. Au total, une vingtaine d’enfants ont été victimes de ces méthodes, plus d’une dizaine se sont portés partie civile. Les faits seront jugés par le tribunal correctionnel de Châteauroux.
Rapport à la justice
En 2017, c’est le témoignage de Mathias qui met fin à ce système dont la réception illégale permettait aux participants de récolter 630 000 euros. En septembre de la même année, le garçon de 15 ans est admis aux urgences de Limoges, grièvement blessé. Julien M., chez qui il est placé par l’ASE, explique que l’adolescent a été victime d’une chute en faisant du vélo. L’homme assure à l’équipe médicale que le garçon est un « psychopathe », « un pervers sexuel ».
L’hôpital fait le rapprochement avec un autre jeune, admis quelques mois plus tôt en juillet 2017. Lui aussi a été décrit par les mêmes qualificatifs par Julien M. Mathias se confie, demande l’aide du personnel soignant, demandant à ne plus revoir cet homme avec qui il a été placé. Il leur décrit la violence et le travail forcé. Il leur décrit ce soir où son tuteur ivre a baissé son pantalon avant de lui uriner dessus. Un rapport est fait par l’hôpital à la justice.
L’enquête révèle rapidement que Mathias est loin d’être un cas isolé. Julien M. est présenté comme l’instigateur de ce système dans lequel se mêlaient violence et conditions de vie déplorables. En 2013, l’homme, installé à La Châtre (Indre), prend la relève de ses parents, également famille d’accueil depuis des années. Le couple avait perdu son permis quelques années plus tôt, suite à la condamnation du mari pour agressions sexuelles sur mineures placées chez lui.
Deux hommes au cœur du système
Julien M. travaille d’abord dans le cadre de l’association créée par ses parents où il accueillera, selon ses propres dires, une soixantaine de mineurs, lui rapportant entre 300 000 et 350 000 euros. Puis en 2016, il lance l’association « Enfance et bien-être » sous la houlette de Bruno C., pour échapper au fisc. Les deux hommes ne demandent jamais d’approbation. Pour rentabiliser leur activité, ils proposeront à des amis d’accueillir des mineurs. Le duo étant rémunéré par l’ASE en fonction du nombre d’enfants placés.
Tout au long des audiences, les 20 mineurs décrivent les brimades et humiliations subies dans ces familles. Les coups, les menaces à coups de couteau, les étranglements, mais aussi la surmédication de ces enfants, attribués à Julien M. et Bruno C. Il y a aussi les conditions d’accueil déplorables, pour certains dans une caravane sans eau. Et aussi le travail forcé. Les jeunes filles placées chez Bruno C. auront également pour consigne de ne pas porter de sous-vêtements.
Julien M. reconnaîtra la violence avant de parler de « recadrage ». Bruno C., quant à lui, reconnaît l’administration d’un antipsychotique à l’un des 30 mineurs reçus, sur les conseils, dit-il, de Julien M. Il reconnaît les violences. Pire, il avoue qu’il lui était interdit d’accueillir des adolescents, ayant été condamné à deux reprises pour agressions sexuelles sur mineurs placés chez lui entre 1995 et 2000. En 2021, il a également été condamné pour viols incestueux.
« Le procès de la honte »
Une quinzaine de ces jeunes, déjà en difficulté avant leur placement, se sont constitués parties civiles. Des jeunes en souffrance qui portent encore, pour certains, les stigmates des violences subies lors de leur placement. « C’est le procès de la honte, la honte avec laquelle nous avons traité nos enfants, car ce sont les enfants de la patrie », déclare Myriam Guedj-Benayoun, qui représente 10 parties civiles et l’association Innocence en danger. Nous avons créé un système pour compenser les échecs des parents et ils ont fait pire. »
Dans cette affaire, l’Aide à l’enfance du Nord, gérée par le conseil départemental, n’est pas poursuivie. Certaines victimes envisagent déjà d’engager des poursuites judiciaires contre les autorités.