Ce procès promet d’être exemplaire. Non pas en raison de sa longueur extraordinaire de quatre mois, ni en raison du nombre ahurissant d’accusés impliqués ou de l’horreur des faits qu’il dénoncera, mais parce qu’il saura démontrer l’obscénité dont M. Average est capable.
Cinquante pères de famille ou hommes célibataires, jeunes et moins jeunes, un large éventail de personnes parfaitement intégrées dans la société, seront jugés à partir de lundi 2 septembre à Avignon (Vaucluse) pour avoir violé une femme sous l’emprise de somnifères administrés à son insu. Pas des monstres, mais 50 hommes ordinaires – pompier volontaire, infirmier, journaliste, entrepreneur – niant la gravité de leur acte. Et un mari, Dominique Pélicot, 70 ans, qui a drogué sa compagne certaines nuits pendant des années, « l’amour de la vie »pour la livrer aux fantasmes d’inconnus.
Ce procès doit être un modèle car il a le pouvoir de démontrer le continuum des violences tolérées dans notre société envers les femmes et les minorités de genre. Une culture du viol qui permet à Dominique Pélicot de multiplier les blagues salaces entre amis, de se photographier sous les jupes des clientes du supermarché ou sa fille sortant de la douche, d’imposer des relations sexuelles à sa femme sans son consentement, de la considérer comme un objet au point de s’autoriser à donner son corps à d’autres pendant près de dix ans.
Ce large spectre de violences peut également inclure des féminicides. C’est pourquoi le parquet de Nanterre a souhaité se pencher sur le cold case d’une femme violée puis assassinée à Paris en 1991, le mettant en examen dans cette affaire. Mais l’homme nie totalement ces dernières accusations.
« C’est son monde qui s’effondre ce jour-là »
C’est le 2 novembre 2020 que Gisèle Pélicot1 Elle a été convoquée au commissariat. Elle savait que son mari de 68 ans avait été pris en flagrant délit par un agent de sécurité d’un supermarché, en train de prendre des photos sous les jupes de femmes. Mais une enquête plus approfondie a permis aux enquêteurs de découvrir d’autres preuves sur son ordinateur : de nombreuses photos et vidéos d’elle en train d’être violée dans son sommeil par des hommes aux visages anonymes.
« Un cataclysme »résume ses conseils Caty Richard dans Le Parisienun an plus tard. « C’est son monde qui s’est effondré ce jour-là, poursuit l’avocat. Comment pouvait-elle soupçonner un côté aussi sombre, une telle duplicité chez cet homme avec qui elle était en couple depuis près de cinquante ans ?
Des mois d’enquête permettront de comprendre le modus operandi du mari, qui remonte à 2011 et s’est même poursuivi brièvement après son arrestation en 2020. Dominique Pélicot recrutait des inconnus sur un réseau social spécialisé, finalement fermé en juin dernier.
Sans demander aucune compensation financière, il les a discrètement fait venir à leur domicile de Mazan (Vaucluse), leur a ordonné de se déshabiller dans la cuisine, de se laver les mains à l’eau chaude pour éviter une sensation de froid sur le corps de sa femme qui pourrait la réveiller. Le principal accusé reconnaît avoir eu recours à la soumission chimique en droguant lui-même sa femme avec du Temesta, un puissant anxiolytique, avant les rendez-vous prévus.
Cette utilisation récurrente de sédatifs ne sera pas sans conséquences pour sa femme : fatigue importante, absences, la victime se plaint régulièrement de ces étranges symptômes. Elle ne comprend pas son inflammation du col de l’utérus constatée par un gynécologue. Personne ne s’en inquiète, aucun professionnel ne recoupe les diagnostics : le procès devrait aussi mettre en lumière les écueils de notre système médical dans l’identification des drogues et médicaments largement utilisés en cas d’agression sexuelle.
Selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), 42,6 % des personnes victimes de soumission chimique l’ont subie en privé, par des auteurs qu’elles connaissaient (41,5 %). Le GHB ou « drogue du viol » arrive loin derrière l’usage plus accessible de benzodiazépines comme le Stilnox, le Xanax, le Valium, le Temesta… mélangées à de l’alcool. Un cocktail terrible, régulièrement administré à Gisèle Pélicot, qui l’a privée d’une grande partie de sa vie pendant une décennie.
83 attaquants identifiés
« Elle vivra véritablement pour la première fois, mais de manière différée, ce qui lui est arrivé, à l’audience, explique Maître Antoine Camus, l’un des avocats de la victime. Nous savons qu’elle ignorait totalement ce qui lui avait été infligé. Elle n’a aucun souvenir des viols qu’elle a subis pendant dix ans. Elle les découvrira tout au long de ces quatre mois. C’est ce qui fait de cette affaire, pour elle, une épreuve absolument terrible.
La folie archivistique du mari a permis d’identifier 83 agresseurs, mais 30 ont disparu dans la nature. Pourtant, 51 d’entre eux seront au banc des accusés lundi 2 septembre, et plusieurs sont déjà en garde à vue. Certains se défendent encore, affirmant ne pas avoir été informés de l’état de santé de la victime, ce que le mari nie.
D’autres ont vécu la scène jusqu’à six fois et auront bien du mal à se renvoyer la balle devant les juges professionnels du tribunal correctionnel départemental d’Avignon. Longtemps prévue à huis clos, l’audience sera finalement publique. « Le temps a fait son œuvre, expose Maître Camus. Aujourd’hui, elle comprend qu’il y a beaucoup de leçons à tirer de sa propre histoire et son premier souhait est évidemment qu’elle soit connue. Le silence, c’est ce que veulent les agresseurs, en fin de compte.
Aux côtés de sa mère, Caroline Darian a porté plainte au civil. Des photos d’elle en petite tenue, endormie, ont également été retrouvées, conservées par son père. Depuis, elle s’engage dans la lutte contre la soumission chimique, racontant son histoire dans le livre Et j’ai arrêté de t’appeler papa (JC Lattès) et créé le mouvement #MendorsPas, parrainé par la députée centriste Sandrine Josso, elle aussi victime de soumission chimique. Ils avaient obtenu la formation d’une mission gouvernementale sur la question, interrompue par la récente dissolution de l’Assemblée nationale…
Le procès Mazan va-t-il créer une onde de choc au même titre que le procès de Bobigny en 1972, qui avait conduit à la légalisation de l’avortement, ou celui de Jacqueline Sauvage sur les violences conjugales ? Il nous appartient à tous de l’utiliser dans ce sens, pour qu’il ne soit pas traité vulgairement comme un fait divers sensationnaliste, mais qu’il mette en lumière ce que la domination et le patriarcat permettent, et que nous devons combattre partout, sur tout le spectre du continuum de la violence.
Avant de partir, une dernière chose…
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