Willie Morlon et sa marqueterie révolutionnaire Placoplatre, couronnée à la Design Parade de Toulon

« Mon projet n’a pas d’avenir. » C’est, sans aucun doute, une phrase qui aura marqué le jury de la Design Parade de Toulon présidé, pour cette édition 2024, par l’architecte d’intérieur et designer Marion Mailaender. Car Willie Morlon, 31 ans, diplômé de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, souhaitait, avant tout, proposer une sorte de manifeste en participant à ce concours avec son Studiolo plaques de plâtreune pièce qui rappelle un palais méditerranéen, revêtue du sol au plafond de Placoplatre retravaillé en marqueterie. Et il n’a jamais considéré que son matériau de prédilection était durable.

« Dans le cadre de ma pratique artistique, je me suis très vite tourné vers le Placo. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale et avec la reconstruction, il a fortement influencé notre manière de concevoir les espaces intérieurs. Ce plâtre enfermé entre deux feuilles de carton n’est, en effet, pas conçu pour être exposé et pour durer des siècles. Ce sont les enduits et la peinture qui le recouvrent qui le solidifient, explique celui qui, avant de devenir plasticien, a fait une licence de droit. J’ai réalisé des sculptures en Placo et quand j’ai entendu parler de la Design Parade de Toulon, je me suis dit que je pouvais, avec ce Placo, faire le lien entre l’art et l’architecture. J’ai donc élargi ma démarche vers une approche spatiale et immersive avec quatre murs, un plafond, un sol. C’était l’occasion d’étendre mon champ de création et d’investigation. »

Passionné d’ornementation, celui qui a grandi dans la boutique de brocanteurs de ses parents – il y travaille toujours – et qui s’est nourri de beauté tout en s’enrichissant de la connaissance des savoir-faire, a développé un geste artisanal unique à partir d’un matériau pauvre. « Selon leurs caractéristiques, les panneaux Placoplatre ont des couleurs différentes, poursuit-il. Le gris est réservé au placo standard, le vert désigne les panneaux hydrofuges qui sont donc utilisés dans les salles de bains, le rose est la couleur de l’ignifugation et le bleu de l’acoustique. J’ai choisi de ne pas utiliser ces panneaux pour leurs spécificités mais pour leurs qualités esthétiques. J’ai ainsi découpé des pièces colorées que j’ai incrustées dans d’autres. Même si ce n’est pas du placage, il y a là quelque chose qui évoque la marqueterie. »

Son Studiolo plaques de plâtrePrésentée à l’ancien évêché de Toulon du 28 au 30 juin, elle a d’abord vu le jour sous forme de dessins très précis, évoquant les ornements baroques d’une villa balnéaire, et reprenant les rythmes des boiseries de ces intérieurs. Puis, une fois les mesures de la pièce qui lui était attribuée relevées, il est passé à la découpe des plaques dans son atelier bruxellois armé d’une scie sauteuse et d’une scie à ruban pour les détails comme les fleurs ou les escargots. « C’est certes un manifeste mais très doux avec ces teintes pastel qui rappellent une chambre de bébé ! »

Willie, modeste, ne sait pas quelle voie s’ouvrira à lui. Pour l’instant, il trouve cette œuvre trop fragile, méritant peut-être, d’être préservée, d’être recouverte d’un enduit protecteur. Lorsqu’on lui dit que le Placo est encore un matériau industriel fait pour la construction et donc avec une certaine résistance, il reconnaît qu’il y a sans doute un avenir pour sa technique. D’autant qu’on assiste à un retour massif aux murs, aux fresques, à la peinture à la chaux, aux bas-reliefs en plâtre créés in situ. « C’est vrai que les décors muraux suscitent à nouveau l’enthousiasme. Il y a un regain d’intérêt pour le geste mais aussi pour l’art et les techniques anciennes. Et puis avoir une œuvre ancrée dans un lieu, conçue spécifiquement pour l’espace, intégrée à l’architecture, cela apporte une valeur émotionnelle très forte. » Et si Willie voyait initialement son intervention comme une installation éphémère, il comprend avec ce Prix, que le Placo a encore des atouts.

« En travaillant sur ma technique, je me comparais à un tailleur de pierre. Donc évidemment, je ne rentrais pas dans la même temporalité. Mais je me rends compte que ce matériau que l’on ne voit pas, qui n’est pas exposé au regard des gens, a finalement de nombreuses qualités. Il est plus écologique que le béton ou le ciment ! Et il est recyclable. De plus, sa fabrication implique à la fois la grande industrie et les petits ateliers. En effet, Saint-Gobain était mon principal partenaire, me fournissant les panneaux placo qui étaient écartés des circuits de distribution à cause de défauts. Plutôt que de les mettre dans un cycle de recyclage énergivore, Saint-Gobain me les a donnés. J’ai aussi collaboré avec une petite entreprise moins connue, Plâtres Vieujot, située près d’Enghien. Elle utilise le gypse de la carrière locale pour fabriquer un enduit de sol ultra-dur qui m’a permis de créer le sol Studiolo. Les équipes utilisent une technique oubliée : on est vraiment dans une dimension patrimoniale, très loin du grand réseau Saint-Gobain. Avoir pu utiliser ces deux facettes dans cette installation était également très intéressant. En y réfléchissant, Studiolo plaques de plâtre c’était aussi une manière de mettre en lumière des métiers et une matière dévalorisée qui mérite pourtant qu’on s’y intéresse. » Gageons que cette œuvre ne restera pas une expérimentation et qu’après ce Grand Prix du Jury de la Design Parade de Toulon, Willie Morlon trônera dans de nombreux intérieurs.

Défilé de design : villanoailles.com

Contactez Willie Morlon : williemorlon.be