Violences à l’hôpital : « Renforcé par le manque de moyens, le sentiment d’insécurité grandit de jour en jour »

Alors que François Braun, le ministre de la Santé, exhorte les soignants à porter plainte, la sociologue Déborah Ridel pointe du doigt la sous-déclaration des actes de violence et le désarroi des blouses blanches, qui se sentent de plus en plus exposées.
Y a-t-il une recrudescence de la violence au sein de l’hôpital ?
En 1999, une infirmière avait déjà été tuée à Saint-Étienne. Ces faits existent depuis un certain temps. Nous n’avons pas les moyens de savoir s’il y a effectivement plus de violence aujourd’hui. Un recensement n’existe que depuis 2005 via l’Observatoire national des violences en milieu hospitalier (ONVH), puis l’Observatoire national des violences en milieu sanitaire (ONVS), rattaché au ministère de la Santé, qui a pris le relais en 2012.
C’est peut-être à partir de cette année-là que les chiffres sont comparables. Mais les ombres demeurent. Ce recensement se fait uniquement sur la base du volontariat : les établissements enregistrent et transmettent les déclarations d’événements indésirables. Il faudrait aussi pouvoir contrôler les plaintes déposées. Ce qui est certain, cependant, c’est que ces dernières années, les déclarations de violences se sont multipliées. Pour quelle raison ? Peut-être parce que les soignants sont davantage incités à le faire par les collectifs et les syndicats.
Les soignants témoignent pourtant d’une situation « pire qu’avant »…
Cette violence est plus visible. Le sentiment d’insécurité augmente de jour en jour. Elle est réelle et renforcée, notamment par le manque de moyens. Aux yeux de certains, les soignants incarnent le service public, et donc l’hôpital qui ne va pas bien. L’accroissement des inégalités sociales contribue également à créer des tensions.
A l’inverse, les blouses blanches ont souvent tendance à minimiser ces faits. Pour quelle raison ?
Dans les urgences, on assiste à une banalisation d’une certaine forme de violence : on considère que cela fait partie du métier. Cela conduit à une sous-déclaration de ces événements pour trois raisons. La première est pratique : par manque de temps et par méconnaissance du système.
Peu savent, par exemple, qu’il est possible de porter plainte sur son temps de travail. Il y a aussi une raison empathique : on considérera que l’agresseur n’est pas responsable du fait de l’altération de son discernement. Enfin, il y a une question éthique, les soignants pensent que cette violence est réactive, qu’eux-mêmes sont violents parce qu’ils n’ont pas le temps de bien soigner les gens.
Quand on parle de violence, qu’est-ce que c’est ?
L’ONVS répertorie les violences contre les personnes et les biens. Vous devez les séparer. Sur les violences faites aux personnes, l’Observatoire mène un travail de fond, creusant qui sont les auteurs, les victimes, dans quels services cela s’est produit… Il graduera les différents types de situations selon les textes de loi. Mais ce classement ne correspond pas toujours à l’expérience du terrain. Aux urgences, j’ai pu constater qu’une gifle (sans jour d’incapacité temporaire de travail) était ressentie comme moins grave qu’une menace car la violence physique est moins ancrée dans le temps.
Suite au drame au CHU de Reims, que penser des réponses sécuritaires du ministre de la Santé ?
C’est un bandage sur une jambe de bois. Au début des années 2000, on parlait déjà d’une « frénésie sécuritaire » : on rend visible le fait divers pour créer un problème à l’action publique. Cela a surtout contribué à ouvrir un marché de la sécurité, en disant « on va fermer les portes, mettre en vidéosurveillance et des agents de sécurité ». Aujourd’hui, on a l’impression d’être dans une double frénésie. Ce n’est pas la solution. La fermeture des portes des urgences ne réduit pas la violence. Cela augmente même l’agressivité des patients, qui ne comprennent pas ce qui se passe.
Le ministre insiste également sur la fluidification du dépôt des plaintes et la formation des soignants. Ces mesures sont-elles plus appropriées ?
Porter plainte est décourageant. Il faut des années avant qu’il y ait un jugement. Des dommages et intérêts sont demandés, mais ce n’est pas ce qui intéresse les soignants, ils attendent plutôt de la personne qu’elle reconnaisse les faits. Concernant les formations, il y en a déjà beaucoup, parfois obligatoires. J’ai pu constater que certaines n’étaient pas adaptées au contexte.
Il a été suggéré, par exemple, que le personnel d’urgence crie « code rouge » en cas de problème. Mais quand quelqu’un l’a fait, il ne s’est absolument rien passé, car il y a beaucoup de bruit dans le service. Nous allons aussi leur proposer des formations en self-défense, krav maga… Il faudrait écouter davantage les agents de terrain pour trouver des solutions.
Quelles solutions seraient efficaces ?
Une présence de soignants en nombre et des places suffisantes pour que les malades n’attendent pas. Aux urgences, s’ils attendent tous au même endroit, ils se demandent pourquoi on appelle quelqu’un et pas eux. J’ai pu observer la réorganisation d’un service avec une dissociation des zones d’attente selon le secteur (urgences vitales, soins externes et urgences médicales).
Les patients ne se voyaient pas, ce qui a contribué à apaiser les craintes. Un médecin avait également été mis à l’accueil pour effectuer un triage plus rapide. Il serait également intéressant de disposer d’un sas permettant de dissocier les pathologies psychiatriques des pathologies somatiques. Mais les deux peuvent être liés et coexister, car dans certains cas le problème somatique, comme une tentative de suicide, doit être pris en charge avant le problème psychiatrique.
Grb2