Vivre sans avoir d’images mentales… et sans le savoir
Cousin de Charles Darwin, Francis Galton (1822-1911) est célèbre pour avoir été le champion de l’eugénisme, une triste passion qui a éclipsé un travail scientifique considérable. On lui doit le terme « anticyclone », l’identification par empreintes digitales, ou encore les outils statistiques utilisés en psychologie. Son goût pour cette discipline l’a amené à mettre le doigt sur la diversité de nos capacités à créer des images mentales, identifiant un trait neurobiologique qui ne sera nommé que cent trente-cinq ans plus tard.
En 1880, il expose dans la revue Esprit son « questionnaire sur la table du petit-déjeuner ». Tandis que son cher cousin Charles imagine son petit-déjeuner « aussi distinctement que s’il avait des photos devant lui », d’autres participants à cette épreuve, souvent des hommes de science, déclarent ne disposer d’aucune imagerie mentale. Leur l’œil de l’espritleur « œil intérieur » est comme aveugle !
Il faudra attendre près d’un siècle avant qu’un nouveau questionnaire, « sur la vivacité des images mentales » (VVIQ), examine ces troublantes différences interpersonnelles. Et ce n’est qu’en 2015 qu’un neurologue britannique, Adam Zeman, des universités d’Edimbourg et de Bristol, leur a donné un nom scientifique.
L’aphantasie fait référence à la difficulté ou à l’impossibilité de former consciemment des images mentales, tandis que l’hyperphantasie fait référence au cas où « L’imagerie mentale rivalise en vivacité avec la perception réelle », il écrit. Deux extrêmes de la capacité à créer des représentations mentales, non seulement visuelles, mais aussi auditives, gustatives, tactiles, etc., entre lesquelles se situe la majorité de la population.
Une curiosité cognitive
L’étrangeté de l’aphantasie ? Cela surprend souvent ceux qui sont intéressés. « Au début, ça a été un choctémoigne Charlotte Langlais, une jeune professeur d’anglais, qui a découvert qu’elle souffrait d’aphantasie en 2020. Je n’imaginais pas qu’il était possible d’avoir des images visuelles, voire même une imagination, puisque dans mon cas toutes les modalités sensorielles sont concernées. »
Demandez-lui d’imaginer en train de mordre dans un citron, elle dira qu’elle a « une légère réaction salivaire, à peine perceptible ». » Et bien sûr, Elle ajoute, Je n’ai pas du tout l’odeur, le goût, ni aucune modalité imaginaire envers ce citron. » Elle compose avec une voix intérieure « très peu développé, très bas, éloigné »qu’elle ne peut pas « faire crier ou chuchoter ». En matière de lecture, elle n’aime pas les mondes fantastiques comme Harry Potter, préférant les écrits avec beaucoup de dialogues et de réalisme. « Et les adaptations cinématographiques ne me choquent pas », dit-elle : n’ayant pas visualisé les personnages, elle a vite oublié leurs traits. Restera bientôt de la session « seulement des faits, des concepts »et le souvenir d’avoir passé un bon moment – ou pas.
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