XV de France – La prime à la patience pour Romain Buros, titulaire avec les Bleus face à la Nouvelle-Zélande
L’arrière de l’UBB connaîtra sa première sélection avec les Bleus, ce samedi contre la Nouvelle-Zélande. Habitué aux allers-retours à Marcoussis et frustré par les tournées en Australie et en Argentine, il a finalement des responsabilités au plus haut niveau.
Le 20 juin 2021, fort de plusieurs prestations de haut niveau avec l’Union Bordeaux-Bègles, Romain Buros est appelé pour la première fois par Fabien Galthié, pour participer à la tournée du XV de France en Australie. Une petite surprise qui démontrait le niveau de l’arrière, devenu incontestable dans une équipe de l’UBB qui ne cessait de gagner du terrain. Au cours des trois années suivantes, bien que régulièrement rappelé par l’entraîneur, Buros reste presque toujours sur la liste des joueurs exclus en milieu de semaine. Dominé dans la hiérarchie arrière par Brice Dulin, Melvyn Jaminet ou encore Thomas Ramos, l’ancien Palois prenait souvent le train le mercredi pour rentrer à Bordeaux. « La formation à 42 ans est le point central du mandat de Fabien (Galthié) depuis 2020 et c’est ce qui a permis beaucoup de performances, pose Karim Ghezal, ancien membre du staff des Bleus, qui a connu Romain Buros. Comme la marque de fabrique de l’équipe de France est de faire beaucoup de 6-2 sur le banc, c’est forcément plus compliqué au niveau des trois-quarts pour ceux qui ne sont pas titulaires. Il n’y a qu’un demi de mêlée et un trois-quarts polyvalent parmi les remplaçants. Même si c’est le point fort du XV de France, cela fait que de nombreux joueurs vont et viennent, à l’image de Romain Buros. Il n’a jamais eu la chance de jouer mais c’était plus lié au format qu’à ses qualités.
Deux tournées, pas de minutes de jeu
Aussi ingrat soit-il, le Bordelo-Béglais a rarement – pour ne pas dire jamais – été en discussion pour le numéro 15 avec le maillot du coq. Il était même positionné sur l’aile pour servir de « sparring partenaire » lors des fameux entraînements à haute intensité. Preuve que la concurrence était plus que rude derrière. « Pour connaître un peu le staff, c’est un des postes les plus exposés, comme celui de gardien de but dans le football, explique Ghezal. La moindre erreur peut lui coûter cher car il est le dernier défenseur. Il faut avoir un esprit d’acier. Regardez par exemple Thomas Ramos, il a d’abord été remplaçant, notamment lors du grand chelem 2022 !
Buros a pu tester son mental, notamment lors de tournées en Australie (2021) et au Japon (2022). À deux reprises, il a parcouru le monde avec les Bleus sans avoir droit à une seule minute de jeu. « Pour le premier, je sortais d’une longue saison de trente matchs, on venait de perdre une demi-finale avec l’UBB et j’étais de « mauvaise humeur », se souvient l’intéressé. Je pense que cela ne m’a pas rendu service. C’est là que Fabien Galthié a lancé Melvyn Jaminet, qui a connu beaucoup de réussite, notamment au pied. Je suis remonté dans la hiérarchie. L’été suivant, au Japon, Max Spring était titulaire du poste mais avec le recul, je me rends compte que je n’étais pas encore au niveau. Je n’allais pas à fond à l’entraînement. Derrière ça, je me suis perdu. Je voulais absolument bien faire, j’étais extrêmement exigeant mais j’avais perdu la notion de plaisir. Il est revenu ces derniers mois« .
Tani Villi a vécu la même mésaventure que Buros lors des deux tournées estivales. Les deux joueurs, devenus amis au fil du temps, se sont soutenus pour ne pas accumuler trop de frustration et ainsi perdre le fil. « On en a beaucoup parlé, on en a ri, témoigne le centre. Nous étions dans la même situation et dégoûtés de ne pas avoir goûté au maillot des Bleus. En Australie, nous étions les deux seuls joueurs du circuit à ne pas jouer… Je connais « Bubu » et c’était frustrant pour lui. En France, il y a un certain plan de jeu et peut-être qu’on ne s’y retrouvait pas à ce moment-là. »
Poursuivant ses efforts malgré son rêve bleu non réalisé, Buros a définitivement explosé avec l’UBB, affichant une forme flamboyante et aidant le club à se qualifier régulièrement pour la finale. Il est l’un des principaux artisans de la superbe saison 2023-24 du club, conclue par une finale de Top 14 à oublier face au Stade Toulouse. « Le fait qu’on soit arrivé en finale l’année dernière l’a peut-être aussi empêché de participer à une tournée estivale avec le XV de France », remarque Yannick Bru, le manager de l’UBB. Mais c’est peut-être au moment le plus inattendu que Buros a finalement eu sa chance.
Une question de profil
Appelé pour disputer la tournée de novembre 2024, celui qui a encore la barbe bien taillée a encore deux joueurs devant lui dans la hiérarchie : Thomas Ramos et Léo Barré. C’est le deuxième qui était titulaire en 15 lors du premier test face au Japon, le premier ayant servi en ouverture pour compenser le forfait de Romain Ntamack. Et même si on ne soupçonnait pas de changement majeur dans la composition pour le match contre la Nouvelle-Zélande, le vent semble tourner. « J’ai parlé avec Romain en début de semaine, il m’a dit qu’il avait l’impression que ça allait arriver, » confie Lucas Rey, talonneur de la Section paloise et proche de Buros. Le latéral est finalement cité par Fabien Galthié, lors de l’annonce de la composition de l’équipe jeudi. « J’étais content pour lui, je pense qu’il le mérite, Rey continue. Cela fait des années qu’il travaille pour cela et cela n’a pas forcément été facile pour lui. Il a toujours eu en lui cette envie de travailler pour que cette opportunité se présente un jour. » L’intéressé tente de rester lucide malgré la surprise : «Je ne m’y attendais pas forcément. C’est quelque chose que je cherchais depuis longtemps. Maintenant, je vais devoir m’y mettre à pleines dents car je pense que c’est le genre de moment dont il faut profiter. Avoir la sélection n’est pas le but. L’objectif est d’être bon sur cette première sélection. » Une première face aux Noirs, après trois ans d’attente : les Landais ne pouvaient rêver mieux. Encore l’un des patrons d’une UBB plus que sérieuse en ce début de saison, aurait-il fini par convaincre le staff des Bleus par ses seules performances en club, lui qui avait estimé avant son départ à Marcoussis, être « légitime » ?
Karim Ghezal a une théorie : « Romain Buros est très bon dans les airs. Au niveau international, presque un ballon sur trois pour un ailier ou un latéral est un ballon aérien. Donc je pense que s’ils l’alignent, c’est avant tout pour ça. Mais il y a autre chose. , outre son implication, si Damian Penaud avait été présent, le triangle arrière aurait été celui de l’UBB et le point fort de Bordeaux-Bègles, ce sont les contre-rucks en bout de ligne. Les Noirs jouent beaucoup avec leurs. Les ailiers et si on arrive à faire la guerre dans les couloirs ou après les matchs au pied, ça peut faire la différence. Avec Gabin Villière qui est un gros scrapper, il y a vraiment cet objectif dans ce match aux All Blacks qui va bien à Buros.
La question du profil aurait donc poussé le staff à confier les clés du camion à un néophyte au niveau international. Bru confirme : «Je crois que la nouvelle approche du corps arbitral sur les duels aériens – à savoir que les escortes peuvent soutenir mais pas protéger le preneur de balle – met en évidence la nécessité d’avoir un joueur très fort dans les duels aériens. Et si Romain a un super pouvoir, c’est bien là. » Une dernière question se pose encore, celle de la pression pour un joueur qui n’a jamais porté le maillot bleu.
Une première contre les Noirs »,C’est beau »
Faire sa première avec le XV de France n’est pas anodin, jouer un match contre les légendaires All Blacks non plus. Donc combiner les deux suffit à paralyser un joueur, notamment à l’arrière. « Au contraire, c’est magnifique, Bru coupé. Un match contre la Nouvelle-Zélande est toujours un match de rugby à part entière. Cela fait longtemps qu’il tourne autour du pot et nous sommes vraiment contents pour lui. Il savait construire les choses patiemment. » Le manager de l’UBB n’est pas le seul à avoir confiance en Buros. Tout le monde se dit prêt à relever cet immense défi. « Il travaille beaucoup, parfois trop, parce qu’il veut réussir, argumente Vili. Il voulait avoir l’opportunité qu’il aura ce week-end. C’est quelqu’un qui ne parle pas de ses frustrations mais qui va travailler dans l’ombre et s’améliorer sans le dire à personne. »
Sans compter que le latéral fait partie des 42 convoqués depuis plus de trois ans et a donc pu apprendre le plan de jeu français, même s’il n’a jamais pu disputer un match. « C’est un joueur sous-estimé et connaissant le staff, ils savent très bien ce qu’ils font, dit Ghezal. Je n’ai aucun doute sur sa performance contre les Noirs. » Après tant de frustration et d’attente, Buros est là où il voulait être.