Vincent Dedienne, premier lauréat de la 35e Nuit des Molières
Après les Césars et les Victoires de la Musique, la Nuit des Molières clôturera la saison des récompenses françaises : ce lundi soir aux Folies Bergère, la cérémonie s’est ouverte au son de la fanfare des pompiers de Paris, qui guidait Caroline Vigneaux, maîtresse de ce 35, sur scènee cérémonie.
Dès le discours inaugural de la célébration du « spectacle vivant, qui offre une part de rêve, d’émerveillement et permet de libérer la colère », le message politique s’est invité dans la soirée. « Je remercie tout le monde… sauf vous, Madame la Ministre » a lancé Caroline Vigneaux à Rachida Dati. « Soit vous récupérez le pactole de 204 millions d’euros (la coupe décidée peu après sa nomination dans le budget Culture, NDLR), vous ne touchez pas aux intermittents, et on vous libère quand vous êtes prêt pour la mairie de Paris. » Assise aux côtés de Jean-Marc Dumontet, directeur de six théâtres parisiens et président de l’association Molières, Rachida Dati a alors levé le pouce en signe d’approbation.
» Rien «
Le tandem Jean-Pierre Darroussin et Ariane Ascaride, révélés au cinéma dans les films de Robert Guédiguian, avait pour mission de remettre le premier trophée de la soirée. Alors que beaucoup attendaient Stéphane Freiss pour « Le Cercle des poètes disparus », c’est Vincent Dedienne qui a reçu le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé, pour « Un chapeau de paille d’Italie », le classique d’Eugène Le DOE.
De manière hilarante, Vincent Dedienne, 37 ans, s’est exclamé « Mais c’est n’importe quoi ! C’est beaucoup trop tôt», avant d’exprimer son bonheur de pouvoir être comédien tête-à-tête, chroniqueur et acteur de pièces de répertoire. «Je veux m’adresser aux 22 personnes présentes dans cette salle et leur dire collectivement que je les aime. C’est pratique pour les gens qui sont vraiment sentimentaux et prudes comme moi. »
À deux reprises, Sophia Aram a été appelée sur scène. Annoncer le lauréat du Molière de l’humour (« Ce n’est pas facile d’être heureux quand tout va mal » de Rudy Milstein) puis recevoir le lauréat de l’humour pour son one-woman show « Le Monde d’Après ». Deux occasions de dénoncer les « teubés » qui l’insultent copieusement sur les réseaux sociaux, et d’appeler ceux qui « ont la liberté de crier sur toutes les scènes de France à faire attention à (leurs) silences. Dans le brouhaha de notre indignation facile, c’est un silence assourdissant qui résonne depuis les attentats du 7 octobre. Peut-on être solidaire des morts de Gaza sans être solidaire des victimes israéliennes ? Comment exiger un cessez-le-feu de Netanyahu sans exiger la libération des otages ? Ce silence continue de blesser tous ceux qui sont engagés en faveur des droits humains. J’aurais pu trouver quelque chose de plus léger, mais je n’ai rien trouvé de plus sincère. »
« Les remparts s’élèvent »
« Vous n’êtes pas seuls » était le message du spot diffusé contre les violences faites aux femmes, diffusé lors de la cérémonie. En recevant son trophée des mains de Zabou Breitman, Eva Rami (lauréate du Molière de la seule sur scène pour « Va amour ! ») était visiblement très émue. « J’ai une pensée pour la petite fille que j’étais, qui gardait le silence pendant des années par peur d’être rejetée, qui pensait que pour réussir il fallait tout accepter. Il y a encore un long chemin à parcourir pour vaincre le déni, tant personnel que sociétal, mais les lignes commencent à bouger : des murs se dressent contre les violences faites aux femmes et aux enfants grâce à nos témoignages. Merci à tous ceux, connus ou non, qui ont ouvert la voie, le chemin ainsi que la parole. Je crois au pouvoir des mots. Le combat est loin d’être terminé. Tout le monde, allez vous faire aimer !
L’enthousiasme et l’énergie des deux lauréats des Molières de la Révélation (Olivia Pavlou-Graham pour « 4211 km » d’Aïla Navidi et Ethan Oliel pour « Le Cercle des poètes disparus ») ont apporté un élan bienvenu. Avant qu’Eric-Emmanuel Schmidt ne remette un Molière honoraire à Francis Huster, 76 ans, un cabot diabolique qui a rendu un hommage passionné à Jean-Baptiste Poquelin.
Finalement, c’est après 23h15 qu’un comédien, membre de la CGT-spectacle, est venu parler aux intermittents présents. « Nous ne pouvons pas rester silencieux. Comment ne pas partager notre inquiétude face aux attaques contre l’assurance chômage et au démantèlement de notre protection sociale ? Comment ne pas se révolter face à ses coupes budgétaires massives dans l’éducation, la recherche, l’environnement et la culture ? (…) Ces réformes interviennent au moment où le divertissement public traverse une crise sans précédent : des centaines de spectacles ne verront pas le jour en 2025, des festivals disparaissent, des dizaines de milliers d’emplois sont menacés. C’est un plan de licenciements massifs qui ne dit pas son nom. (…) Si l’Etat ne nous entend pas, nous continuerons à nous mobiliser, de manière organisée, pour vivre de notre travail », a-t-il lancé à Rachida Dati, impassible.