une société fracturée cherche une opportunité de communier
« On va pouvoir se changer les idées, putain, c’est inattendu ! » L’enthousiasme de Bastien, membre des Irréductibles, groupe de supporters de l’équipe de France de football, vient droit du cœur. En attendant l’arrivée de l’Euro 2024, qui débute ce vendredi 14 juin en Allemagne, le fan de football voit l’événement comme l’occasion de« oubliez un peu les événements récents ». Comprenez, le contexte politique actuel où les incertitudes se mélangent à l’anxiété. « A vrai dire, je ne sais plus quoi penser de la politique française et j’ai hâte de revenir sur des choses qui sont très terre-à-terre, mais qui nous rassemblent. Le football en fait partie. » il explique.
Économiser du souffle
Il faut dire qu’on en oublie presque le sport. Alors que l’Euro 2024 servira de rampe de lancement avant un été olympique à Paris, le contexte politique français, avec la tenue d’élections législatives anticipées, occupe tout l’espace médiatique. Pourtant, l’équipe de France est donnée parmi les favoris. Les raisons d’espérer une ferveur populaire dans les semaines à venir demeurent donc.
« C’est le propre de toute compétition internationale d’offrir un répit »explique Ronan Evain, directeur exécutif de Football Supporters Europe (FSE), un réseau de supporters européens. « C’est l’occasion de rassembler les gens, dans les bars, dans les salles des fêtes. Qui plus est, cet Euro met l’accent sur la question des droits de l’homme, sur la protection des personnes vulnérables, sur le dialogue avec les supporters… Il est assez salvateur que nos voisins allemands s’en saisissent, dans le contexte que l’on connaît. »
Les supporters qui s’apprêtent à profiter pleinement de ce moment alors que se joue en parallèle l’avenir de la France sont-ils déraisonnables, ou déconnectés ? « Le sport est un recours »se souvient l’historien du sport Yvan Gastaut. « C’est une sorte de médecine alternative face au malheur. Un recours parfois peu satisfaisant si l’équipe que vous suivez connaît un mauvais parcours, mais indispensable, dans une époque mouvementée. Les oppositions peuvent être oubliées, un temps, pour former un front uni en soutenant l’équipe nationale. »
Selon Carole Gomez, sociologue du sport à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, un précédent a eu lieu en 2016, lors de l’Euro organisé en France : « A cette époque, nous étions coincés dans des manifestations contre la loi travail. Puis le lancement du concours a relégué au second plan ce profond désaccord politique.elle se souvient. Si cette année les Bleus vont loin, et avec des élections qui se déroulent en pleine compétition, il sera intéressant de voir si les deux tableaux peuvent se jouer en même temps : fièvre populaire autour du sport et confrontation politique dans la rue. . »
« Il y a un côté éphémère, il ne faut pas s’attendre à ce que cela change la donne politiquementprévient cependant Yvan Gastaut. Quand on prend l’effet « noir-blanc-beur » après la victoire à la Coupe du monde 1998, nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que tout s’est vite calmé. Mais une grande victoire sportive reste dans la mémoire collective. Il y a une dimension patrimoniale. »
Le sport, dernier lieu de communion
Pourtant, avec le début de l’Euro 2024, une question surgit. Le sport est-il devenu le dernier bastion de l’enthousiasme et de la cohésion collective ? « Avant, une victoire politique pouvait susciter une forme de liesse populairesoulève l’historien. Nous constatons maintenant que ce n’est plus le cas. Celui qui remportera les élections en 2027 ne sera sans doute pas autant célébré que les anciens présidents l’étaient au moment de leur victoire. Aujourd’hui, le sport est seul dans ce combat. »
En attendant, les Français comptent bien s’appuyer sur le Championnat d’Europe des nations pour retrouver le sourire. En témoigne la récente enquête Odoxa, publiée le 8 juin, dans laquelle les fans de football ont été interrogés sur la compétition. Sur la liste des 25 joueurs annoncée par le sélectionneur Didier Deschamps, 90% d’entre eux n’y voient que peu d’objections. La même proportion se réjouit de la présence du chouchou des stades, N’Golo Kanté, exclu de la sélection depuis deux ans. Enfin, interrogés sur leurs trois favoris, 65% des fans de football citent l’équipe de France en tête.
« Peu importe comment se dessinent l’avenir et les fractures françaises» croit Bastien, le membre des Irrésistibles. Si les Bleus gagnent l’Euro, vous verrez que le gars d’à côté sera devenu un ami, tout le monde s’embrassera. Ce sera probablement éphémère, mais tant pis, on le prend quand même ! »
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Autriche, Pays-Bas et Pologne au menu des Bleus
L’Euro 2024 débute ce vendredi 14 juin avec l’Allemagne et l’Écosse lors du match d’ouverture (21 heures), et durera jusqu’au 14 juillet, jour de la finale à Berlin.
Allemagne, hôte de la Coupe du monde 2006, n’avait pas organisé l’Euro depuis 1988 et l’accueille donc pour la première fois depuis la réunification.
Vingt-quatre nations, répartis en six groupes, participeront à cette phase finale.
France, deuxième nation au classement FIFA et vice-champion du monde en titre, fait figure de favori, avec l’Angleterre et le Portugal. Dans le groupe D, les Bleus entreront dans la compétition en affrontant l’Autriche lundi 17 juin, avant les Pays-Bas, le 21, et la Pologne, le 25.