Olaf Scholz sans horizon
Quand tout va mal, il vaut mieux se souvenir des jours heureux. C’est ce qu’a fait l’Allemagne hier en célébrant les trente-cinq ans de la chute du mur de Berlin. Cela ne suffira sans doute pas à faire oublier la semaine dernière, qui a vu exploser la coalition gouvernementale. « On a l’impression d’être dans une émission de télé-réalité trash. » Assène, déçue, Irène Mihalic, députée écologiste et membre de la majorité sortante.
La crise ouverte entre le chancelier Olaf Scholz et ses anciens alliés libéraux du FDP ouvre la voie à des élections anticipées. Mais quand les programmer ? Chacun veut imposer la date de vote la plus favorable pour son camp. Depuis trois jours, la classe politique se dispute sur ce choix de calendrier. « Nous voyons à quel point ils sont enfermés dans leur propre logique de politique intérieure malgré les appels à la responsabilité face aux événements aux États-Unis et en Ukraine. » note Stefan Seidendorf, directeur adjoint de l’Institut franco-allemand (DFI).
Ce faisant, l’Allemagne confirme son statut de maillon faible de la politique européenne. Si les ministres libéraux démissionnaires ont été immédiatement remplacés, il n’en va pas de même de leurs chefs de cabinet et conseillers. Le pays n’a donc plus de coordinateur intergouvernemental pour la politique transatlantique.
« Olaf est une marionnette », a commenté Elon Musk sur son compte personnel X. Ce message, rédigé dans la langue de Goethe, rappelait à l’Allemagne qu’elle avait été la cible favorite de la première administration Trump. Son ambassadeur à Berlin, Richard Grenell, a laissé un souvenir exécrable. Toutefois, cette dernière pourrait gagner du terrain à Washington.
Face à ces vents contraires, il pourrait être urgent de remettre de l’ordre dans le gouvernement. Vendredi, Friedrich Merz, président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et grand favori à la chancellerie, a donc plaidé pour des élections législatives le 19 janvier, veille du retour de Donald Trump au bureau ovale. « Sinon, nous lui offrons le plus beau cadeau de son mandat, » déclare Peter Altmaier, ancien ministre d’Angela Merkel. C’est dans notre intérêt vital. »
A ce stade, les sondages annoncent une nette victoire des conservateurs, qui pourraient rapidement constituer une coalition. Mais Olaf Scholz devrait poser la question de confiance – indispensable pour déclencher la dissolution – dès la semaine prochaine, et non, comme il l’envisage, à la mi-janvier. Selon Carlo Masala, expert en politique et sécurité internationales, il existe un fossé entre « l’hystérie et les injonctions à faire vite qui ont suivi l’élection de Trump et ce qu’on entend maintenant pour nous expliquer qu’il serait impossible de voter avant fin mars ».
Mercredi soir, Olaf Scholz a accusé les libéraux d’avoir mis fin à la coalition en raison de leur refus d’assouplir les conditions de la dette de l’Allemagne, dans un contexte de guerre en Ukraine où l’Europe doit investir dans sa défense. « Du pur cynisme », s’étrangle Marie-Agnès Strack-Zimmermann. Cet eurodéputé du Parti libéral se bat depuis des mois avec la Chancellerie sur l’envoi de missiles Taurus à longue portée aux Ukrainiens.
La décision a été systématiquement bloquée par Olaf Scholz, qui s’est autoproclamé « chancelier de la paix ». Il risque de payer ce positionnement. Selon un sondage publié vendredi, seuls 13 % des Allemands souhaitent qu’il se présente à nouveau. A 57%, ils privilégieraient une candidature du ministre de la Défense, Boris Pistorius, beaucoup plus clair sur la politique de sécurité internationale.
C’est aussi la partition que compte jouer Friedrich Merz. À la mi-octobre, il a annoncé qu’il livrerait le Taurus à l’Ukraine. Sa détermination sur les questions de défense se reflète dans un article publié dans Le monde cette semaine. « Mais comment financer tout ça ? Cela reste la grande question des débats européens, rappelle Jacob Ross, chercheur au groupe de réflexion sur les politiques internationales DGAP. Il est paradoxal de voir Merz signaler à la France qu’il sera plus ouvert aux solutions européennes tout en refusant les financements communs. » La récession économique, avec deux années de baisse du PIB, oblige l’Allemagne à peser chacune de ses dépenses. Peu après l’élection de Trump, le leader de la CDU a réaffirmé son engagement en faveur du frein à l’endettement. Il n’a pas non plus exclu de reconduire Christian Lindner, leader du parti libéral et champion de l’austérité, au ministère des Finances.
Von der Leyen sans stratégie
Donald Trump Je n’aime rien de plus que le sentiment de faire une bonne affaire. Ursula von der Leyen (VDL), qui pratiquait déjà le républicanisme lors de son premier mandat, l’a bien compris. Elle n’a donc pas attendu son retour à la Maison Blanche pour l’appeler cette semaine et lui proposer un deal : remplacer le gaz naturel liquéfié (GNL) russe, que les Européens achètent encore à prix d’or, par du GNL. Américain.
« C’est un sujet qu’on a abordé sans vraiment l’aborder en profondeur », a déclaré le président de la Commission européenne vendredi, à l’issue d’un sommet européen à Budapest. Elle a également exprimé son souhait de » s’engager « la conversation avec le 47ème président américain, « examiner d’abord quels sont les intérêts communs, puis négocier ».
Mais VDL repart avec un handicap. « En tant qu’Allemande et femme, je ne la mettrais pas en première ligne, car Trump est très sexiste et l’Allemagne est son ennemi juré. » » déclare Luuk Van Middelaar, co-fondateur du think tank Brussels Institute for Geopolitics. Il lui appartiendra malgré tout de préserver la compétence fédérale de la Commission européenne en matière commerciale contre les tentatives d’arrangements entre les capitales européennes et Washington. Sur les questions géostratégiques, comme l’Ukraine, « les dirigeants doivent réfléchir entre eux et décider d’une répartition des rôles », ajoute l’historien, pour qui « la question de la représentation européenne à la Maison Blanche » n’est pas décidé.
Il est vrai qu’à côté du leader allemand, d’autres peuvent jouer ce rôle. Emmanuel Macron peut se targuer de pouvoir parler à Donald Trump « de président en président », d’autant qu’il l’a lui aussi connu lors de son premier mandat. Il n’est pas le seul. En juillet 2018, c’est l’habileté du Néerlandais Mark Rutte qui a permis de sortir vainqueur d’un sommet de l’Otan qui s’était transformé en mêlée générale. En tant que Premier ministre, il a convaincu l’Américain que si les Européens s’approchaient enfin des 2% du PIB en dépenses militaires, comme ils s’y étaient engagés, c’était… grâce à lui.
Aujourd’hui, Rutte est le secrétaire général de l’Alliance. « Il a été choisi par les Alliés, y compris l’entourage de Joe Biden, en cas de victoire de Trump, parce que c’est un excellent psychologue », dit Van Middelaar. Dans ce nouveau poste, il ne peut plus être la voix de l’Europe mais doit être une bonne courroie de transmission. Il reste donc quelques semaines aux Européens pour affiner une stratégie. Ce ne sera pas de trop.
Giorgia Meloni sans complexes
Le chef du gouvernement italien avait tout à gagner de l’élection présidentielle américaine. Car si Giorgia Meloni a su nouer de bonnes relations avec le démocrate Joe Biden, elle peut désormais s’appuyer sur sa proximité idéologique avec Donald Trump.
Ses liens avec le camp des milliardaires ne sont pas nouveaux. En 2018, elle reçoit son ex-conseiller Steve Bannon lors du congrès annuel de son parti d’extrême droite Frères d’Italie. « La présidente du Conseil entend jouer de cette amitié historique pour s’octroyer un rôle d’interlocutrice privilégiée auprès des Etats-Unis, observe Vittorio Emanuele Parsi, professeur de relations internationales à l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan. Ses lieutenants construisent déjà leur discours selon lequel Trump et Meloni sont les seuls dirigeants du G7 à sortir victorieux d’une élection. » Une version de l’Histoire qui omet le triomphe du travailliste britannique Keir Starmer.
Pour gagner les faveurs de Washington, Meloni compte aussi sur le soutien de ses « ami » Elon Musk, devenu une planète incontournable de la galaxie Trump. Jeudi, les deux se sont appelés. L’Italien a ensuite publié une photo d’eux sur le réseau X, propriété d’Elon Musk. Cette opération de séduction de Meloni doit être replacée dans le contexte de la guerre commerciale que Trump veut mener contre l’Europe. Une augmentation des droits de douane nuirait grandement à l’Italie, dont les États-Unis sont le troisième client. Par ailleurs, le Républicain pourrait décider de privilégier les accords bilatéraux avec les Européens.
Une stratégie « dangereux » pour l’Union européenne, mais qui coïnciderait avec les ambitions souverainistes de Giorgia Meloni, observe Vittorio Emanuele Parsi. Dans une UE en manque de leadership, l’Italien part en tout cas avec une longueur d’avance. « Son gouvernement est stable et sa majorité jouit toujours d’une bonne cote de popularité. » explique Lorenzo Castellani, chercheur à l’Université Luiss de Rome.
En Italie cependant, le leader postfasciste n’est pas le seul à rêver de ce premier rôle américain. Matteo Salvini, vice-président du Conseil et leader de la Ligue, a rapidement rappelé cette semaine qu’il était le seul à soutenir ouvertement la candidature du Républicain. Après sa victoire, il a exulté, affirmant que cela signifiait le retour de la paix en Ukraine. Mais, selon Lorenzo Castellani, Matteo Salvini a plus à perdre sur ce dossier que Giorgia Meloni : « Plus qu’un trumpophile, il est avant tout un russophile. Et les deux ne sont pas toujours compatibles. »