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Valérie Perrin, Leïla Bekhti, Jean-Pierre Jeunet : fleurs partagées

Ils se regardent, se tiennent la main pendant de longues minutes, presque se font des câlins, sous l’œil tendre de leur réalisateur et de notre photographe qui n’en rate pas une miette. Valérie Perrin est émue. Elle rencontre enfin Leïla Bekhti, celle qui sera sa Violette au cinéma, l’héroïne de son deuxième roman, « Changer l’eau des fleurs » paru en 2018. Enorme succès en librairie encore aujourd’hui qui raconte la vie d’une baby-sitter de cimetière meurtri. par l’existence mais porté par l’amour des autres. Nous sommes dans le bureau parisien de Jean-Pierre Jeunet, rempli d’objets coups de cœur de ses films et d’affiches des films de Carné et Prévert, à deux pas du célèbre Café des Deux Moulins à Pigalle. Quand deux univers finalement si proches se rencontrent enfin…

Paris Match. Quand on connaît vos univers respectifs, on se dit qu’il était évident que Jean-Pierre dépeindreait votre roman, Valérie…

Valérie Perrin. Il y a toujours eu une connexion étonnante, presque irréelle, entre nous. Je me souviens d’avoir rencontré Jean-Pierre il y a plus de dix ans au Festival du cinéma américain de Deauville. Et j’en ai profité pour lui poser une question qui me tracassait : pourquoi la mère d’Amélie Poulain est-elle originaire de Gueugnon, en Bourgogne, la commune où j’ai grandi ? Et là, il commence à me décrire les rues, en me racontant qu’il y passait tous les étés avec sa grand-mère quand il était enfant…

Jean-Pierre Jeunet. Valérie est même allée jusqu’à photographier la petite route où je faisais du vélo quand j’étais enfant !

La suite après cette annonce

Vice-président C’était totalement improbable. Mais finalement pas grand-chose. Nos univers sont extrêmement proches. « Un long dimanche de fiançailles » m’a beaucoup influencé dans mon travail, notamment pour mon premier roman, « Les dimanches oubliés ». J’ai toujours eu deux cinéastes préférés : Claude Lelouch et Jean-Pierre Jeunet. Ils m’ont inspiré, bien avant que je les rencontre.

J.-PJ Puis tu m’as envoyé « Change l’eau des fleurs » à sa sortie…

La littérature permet l’imagination mais le cinéma donne chair

Jean-Pierre Jeunet

Et toi, Leïla, tu admires aussi Valérie et Jean-Pierre depuis longtemps…

Leïla Bekhti. Que je sois spectateur ou lecteur, j’ai toujours aimé les mondes fictionnels. Quand j’ai lu le livre pour la première fois, je me suis dit, c’est tellement beau… Il n’y a rien de plus beau que de parler de la vie parmi les morts. J’ai été portée par la poésie de Valérie. Comme je l’avais été par celui des films de Jean-Pierre. Alors, je vous laisse imaginer ma réaction lorsqu’on m’a proposé le rôle de Violette…

Vice-président Leïla a un cœur immense dans les yeux…

« Changer l’eau des fleurs » est une sorte de kaléidoscope d’histoires très différentes, avec le goût du détail. Comment concentrer tout cela dans un film ?

J.-PJ Il est évident que nous sommes obligés de faire des choix dans ces presque 600 pages. Par contre, j’ai fait très attention à garder plein de petits détails qui ne servent à rien dans l’histoire, mais qui sont l’âme du livre.

Lesquels ?

J.-PJ Les funérailles du showman, quand Violette joue le fantôme sur son vélo, et aussi tout ce chapitre où l’on décide de faire une liste. Il y a plein d’éléments comme ça qui ne sont pas indispensables mais qui font pour moi l’ADN du roman de Valérie.

Vice-président Aujourd’hui, quand j’ai des questions sur mon livre, j’appelle Jean-Pierre. Il le connaît mieux que moi.

KG Jean-Pierre sait filmer des histoires comme personne. Il vous embarque. Il m’a fait rêver. J’adore ces réalisateurs qui marquent le public. Et il m’a beaucoup quitté. Dans ce film, nous allons chercher l’émotion comme dans « Un long dimanche de fiançailles ». Ses personnages sont poétiques, dans une certaine folie, ils sont plus vrais que nature et en même temps, ils nous font revivre.

Comment faire en sorte que le cinéma ne dénature pas l’essence même d’un roman alors qu’il en fera inévitablement autre chose ?

J.-PJ Une chose très simple : on perdra en histoire mais gagnera en visuels. La littérature permet l’imagination mais le cinéma donne chair. Une actrice les larmes aux yeux, un personnage avec sa violence… L’imaginaire devient palpable.

KG Quand je lis un roman, j’essaie de me détacher. J’ai adoré le livre de Valérie, évidemment sans jamais penser que je pourrais un jour jouer Violette. Je pense que la force du film sera celle du livre. Se plonger dans cette douceur, cette folie…

Valérie et Jean-Pierre, vous avez en commun une poésie décalée, une certaine singularité et un goût pour l’irréel, pour le fantastique…

Vice-président C’est une façon de voir la vie, pleine de poésie.

J.-PJ Mais ce goût que nous partageons doit coller au projet. Pour ce film, il n’y aura pas de fantasme d’« Amélie », pas de plan d’un cœur qui bat, car ce serait trop. Mais il y a des éléments qui m’excitent déjà avant que je les tourne. Quand Valérie écrit que la mort est comme un chien qui slalome entre nos jambes, prêt à nous mordre à tout moment, je visualise immédiatement comment je vais mettre cela en images…

Vice-président Parfois, Jean-Pierre me dit qu’il se demande si je ne suis pas venu voler des idées dans son ordinateur pour écrire mes livres…

J.-PJ C’est beau, des rencontres comme ça.


Valérie Perrin et Leïla Bekhti.

Paris Match / © Dorian Prost

Comment expliquez-vous cette étonnante complicité qui vous unit ?

J.-PJ Il y a beaucoup de coïncidences, de petites choses que nous avons en commun. Gueugnon d’abord. Et puis ce projet. Il faut savoir que Valérie avait vendu les droits du livre à une société de production italienne qui m’a proposé de réaliser le film. C’est quand même incroyable parce que je savais déjà que Valérie voulait que je le fasse.

Avec ses flashbacks, ses arrêts sur image, sa bande originale, le roman s’écrit presque comme un scénario de film, non ?

J.-PJ Pour adapter une histoire, quelle qu’elle soit, il faut d’abord aimer le médium. Si ça me dérange, je ne peux pas le faire. Après, j’ai toujours su naturellement monter une histoire pour le cinéma. D’autres savent dessiner mais pour moi, il suffit de fermer les yeux pour visualiser une scène. Et en travaillant sur ce scénario, j’ai réalisé qu’il fallait que je me calme, que je n’aurais pas forcément besoin de mettre la caméra au plafond pour créer un bel effet cinéma. Il faut que cela reste simple et sobre. Mon inspiration pour ce film est venue du film russe de 1957, « Quand les cigognes volent », de Mikhaïl Kalatozov.

Vice-président Incroyable, tu ne me l’as jamais dit. C’est le film préféré de Claude…

Il n’y a rien de plus beau que de parler de la vie parmi les morts

Leïla Bekhti

Chaque lecteur a une idée de Violette, le personnage central du roman, et chacun de nous en a une incarnation bien différente. Comment Leïla Bekhti a-t-elle été choisie ?

Vice-président Je voulais absolument que Jean-Pierre soit vraiment amoureux de son actrice. J’ai senti que dès sa rencontre avec Leila, il était charmé.

J.-PJ Il faut toujours un clic. Et je suis tombé sur l’émission « Hot Ones » de Kyan Khojandi, où il reçoit des personnalités. Il demande à Leila, qui disait pouvoir pleurer sur commande, de lui réciter une recette de lasagnes en pleurant. Ce qu’elle fait à merveille. Je me disais: « D’accord, c’est elle. »

Vice-président Ce qui est compliqué, c’est que Violette est désormais internationale. Dans les soixante pays où le livre est sorti, les lecteurs ont créé leur propre Violette. C’est un personnage à part. Le seul qui ne m’a jamais quitté depuis l’écriture du livre. Normalement, je n’ai pas besoin de les pleurer lorsque je termine une histoire. Je les aime, je pense à eux mais c’est fini. Violette est toujours là, tel un fantôme, un petit ange gardien. Ce n’est un secret pour personne, j’aime Audrey Tautou. Je lui ai écrit pour lui dire, sachant pertinemment qu’elle ne ferait pas le film. Je lui ai raconté combien cette petite brindille brune avait inspiré tous mes personnages de mon roman. Mais il y a toujours une différence entre le fantastique et la vraie vie, et j’adore ce que propose Leïla. C’est évident. Elle dégage toute cette bonté, cette beauté, cette subtilité d’une Violette, et j’en suis ravie.

KG C’est un personnage plein de lumière, même pour moi qui n’ai pas un rapport apaisé avec la mort. Elle est intemporelle, résiliente. J’aime ces personnages super uniques qui en même temps vous parlent. Il n’y a rien de plus beau et de plus poétique que de chercher la vie à travers la mort.

Parfois, Jean-Pierre se demande si je ne suis pas venu piquer des idées dans son ordinateur

Valérie Perrin

Comment est né ce personnage, gardien de cimetière, dont l’une des tâches est de raconter les funérailles à ceux qui n’ont pas pu y assister ?

Vice-président Je l’ai écrit parce que je n’ai pas pu assister aux funérailles de ma grand-mère, car j’étais en Inde sur le tournage d’« Un + une », de Claude. J’en ai souffert et j’ai pensé que cela aurait été formidable si quelqu’un pouvait me raconter ce qui s’était passé ce jour-là. Et bien des anecdotes à ce sujet sont vraies, m’ont été racontées par le curé de Gueugnon. Enfin, cette histoire est aussi une enquête que nous ne raconterons pas ici pour ceux qui n’ont pas lu le livre. C’est une quête de vérité pour cette femme abandonnée qui a perdu sa fille, mais qui est toujours résiliente, terme utilisé partout aujourd’hui. Violette est une survivante. Et je crois que ce personnage a parlé à beaucoup de femmes. Chaque jour, je reçois du courrier traitant de deuil, de changements de vie, de burn-out. Et elle est considérée comme quelqu’un qui existe. C’est inquiétant.

J.-PJ J’avais vécu la même chose avec Amélie. Une sorte d’identification qui dépasse la normale. C’est pourquoi j’ai demandé à Guillaume Laurant, qui avait écrit avec moi « Amélie Poulain », de jeter un œil au scénario. Sans avoir lu le roman. Pour avoir une nouvelle perspective.

L’autre personnage central du roman est le cimetière dont Violette est la gardienne bienveillante. C’est un lieu à la fois déroutant, parfois douloureusement perçu, mais finalement très cinématographique…

J.-PJ Je l’ai compris lors d’un voyage de reconnaissance dans le sud de la France. On découvre finalement des choses touchantes, parfois drôles.

Vice-président Mots d’amour, photos, portraits…

J.-PJ Et je n’y ai pas vu la mort, finalement…

Vice-président Le roman a réconcilié beaucoup de personnes avec ce lieu…


Leïla Bekhti

Paris Match / © Dorian Prost

Comment travaillez-vous ensemble ?

Vice-président On s’appelle, Jean-Pierre me pose des questions, me demande des explications. J’ai lu les différentes versions de l’adaptation et j’en suis très content.

J.-PJ Ce qui est drôle c’est que Valérie vit avec un homme qui aime la vie alors que moi je suis plutôt misanthrope, voyant toujours le verre à moitié vide.

Que pense Claude Lelouch du projet ?

Vice-président Pour lui, le choix de Jean-Pierre est une évidence, c’est le meilleur choix possible. Selon lui, il a été fait pour le film. Claude considère qu’il y a un avant et un après « Amélie Poulain » au cinéma, que Jean-Pierre a apporté du nouveau. C’est pourquoi je suis ravi de ce qui se passe. J’ai écrit le livre et Jean-Pierre va le peindre.


« Changer l’eau des fleurs », de Valérie Perrin, éd. Albin Michel. Le film est une coproduction de Palomar et 24 25 Films (groupe Mediawan), coproduit et distribué par StudioCanal, avec le soutien de Canal+ et Netflix. Tournage en mai 2025.

© DR ​

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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Malagigi Boutot

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