une usine géante de transformation du cobalt et du nickel pour batteries prévue sur la Garonne
Ce projet, d’un coût de près d’un demi-milliard d’euros, vise à « décarboner toute la chaîne de production de batteries », en approvisionnant près d’un tiers du marché français des véhicules électriques d’ici 2030.
Le Figaro Bordeaux
Convertir le nickel et le cobalt pour les batteries des voitures électriques, en créant des emplois qualifiés et en profitant d’un terminal portuaire qui n’a jamais été utilisé. Sur le papier, le projet EMME (pour Electro Mobility Materials Europe) semble avoir tout pour plaire, mais cette gigantesque usine veut élire domicile au milieu d’un espace naturel, agricole et inondable. Encore balbutiant, ce projet pharaonique de 480 millions d’euros suscite l’inquiétude d’une partie de la population de la métropole bordelaise.
EMME, dont le siège social est basé à Bordeaux, compte installer une unité industrielle de valorisation du nickel et du cobalt, deux matières premières convoitées, dans l’estuaire de la Gironde. « dont la production sera conforme aux spécifications européennes pour les matériaux actifs de cathodes de batteries pour véhicules électriques ». L’usine pourrait convertir 20 000 tonnes de nickel et 1 500 tonnes de cobalt par an à partir de 2028, ce qui en ferait « un des premiers sites spécialisés dans les applications batteries en Europe et en France ». Son objectif est de produire d’ici 2030 suffisamment pour couvrir l’équivalent de 20 à 30 % du marché français des véhicules électriques.
« Aujourd’hui, la production d’un véhicule thermique émet six tonnes de CO2 alors qu’un véhicule électrique aura émis dix tonnes”, rappelle Antonin Beurrier, directeur du projet EMME. Cinq tonnes sont nécessaires à la fabrication de la batterie électrique et cinq autres à la production de l’automobile. « Lorsqu’un véhicule électrique est acheté, il consomme donc plus de CO2 qu’un véhicule thermique, constate le porteur du projet, même si l’empreinte carbone d’un nouveau véhicule thermique dépasse alors celle des véhicules électriques, qui utilisent une énergie décarbonée. Délocaliser la transformation du cobalt et du nickel permettrait donc de limiter l’impact environnemental du secteur de la voiture électrique et de sécuriser les chaînes d’approvisionnement européennes en matériaux critiques.
Au coeur d’un parc de 6000 hectares
Une manière de moins dépendre de la Chine et de la Russie, en créant des capacités de production sur le territoire français ainsi que des savoir-faire et technologies industriels pour transformer le nickel et le cobalt. « dans les conditions les plus propres possibles »précise Antonin Beurrier. « Aujourd’hui, si vous achetez une batterie produite en Chine, vous importez aussi du CO2 en achetant leurs matériaux puisque 80 % de leurs centrales électriques fonctionnent au charbon. Au contraire, acquérir une batterie produite à partir de matériaux fabriqués en Europe réduirait son impact carbone, puisqu’ils proviennent de «provenant principalement d’une mine partenaire basée en Finlande».
En choisissant la Gironde, EMME recycle aussi. Le terminal Grattequina, sur les communes de Blanquefort et Parempuyre, est l’un des sept terminaux portuaires du Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB). « Ce site a une dizaine d’années, il a été conçu pour assurer la logistique des futurs parcs éoliens terrestres de Nouvelle-Aquitaine, une orientation qui n’a finalement pas été retenue »rappelle Jean-Frédéric Laurent, directeur général du GPMB. « Il est resté inactif pendant de nombreuses années », car aucun autre projet n’y a finalement vu le jour. Il pourrait enfin trouver son utilité chez EMME, pour le transport et la distribution de matériaux.
Autour du terminal Grattequina inactif, la métropole bordelaise a décidé de créer un parc de 6 000 hectares en 2021. Le parc des Jalles (du nom donné aux cours d’eau du Médoc) se présente comme « le premier parc naturel et agricole au cœur de la métropole ». Plus de 60 % de celui-ci est couvert par des protections environnementales (dont 20 % par Natura 2000). « Par sa vocation écologique, agricole et paysagère, le parc favorise le maintien et le développement de la biodiversité », explique la communauté. Il couvre des forêts, des bois, des prairies, une vallée maraîchère et une « marais agricole ». C’est dans cette zone, en partie inondable, qu’EMME souhaite s’implanter.
Risques de pollution de l’air et de l’eau
« Il est établi que le site sera classé Seveso », annonce Antonin Beurrier. Un classement lié « à la production de sels de nickel et de cobalt, toxiques au contact de l’eau, ainsi qu’à l’utilisation dans le procédé de dioxyde de soufre, toxique en cas de rejet massif dans l’air ». Même si le porteur du projet précise que les études sont « en cours » pour garantir qu’un accident « ça n’arrive jamais », Aucun risque n’existe. Sur les trente hectares où serait implantée l’usine, il est également prévu de remblayer le terrain sur plusieurs mètres, en cas d’événement climatique extrême.
Sepanso Gironde, qui regroupe plusieurs associations locales de protection de l’environnement, tire déjà la sonnette d’alarme. Après les deux réunions publiques obligatoires visant à consulter les habitants avant de modifier le plan local d’urbanisme (PLU) pour rendre le quartier constructible, plusieurs questions demeurent « flou » selon l’organisation. Elle s’interroge sur l’impact du transport de milliers de mètres cubes de terre pour remblayer les terres et sur l’avenir des terres agricoles des Jalles. Plusieurs étapes devront encore être franchies avant que le chantier obtienne le feu vert, mais EMME table déjà sur un démarrage des travaux en 2025. Un calendrier particulièrement ambitieux, pour un projet encore méconnu du grand public.