Après les abonnements pour regarder des films, emprunter des livres, recevoir des produits de beauté ou des bouteilles de vin, il est désormais possible de souscrire à un forfait pour… Prendre des vols en illimité. La compagnie aérienne low-cost hongroise Wizz Air vient d’annoncer le lancement d’une offre « All you can fly », que l’on pourrait traduire par « voler à volonté ». Pour la somme (pas si) modique de 599 euros par an, à laquelle il faut ajouter 10 euros de réservation par vol, les abonnés pourront voyager dans cinquante-trois pays différents, principalement en Europe, en Asie centrale et dans les pays du Golfe.
On pourrait regarder les nombreuses petites lignes en bas du contrat qui font que cette offre n’est pas forcément une bonne idée pour les consommateurs, mais de nombreux médias l’ont déjà décortiquée, rappelant au passage que Wizz Air est l’une des pires compagnies aériennes selon l’UFC-Que Choisir. Non, ce qui est le plus intriguant dans cette offre, c’est qu’elle existe, tout simplement. À l’heure où il est prouvé que les avions sont responsables d’environ 5 % du réchauffement climatique, comment se fait-il qu’une compagnie aérienne puisse promouvoir des vols illimités dans le but de vendre 10 000 abonnements ?
Greenwashing et aviation « durable »
Le secteur a l’habitude de tenter de nous faire oublier son impact (et le nôtre) sur l’environnement avec de grandes opérations de « greenwashing » où l’on parle souvent de compensation carbone, de « carburants verts » ou d’un hypothétique avion à hydrogène qui rendrait les vols quasiment neutres en carbone. Même si une vingtaine d’entreprises ont récemment été prises en flagrant délit de communication trompeuse par la Commission européenne, cela ne les empêche pas de continuer. À l’image de Wizz Air, qui propose toujours à ses clients de payer quelques euros supplémentaires pour « compenser » les émissions carbone d’un vol, ou d’Air France, qui met en avant ses carburants d’aviation durables – aussi appelés SAF (carburant d’aviation durable) – mais trop cher pour devenir la norme.
L’industrie fait tout pour nous convaincre qu’elle cherche à moins polluer, et tant pis si l’avion représente plus de 50 % des émissions de CO.2 des Français pour seulement 7 % de leurs déplacements. Même l’offre « All you can fly » a été présentée par Wizz Air comme un moyen de remplir les avions pour amortir encore plus le coût carbone des vols. Et toutes ces stratégies de communication fonctionnent puisque selon un sondage publié en 2022, 78 % des Français sont convaincus qu’il y aura un jour un avion plus écologique, émettant moins de CO2.
En attendant que cet avion voie le jour, les experts s’accordent à dire qu’il faut limiter au maximum les déplacements aériens. Mais comment y parvenir lorsque les compagnies aériennes adoptent des stratégies aussi agressives que l’offre illimitée ? La réponse pourrait se trouver dans un docu-fiction audio produit par BFMTV diffusé il y a quelques jours : France 2050.
Bienvenue dans le futur
Projeté en 2050 par un processus qu’il ne prend pas la peine de nous expliquer, le journaliste François Pitrel profite de son voyage dans le temps pour glaner des informations sur ce qui a été mis en place (ou pas) pour faire face au changement climatique. Au fil de ses balades dans le futur, il rencontre des experts qui lui font des visites guidées thématiques d’une France réchauffée, plus ou moins résiliente selon qu’il s’agisse de guerre, d’urbanisme ou de transports.
Dans l’épisode consacré aux déplacements, François Pitrel interroge Jean-Philippe Hermine, spécialiste des transports à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), un think tank qui tente de placer le développement durable au cœur des décisions politiques. Après avoir évoqué la place désormais occupée par le train, le vélo et la voiture, le journaliste pose la question gênante : quid de l’avion ?
« C’est une question qui reste épineuse, on n’a pas trouvé toutes les solutions »l’expert répond. Dans le monde de France 2050le débat continue d’avoir lieu sur la nécessité de quotas de vols, la possibilité d’augmenter le prix des billets pour dissuader les passagers et l’utilisation de carburants alternatifs, encore disponibles en trop faible quantité pour maintenir le même nombre de vols qu’en 2024.
Exit donc le techno-solutionnisme qui voudrait que l’on invente un avion « vert » qui nous permettrait de continuer à voyager de la même manière. Jean-Philippe Hermine évoque plutôt les décisions prises pour réguler un peu le trafic, à commencer par la suppression de tous les vols intérieurs en métropole. Mais l’expert écarte rapidement la question de nos déplacements aériens, qui restent visiblement une nuisance en 2050.
Euros et points carbone
Heureusement, un autre épisode de France 2050 propose une façon de réguler le secteur aérien : celle consacrée à la question de l’argent. François Pitrel rencontre Armel Prieur, militant pour le climat et ambassadeur du compte carbone. Ce système encore confidentiel propose qu’en plus de payer en euros, chaque citoyen paye ses achats avec des points carbone calculés en fonction du degré de pollution de son achat. Avec cette dotation renouvelée chaque année – réduite de 6 % pour contraindre les citoyens à polluer de moins en moins –, les Français de 2050 sont désormais obligés de prendre en compte l’impact de leur consommation sur la planète.
Pour une bouteille d’eau gazeuse, ce sera quelques euros et 0,1 point carbone. Un jean : 15 points. Un plein d’essence : 200 points. Avec un crédit annuel de 3 000 points par an et par personne, chacun doit faire des choix s’il ne veut pas payer le prix fort pour des crédits supplémentaires. Et l’avion dans tout ça ? Armel Prieur explique qu’il y a « Les gens continuent d’acheter des crédits carbone pour voyager quand ils en ont besoin »pour voir leur famille par exemple, mais que « L’envie de partir en week-end à Barcelone ou à Athènes a été considérablement réduite parce que les gens comptent leurs crédits carbone. »Avec un tel dispositif axé sur l’auto-responsabilité, une offre « Vol à volonté » serait tout simplement impossible à vendre.
Si le crédit carbone peut paraître quelque peu fantaisiste (qui aurait le courage politique d’imposer une telle réforme ?), France 2050 permet au moins de s’interroger sur la nécessité d’un changement de paradigme : plutôt que de calculer la valeur des choses uniquement en fonction de leur prix, on pourrait aussi prendre en compte leur impact sur la planète.
Fait inhabituel pour une histoire d’écologie, le futur dépeint dans le podcast de BFMTV n’est ni terrifiant ni idyllique. Rien n’est interdit, mais les citoyens sont tenus responsables de leur mode de vie et encouragés à être plus frugaux. Le podcast ne dit pas si d’ici 2050, les compagnies ferroviaires auront créé une offre « All you can ride » accessible à tous, mais les lancements successifs de l’offre TGV Max et du Pass rail à destination des jeunes peuvent laisser espérer qu’elle verra enfin le jour. En tout cas, on l’espère.
Autres œuvres à lire, voir, écouter
- Si vous cherchez d’autres podcasts pour vous aider à comprendre l’impact carbone des vols commerciaux, j’ai compilé trois épisodes fascinants dans une playlist intitulée « Êtes-vous une personne terrible si vous continuez à voler ? » Ils m’ont aidé à comprendre pourquoi le développement des avions à hydrogène, largement financé par l’État français, n’est pas la solution à tous nos problèmes.
- Dans son Petit manuel d’autodéfense intellectuelle sur les avions, le climat et la fiscalité en France Publié en 2019, le think tank The Shift Project déjoue cinq arguments souvent avancés par les défenseurs de l’avion. Cinq courtes pages bien utiles pour répondre à ceux qui disent : « Et que faites-vous des métiers de l’aéronautique ? »
- Si vous pensez qu’arrêter de prendre l’avion revient à renoncer à voyager à l’étranger, détrompez-vous. Il existe même des guides dédiés aux routards soucieux de leur empreinte carbone. Je vous recommande le guide Voyager à zéro émission de carbone (ou presque) publié par Lonely Planet, qui propose quatre-vingts itinéraires dans toute l’Europe, classés par durée de deux à vingt jours. Pour chaque voyage, le guide indique le poids carbone de votre transport.
- Et si vous cherchez à occuper vos longs voyages en train, emportez une bande dessinée avec vous. Horizons climatiques – Rencontre avec neuf scientifiques du GIEC dans vos valises. La chercheuse Iris-Amata Dion et le dessinateur Xavier Henrion vulgarisent les rapports du GIEC, le groupe de référence des scientifiques sur le changement climatique, à travers les éclairages de neuf scientifiques. Pas besoin d’avoir beaucoup de connaissances pour comprendre cette BD, qui aurait pu s’intituler « L’ABC du climat expliqué par les plus grands scientifiques du monde ». Vous serez soulagé d’avoir renoncé à quelques vols après cette lecture.