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une réalisatrice donne la parole à la jeunesse iranienne

Un an après son film Afghans, la réalisatrice Solène Chalvon-Fioriti s’est immergée dans un autre pays très fermé. Dans le documentaire Nous, la jeunesse iranienne, diffusée dimanche 21 avril sur France 5, elle dresse le portrait d’une nouvelle génération iranienne aux multiples facettes, connectée, politisée, féministe ou conservatrice, mais toujours avide de liberté. Grâce au témoignage de six Iraniens de moins de 25 ans, le film révèle les profonds changements survenus dans le pays, à la suite de la mort de Mahsa Amini et du mouvement de contestation qui a suivi. La réalisation de ce documentaire a été rendue possible grâce au recours à l’intelligence artificielle, qui a permis d’anonymiser les visages et de protéger les jeunes témoins, qui, quelles que soient leurs opinions, vivent sous un régime qui interdit à chacun de s’adresser aux médias étrangers. La réalisatrice revient, pour franceinfo, sur la réalisation très particulière de son documentaire.

Franceinfo : Votre film donne la parole à six jeunes Iraniens, hommes et femmes, et montre leur quotidien. Avez-vous pu aller en Iran pour les rencontrer et réaliser ce documentaire ?

Solène Chalvon-Fioriti : Non, mon visa a toujours été refusé, je n’ai jamais pu aller en Iran. J’ai donc réalisé ce tournage à distance, avec des non-professionnels. Il n’y a presque plus de professionnels (extrait du documentaire) en Iran : les cameramen sont soit en prison, soit suivis par le régime et fichés, donc impossible de les faire travailler. Nous avons identifié des personnes qui voulaient apprendre à filmer et nous nous sommes tournés vers eux. Nous avons formé la narratrice principale, Sarah, et deux autres jeunes femmes, coiffeuse et photographe de mariage, au tournage.

Je leur ai appris à cadrer à l’aide d’une messagerie sécurisée, avec des messages éphémères qui s’effacent automatiquement toutes les 24 heures. Il fallait être sûr qu’en cas d’arrestation, ces messages disparaîtraient pour qu’ils ne soient pas inquiétés. C’est pourquoi le film a été particulièrement long à réaliser : toute cette partie formation s’est déroulée dans de très mauvaises conditions de communication, l’État bloquant régulièrement Internet. Nous avons commencé le tournage en novembre 2022, cela a donc pris plus d’un an. Ce que j’ai voulu montrer dans mon film, c’est que le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a été une onde de choc pour tout le monde. Et surtout, cela nous a donné l’occasion de voir en face cette jeunesse iranienne.

Comment avez-vous trouvé les enceintes ?

Je ne peux pas vraiment entrer dans les détails, mais ce sont des rencontres fortuites grâce à un caméraman franco-afghan. Un jour, il rencontre furtivement le personnage central, Sarah, dont le prénom est modifié. J’ai réussi à la retrouver, mais elle était réticente à participer au film, puis elle a commencé à m’envoyer des notes vocales pour pratiquer son anglais et surtout se défouler. Ensuite, les notes vocales sont devenues des confidences intimes, qui se sont transformées en un lien intéressant pour le film. Et finalement, elle a raconté le film avec moi et a beaucoup filmé avec son téléphone.

Pourquoi avez-vous utilisé l’intelligence artificielle pour anonymiser vos cookies ?

Je n’ai travaillé que dans des dictatures ou dans des pays en conflit. J’ai toujours flouté les visages pour mes films. C’était très insatisfaisant, très déshumanisant, car un visage reflète l’altérité, la fraternité, l’empathie ; le flou, non. La première fois que nous avons fait le test avec l’intelligence artificielle et reçu les premiers visages, c’était bouleversant. Nous n’avions pas perdu nos témoins. Je connais évidemment leurs vrais visages, ils n’ont rien à voir avec les nouveaux, mais je les ai trouvés à l’intérieur. Les expressions, les corps et les gestes étant préservés, nous les percevions derrière. Cela ne crée pas de frein au flou.

« On voulait garder les imperfections, je ne voulais pas non plus que les visages soient trop réels. Ils sont un peu plastiques, car l’idée n’était pas que ce soit trop esthétique. C’était de mettre un visage sur celui qui parle. à nous, et surtout pour anonymiser. »

Solène Chalvon-Fioriti, réalisatrice de « Nous, jeunesse(s) d’Iran »

sur franceinfo

Pour moi, c’est comme un masque en mouvement. En effet, tourner un film avec des visages d’intelligence artificielle nécessite une technique bien spécifique, et nous n’avions pas accès à tous les moyens nécessaires. Donc beaucoup de choses n’ont pas très bien fonctionné, ce qui explique les imperfections. Mais finalement, ça nous a été utile, parce que ça nous a permis de raconter autre chose.

Certaines voix ont été modifiées, mais pas toutes. Concernant Sarah, le personnage principal, il était évident que nous ne voulions pas sa vraie voix, nous avons donc choisi une actrice iranienne. Nous avons utilisé différentes techniques en fonction des risques et des envies de chacun.

Les avez-vous impliqués dans la création de ces avatars ?

Oui, et ce qui me frappe dans ce film, c’est le fait d’impliquer les gens dans le choix de leur faux visage. Cela a créé un lien très particulier. Il y a toujours quelque chose de difficile à interviewer des gens qui vont mal. En tant que journaliste, vous arrivez pour recueillir une déclaration risquée ; ces personnes doivent absolument vous faire confiance, même si vous les exposez à un danger. Et souvent, on repart avec quelque chose d’insatisfaisant, avec ce sentiment de réduire l’humanité, la détresse, les yeux qui pleurent, à un simple flou. Et là, c’était amusant pour eux de choisir leur visage. Il y a eu une interaction, une collaboration, qui a fait d’eux des acteurs du film.

Mais cela oblige à réfléchir. Je dois penser à l’intelligence artificielle, car je ne peux pas filmer les visages parce que c’est dangereux. Brouiller légèrement ces visages va aussi devenir risqué (car d’autres outils, également construits avec l’intelligence artificielle, permettent désormais de reconstruire des visages flous). Je dois utiliser cette technique. Mais paradoxalement, je l’ai apprécié et cela m’intéresse, car je me dis que cela va m’ouvrir d’autres horizons.

Les témoins favorables au régime ne pouvaient pas non plus témoigner ouvertement ?

Ah non, jamais. Le régime emprisonne également des religieux. D’ailleurs, les quartiers politiques des prisons iraniennes en regorgent. C’est aussi ce qui m’a intéressé dans ce film, et c’est aussi ce que j’ai compris de l’Iran, à savoir que l’opposition n’est pas entre le traditionnel et le moderne. C’est en réalité un conflit entre les pro-régime, ceux qui bénéficient de son soutien et ceux qui n’en bénéficient pas. Ce film me l’a encore davantage prouvé.

En allant chez les religieux, nous avons réalisé à quel point ce monde était en train de changer. La mère célibataire et divorcée que l’on voit dans le film et qui est dévouée au régime, est très cultivée, elle est doctorante et elle est très amoureuse de cette idéologie. C’était encore plus extraordinaire pour nous d’avoir des religieux dotés d’une intelligence artificielle. Le régime interdit toute critique et interdit à l’ensemble de sa population de s’exprimer devant les médias étrangers, même les plus conservateurs. Montrer leur visage les enverrait inévitablement en prison, cela aurait été un cauchemar. Techniquement, nous avons changé les appartements, changé les villes, changé les voix quand c’était nécessaire. Il s’agissait de brouiller les pistes autant que possible.

Comment ont-ils accepté de témoigner ?

Après de longues conversations, et surtout grâce aux liens de confiance qui se sont tissés au sein des communautés de femmes. Leur rôle est central dans le film. Ceux qui ont accepté d’être filmés étaient des femmes et ceux qui ont accepté de filmer étaient aussi des femmes. Le seul homme que l’on suit longuement n’a pas souhaité être filmé. Il y a plus de courage chez les femmes et ce n’est pas parce que je suis une femme que je dis ça. C’est juste une réalité.

On découvre dans votre film à quel point cette société iranienne se transforme…

Effectivement. À cause de la dictature, on ne voit pas à quel point ces changements culturels se produisent à une vitesse incroyable : les familles, qui en peu de temps sont passées de six à deux enfants ; l’explosion des divorces, procédure inscrite dans la loi islamique ; 60% des étudiants sont des femmes… L’Iran connaît des transformations si profondes que le régime est incapable de les arrêter, un retour vers le passé est impossible.

« Ce qui bouge dans ce pays, c’est de découvrir à quel point le fossé entre le peuple et les dirigeants est abyssal : 70 % des Iraniens sont favorables à la séparation de la religion et de l’État, 80 % des jeunes sont connectés en permanence grâce aux VPN. .. »

Solène Chalvon-Fioriti, réalisatrice de « Nous, jeunesse(s) d’Iran »

sur franceinfo

Ce n’est pas un peuple qui reste silencieux. Les femmes iraniennes sont très émancipées. Il y a la vie que le régime leur impose dans l’espace public et il y a le contrôle que les gens ont sur leur vie dans la sphère privée. Les mollahs ne peuvent pas intervenir partout. Les gens parviennent toujours à vivre leur vie comme ils l’entendent.

Pour l’anecdote, Sarah, qui est le témoin central du film et qui appartient à la classe moyenne très basse, m’a demandé si j’avais aimé le film. Anatomie d’une chute, qu’elle a vu sous-titré en persan. Le niveau culturel de ces personnes est vraiment impressionnant. Cela suscite une immense compassion, car ce que ce genre de gérontocratie leur propose en face est effrayant.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

Il faut comprendre qu’il n’y a pas de dualité entre le monde moderne et le monde religieux en Iran. La séparation n’est pas là. Chaque fois qu’une prisonnière politique est libérée et qu’elle s’adresse à la presse, elle raconte qu’en prison, elle se trouvait souvent dans des sections politiques avec de nombreuses religieuses en tchador. La différence se situe plutôt entre pro-régime et anti-régime. Ce qui rassemble cette jeunesse plurielle, c’est le désir de choisir sa vie, de choisir de porter ou non le voile, d’être religieux ou non. C’est la question du libre choix, que l’on retrouve aussi chez la jeunesse mondialisée.

Le documentaire Nous, la jeunesse iranienne. Voyage interdit parmi la génération Z iranienne, réalisé par Solène Chalvon-Fioriti, est diffusé dimanche 21 avril à 21h05 sur France 5, et sur la plateforme france.tv.

Cammile Bussière

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