Valentin Lebossé
Publié le
Ce qu’il faut savoirMis à jour il y a 4h45
Le boom des locations de courte durée sur les plateformes comme Airbnb est accusé d’aggraver la crise du logement. À Paris, Saint-Malo et au Pays basque, les maires répliquent avec des mesures très restrictives.
Quotas par quartier à Saint-Malo, compensation à Paris et dans la Communauté d’agglomération du Pays basque : ces politiques ont permis de freiner la multiplication du nombre de meublés touristiques, voire de le réduire.
En revanche, que ce soit en termes de disponibilité et de prix, les effets sur l’offre de logements pour la population locale demeurent limités.
« Nous avons stoppé l’hémorragie », se félicite Gilles Lurton. Le maire Les Républicains (LR) de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), exprime sa satisfaction dans un communiqué transmis en octobre 2024 à nos collègues du Pays malouin. Le tribunal administratif de Rennes vient alors de confirmer la légalité du règlement des locations saisonnières de courte durée, en vigueur dans la cité corsaire. La municipalité se voit donc confortée dans sa stratégie de lutte contre la prolifération des meublés de type Airbnb, accusée d’aggraver la crise du logement dans les villes touristiques. Ce jugement va lui permettre de « continuer sa politique de trouver des solutions de logement pour des actifs ».
Remettre sur le marché des biens accessibles aux habitants qui vivent et travaillent sur place : c’est l’un des principaux objectifs des mesures de régulation adoptées par de plus en plus communes. Autorisation, quotas, compensation… En 2023, Enquêtes d’actu avait rendu compte de ces différentes tentatives de contrer le fléau que peut représenter le phénomène Airbnb, à Saint-Malo, Paris ou encore au Pays basque. Pour quelle efficacité ? C’est ce que nous allons voir dans ce retour d’expériences.
À Saint-Malo, moins de Airbnb sous l’effet des quotas
En matière de régulation des locations touristiques de courte durée, Saint-Malo « fait figure de pionnière et constitue le cadre le plus strict au plan national à l’heure actuelle », se targue le maire Gilles Lurton, cité par Le Pays malouin. La deuxième ville d’Ille-et-Vilaine par sa population (47 255 habitants), applique depuis 2021 des quotas par quartier. Le nombre de logements pouvant être transformés en meublés touristiques est ainsi plafonné.
Ce plafond varie d’un secteur à l’autre, il y en a quatre en tout. Au global, seules 1 726 autorisations de changement d’usage peuvent être attribuées à Saint-Malo. Un maximum déjà atteint. Les propriétaires demandeurs doivent donc s’inscrire sur liste d’attente, dans la limite d’un seul bien par personne physique ; les personnes morales, comme les sociétés civiles immobilières (SCI), ne sont pas éligibles.
Cette politique contraignante semble porter ses fruits. « En 2014, on avait environ 300 Airbnb. On est arrivé à 3 000 en 2020. Les mesures prises ont fait redescendre le total en-dessous des 2 000 à présent », se réjouit Véronique Deschamps, présidente de l’association Saint-Malo j’y vis, jointe par Enquêtes d’actu.
Ses chiffres convergent avec ceux que nous avons obtenus. Selon elle, les quotas ont eu pour effet de « calmer les ardeurs des spéculateurs qui venaient parfois de différents pays s’accaparer le marché immobilier de Saint-Malo ».
L’apaisement de cette frénésie locative se lit aussi dans le recul du nombre de dossiers en attente d’une autorisation. Ce chiffre était de 360 en 2023. Il est tombé à 77 en octobre 2024. Deux secteurs de la ville, Intra-Muros et Littoral, n’en comptent plus aucun.
« De nombreux bénéficiaires d’autorisations délivrées en 2020 n’ont pas renouvelé leur demande ; les propriétaires qui bénéficiaient de plusieurs autorisations n’ont pu renouveler leur demande que pour un seul bien », explique la mairie.
Compensation au Pays basque : « un signal fort »
Autre territoire en pointe contre Airbnb : les Pyrénées-Atlantiques. Dans ce département, 24 communes de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) – dont Biarritz, Bayonne et Anglet – mettent en œuvre depuis mars 2023 un système de « compensation ».
En clair, tout propriétaire qui veut faire de la location de courte durée dans sa résidence secondaire, doit en parallèle mettre à disposition un nouveau logement, de taille identique, sur le marché de la location de longue durée.
« Sauf qu’on parle d’une zone tendue, où il est très difficile de produire de nouveaux logements ou de trouver des locaux, qui n’étaient pas à usage d’habitation, pour les transformer. Cela rend la compensation très compliquée, et les investisseurs le savent », analyse Malika Peyraut, porte-parole de l’association Alda.
Résultat, les demandes d’autorisation de changement d’usage pour de la location saisonnière se sont effondrées. Entre le 1er mars et le 31 décembre 2023, la CAPB en a reçu 741 et validé 401 (654 l’an dernier). Contre 12 000 demandes et plus de 9 600 autorisations entre 2020 et 2022, avant l’instauration du règlement.
La compensation remplit son premier objectif : mettre un coup d’arrêt à une tendance qui se généralisait à vitesse grand V, à savoir une véritable vampirisation du parc de logements à l’année, transformés en Airbnb.
« Cela envoie un signal fort aux investisseurs, que le Pays basque n’est pas un terrain de jeu », ajoute-t-elle.
« Stabilité » des meublés touristiques à Paris malgré le pic des JO
Avant les Basques, Paris avait déjà introduit un mécanisme de compensation. Encore plus stricte, il impose aux loueurs de meublé touristique de mettre à disposition une surface trois plus importante pour de l’habitat à l’année. Cette « compensation au triple » s’ajoute à diverses réglementations progressivement mises œuvre depuis une dizaine d’années.
« Ces règles nous ont permis de contenir le nombre de meublés touristiques qui aurait sans doute été immensément plus important si nous n’avions pas agi, avec des conséquences absolument dramatiques sur l’équilibre de nos quartiers, sur la présence de services publics comme les écoles, sur les commerces, etc. », estime Barbara Gomes, conseillère municipale déléguée (Groupe Communiste et Citoyen), en charge de l’encadrement des loyers, des plateformes locatives et de la protection des locataires.
Abstraction faite du pic de 2024 lié aux Jeux olympiques (95 000 meublés de tourisme enregistrés par la Ville de Paris), l’élue locale constate « une stabilité depuis quelques années » du nombre d’annonces actives, compris « entre 60 et 65 000 », d’après l’Observatoire des meublés touristiques mis en place par la municipalité.
Compensation ou quotas, « ces deux types de régulation sont efficaces, à condition que les règles soient suffisamment dissuasives, prévient Vincent Aulnay du Collectif national des habitants permanents (CNHP). Si les quotas ne créent pas de listes d’attente qui font peur aux investisseurs, c’est inefficace. Idem dans plein de villes qui ont instauré la compensation avec joker au premier changement d’usage, alors que la plupart des loueurs n’ont qu’un seul bien sur Airbnb. Cela ne change rien pour eux. »

Un impact « marginal » sur l’offre de logements et les prix
Que ce soit à Saint-Malo, Paris ou au Pays basque, nos interlocuteurs se montrent donc unanimes pour constater un tassement voire un recul du nombre de biens mis en location sur les plateformes de type Airbnb. Mais qu’en est-il des effets attendus sur le marché immobilier local ? Combien de locations touristiques basculent vers de l’habitat à l’année ? Et assiste-t-on à une baisse des prix et des loyers ?
À Saint-Malo, « il a été constaté sur les secteurs tendus des biens qui sont revenus sur le marché et d’autres qui s’orientaient vers la location traditionnelle, notamment aidés par les dispositifs mis en place par Action Logement », informe la Ville dans son communiqué d’octobre 2024, sans pouvoir le quantifier précisément.
« Dans mon portefeuille de gestion locative, j’ai vu arriver un ou deux logements venant de la location saisonnière, ça reste à la marge », tempère Jérôme Lebrun, coprésident de la chambre Bretagne de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), qui exerce comme agent immobilier et syndic de copropriété à Saint-Malo.
Selon lui, « les investisseurs qui ne pouvaient plus louer sur Airbnb ont plutôt préféré empocher le cash, parce qu’on est dans une zone où l’immobilier se vend très bien. Quelques dizaines de biens se sont ainsi retrouvés sur le marché. Mais les acheteurs sont surtout des retraités ou des personnes qui vont faire de la résidence secondaire ». Et pour cause :
Les prix n’ont pas baissé, que ce soit à l’achat ou à la location.
« Ici, on est aux alentours de 5 000 euros le mètre carré, voire un peu plus », complète Véronique Deschamps. La présidente de Saint-Malo j’y vis milite pour que sa ville, où elle habite depuis quatre décennies, « reste vivante, active, avec une mixité de population ».
Seulement, à ce niveau de prix, difficile pour des jeunes actifs ou des familles de se payer un toit dans la cité corsaire. « Certains travaillent à Saint-Malo mais sont partis vivre à 30 ou 40 km. » Elle espère que « les prix deviendront un peu plus raisonnables, maintenant qu’il y a moins de spéculation sur Airbnb ».
Toutefois, l’exemple de Paris n’incite pas forcément à l’optimisme. Depuis les premières mesures de régulation des meublés touristiques en 2017, les prix de l’immobilier ont augmenté en moyenne de 15% et ceux des loyers de 21% (malgré l’encadrement), d’après une étude du cabinet Oxford Economics.
Plus de meublés pour les étudiants au Pays basque
Au Pays basque, Élodie Mir dresse un bilan similaire à celui de son confrère breton, Jérôme Lebrun. La coprésidente de la chambre FNAIM Béarn-Bigorre-Pays basque, qui a engagé des recours judiciaires infructueux contre la mesure de compensation, considère que « les résultats ne sont pas au rendez-vous ».
« Très peu de propriétaires se disent, ‘je louais à la semaine, je vais me mettre à louer à l’année’, tranche-t-elle. D’autant plus qu’il y a maintenant un encadrement des loyers. Au vu du prix auquel ils ont acheté – 7 000 voire 8 000 euros le mètre carré dans des villes comme Biarritz – la location longue durée ne leur permet pas de pérenniser leur investissement. »
Élodie Mir note en revanche « un glissement du meublé de tourisme vers le meublé classique », celui-ci bénéficiant d’une dérogation au principe de compensation et d’un encadrement des loyers « plus favorable » aux propriétaires.
Ainsi, le nombre d’autorisations délivrées par la Communauté d’agglomération du Pays basque au titre de la location mixte (location à des étudiants de septembre à juin et en meublé touristique durant l’été), est passé de 322 en 2023 à 654 en 2024. « Ça solutionne une partie du problème étudiant, mais ça ne donne pas un toit à ceux qui travaillent et cherchent une location pérenne », commente la représentante de la FNAIM.
Risque accru de fraudes ?
La professionnelle alerte également sur « le développement d’un marché gris » de la location saisonnière, en dehors de tout cadre légal. Elle n’est pas la seule à s’en inquiéter.
« Assez soudainement, on a vu apparaître de nombreuses déclarations de nouvelles résidences principales sur la côte, alors que les propriétaires n’habitent pas ici », illustre Malika Peyraut. Selon la porte-parole d’Alda, ces « fausses déclarations » permettent de « frauder la compensation » qui ne s’applique pas aux résidences principales louées en meublé touristique moins de 120 jours par an.
Dans la même veine, le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques, Max Brisson, se fait l’écho de « maires basques qui disent que beaucoup de résidences secondaires sont devenues des résidences principales en termes de déclaration fiscale, ce qui se traduit par une baisse des recettes de la taxe d’habitation. Ces gens-là s’exposent à des redressements fiscaux. Il faut que le fisc fasse pleinement son travail en la matière ».
Un premier propriétaire a été condamné au tribunal le 8 avril 2025, pour ne pas avoir respecté le règlement de compensation à Biarritz. Cette société civile immobilière a écopé de deux amendes de 5 000 euros, rapporte actu Pays Basque.
D’autres propriétaires pourraient suivre selon le quotidien Sud-Ouest, qui précise que la Ville de Biarritz a adressé pas moins de 900 mises en demeure à ce jour.
À Saint-Malo, le maire Gilles Lurton indiquait en janvier dernier, au Pays malouin, « [avoir] entrepris une cinquantaine de procédures amiables par courrier », sans poursuite judiciaire à ce stade.
Une « grande loi » logement se fait attendre
Pour lutter contre « le Airbnb illégal », la conseillère municipale de Paris, Barbara Gomes, fonde beaucoup d’espoir dans la récente loi Le Meur-Echaniz. Ce texte qui vise à « renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale », permet notamment aux pouvoirs publics d’apporter plus facilement la preuve de l’usage d’un bien immobilier en cas de litige.
« Maintenant, le gros de la bataille qui reste à mener, c’est celle des logements vacants et résidences secondaires, indique Barbara Gomes à Enquêtes d’actu. Il y en a 270 000 à Paris, cela représente un logement sur cinq. » En comparaison, les locations Airbnb pèsent seulement 1,2 % du parc immobilier dans la capitale.

« L’Insee enregistre chaque année 7 000 résidences secondaires supplémentaires. C’est dramatique car cette évolution annule nos efforts sur le logement social pour que Paris reste une ville mixte et accessible. » L’élue locale appelle de ces vœux « une intervention du gouvernement ou des parlementaires », qui permettrait aux collectivités de taxer ces logements peu ou pas occupés.
« Une grande loi prenant la question sous toutes ses facettes manque à ce pays depuis très longtemps, convient le sénateur Max Brisson. Jamais nous n’avons produit aussi peu de logements. Tous ceux qui se battent depuis des années pour faire bouger les choses sur les meublés de tourisme, n’ont jamais pensé que cela réglerait la crise du logement qui prend des allures extrêmement fortes. »
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