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Y a-t-il réellement plus de jours d’absence pour raisons de santé dans la fonction publique que dans le privé ? – Libération

C’est l’un des arguments avancés par le gouvernement pour justifier l’allongement du délai de carence des fonctionnaires en cas d’arrêt maladie : la hausse de l’absentéisme dans leurs rangs au cours des dix dernières années. Sur le plateau de RTL mardi 29 octobre, le nouveau ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, a confirmé la volonté de l’exécutif d’étendre d’un à trois jours le délai pendant lequel les agents publics ne seraient pas indemnisés en cas d’arrêt de travail. Tout en expliquant : «(C’est) ce que j’attends face à une augmentation significative du nombre de jours d’absence au cours de l’année…» Le journaliste l’interrompt pour citer des chiffres : « 43 millions en 2014, 77 millions en 2021 (en fait en 2022, ndlr).»

Kasbarian poursuit : « Justement, et une augmentation significative du nombre moyen de jours d’absence par agent, qui s’élève à 14,5 alors qu’il y a quelques années, on était à 8. C’était à peu près la même chose privé-public il y a quelques années, aujourd’hui on a une véritable divergence, c’est-à-dire qu’il y a un écart qui s’est creusé entre le secteur public et le secteur privé. Et donc face à cette situation, je ne peux pas ne pas agir. Et pour dénoncer, sur X, une augmentation de 80 % du nombre de jours d’absence dans la fonction publique en dix ans.

Si les chiffres avancés par le ministre ne sont pas faux, ils s’expliquent en grande partie par l’impact de l’épidémie de Covid-19. Et surtout masquer la grande hétérogénéité des situations au sein de la fonction publique. Selon un rapport publié cet été par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances, le « décrochage » entre le public et le privé remonte à 2020 et à la crise sanitaire, période durant laquelle le nombre d’arrêts pour raisons sanitaires a considérablement augmenté.

Entre 2014 et 2019, les salariés du privé et du public dans leur ensemble affichent un absentéisme quasiment identique, et assez stable sur la période, avec en moyenne près de 8 jours d’absence par an et par personne. Avec l’épidémie, ce nombre est passé à 14,5 jours dans le secteur public en 2022, contre 11,6 dans le privé. La hausse depuis 2014 a donc été plus importante dans le secteur public (+75%) que dans le secteur privé (+40%).

Il n’en reste pas moins que ce chiffre global cache de très grandes différences au sein des trois fonctions publiques (Etat, hospitalière et territoriale). Au cours des dix dernières années, l’absentéisme pour raisons de santé de certains fonctionnaires apparaît inférieur à celui du secteur privé. Et le Covid n’a pas inversé cette relation.

En 2022, même après une hausse significative suite à l’épidémie, les fonctionnaires de l’État (FPE), hors enseignants, affichent toujours, avec 10,2 jours, un nombre d’arrêts par agent inférieur à celui du privé. Avec 11,6 jours, les enseignants ont un nombre moyen d’absences identique à celui des salariés du privé.

A l’inverse, les deux autres fonctions publiques (territoriale et hospitalière) ont toujours connu, sur la période observée (soit depuis 2014), un absentéisme supérieur à celui du secteur privé. Cet écart s’est creusé avec la crise du Covid, expliquant en grande partie la baisse de la moyenne de l’ensemble de la fonction publique par rapport au secteur privé.

En 2022, les personnels hospitaliers publics (FPH) disposaient d’un effectif moyen de 18,1 jours et ceux du secteur territorial (FPT), de 17,1 jours.

Ces différences entre les trois fonctions publiques d’une part, et par rapport au secteur privé d’autre part, trouvent leur origine essentiellement dans la structure sociodémographique de chacune de ces catégories. Un diplôme élevé ou l’exercice d’une profession supérieure ont un impact à la baisse sur le taux d’absentéisme, tandis que la féminisation, l’âge, ou encore l’appartenance à une famille monoparentale sont corrélés à une augmentation.

Le moindre absentéisme dans la fonction publique de l’État pourrait ainsi s’expliquer par le fait que ce groupe regroupe parmi ses effectifs plus de professions supérieures (39%), que dans le secteur privé (23%), la fonction publique hospitalière (14%). ou territoriale (12%).

A l’inverse, les fonctions publiques territoriales et hospitalières, où l’absentéisme pour raison de santé est plus élevé que dans l’Etat et le privé, affichent une féminisation plus forte (respectivement 61% et 78%, contre 57% dans la fonction publique de l’Etat), une moyenne plus élevée âge et agents « plus souvent souffrant de maladies chroniques ou membres d’une famille monoparentale », dit le rapport.

Sur la période 2013-2022 (incluant donc la crise sanitaire), ces caractéristiques sociodémographiques expliquent 95% des écarts de taux d’absence avec le privé pour les FPE et FPH, et 53% pour les FPT.

Dit différemment, « cela veut dire qu’à structures d’emploi identiques, pour les caractéristiques évoquées ci-dessus, la FPE, la FPH et le secteur privé seraient au même niveau d’absentéisme et l’écart entre la FPT et le secteur privé ne serait que la moitié de celui observé » , notent les rapporteurs.

Ces derniers indiquent également qu’une partie de l’écart résiduel inexpliqué, notamment pour le FPT, « pourrait être justifié par d’autres caractéristiques non trouvées dans l’enquête ». Donc cet écart inexpliqué « ne constitue pas à proprement parler une mesure de la marge de réduction de l’absentéisme dont disposent les employeurs publics de chaque côté ».

Concernant la période propre au Covid, Igas estime que les deux tiers de la hausse observée pour le régime général, entre 2019 et 2022, sont « directement lié à l’épidémie ». En revanche, poursuit le rapport, « il n’existe pas de données sur la part de l’épidémie dans l’augmentation de l’absentéisme dans la fonction publique ».

Depuis 2022, les absences pour raisons de santé commenceront toutefois à diminuer dans la fonction publique, selon les rapporteurs, sans retrouver leur niveau d’avant-crise. Sur la base de données provisoires et fragmentées, l’augmentation observée pendant l’épidémie aurait été réduite d’environ 30% en 2023 dans la fonction publique de l’État, tandis que dans le secteur hospitalier, « les absences pour raisons de santé semblent être revenues, dans les CHU, à un niveau plus proche de celui de la période d’avant la crise sanitaire avec une hausse absorbée de 75 % pour les infirmiers et aide-soignants ». Du côté FPT, « Les données collectées par la mission ne permettent pas de dégager une tendance générale. »

Cammile Bussière

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