une professionnalisation superficielle du football féminin, loin de son objectif d’être « la meilleure ligue du monde »
Au coup d’envoi du match entre Fleury et Lyon, vendredi 20 septembre, au stade Robert-Bobin de Bondoufle (Essonne), le championnat français féminin fera officiellement son entrée dans le monde professionnel, après des années d’attente pour voir l’ex-D1 Arkema franchir ce pas. Ce changement d’identité sera bien visible pour tous : la banderole déployée à l’entrée des actrices sur le terrain arborera le logo de la nouvelle Ligue de football professionnel féminin (LFFP), les joueuses poseront ensuite devant un panneau affichant le nouveau nom du championnat… En apparence, un certain nombre de nouveautés, dont certaines ont déjà été mises en place au cours de la saison écoulée pour préparer ce grand saut.
« Notre objectif est d’avoir un championnat qui sera parmi les meilleurs d’Europe, peut-être même du monde »s’est vanté Jean-Michel Aulas lors de la soirée de lancement de cette nouvelle ligue, le 29 avril dernier. Nommé président de cette nouvelle LFFP, l’ancien manager lyonnais assure que la Fédération française de football (FFF) investira elle-même entre 50 et 70 millions d’euros au cours des cinq prochaines années pour lancer cette ligue, qui couvre la D1 et la D2, et débutera pour cette saison avec un investissement estimé à 10 millions d’euros. De quoi conduire les clubs féminins à se structurer, après des années avec peu d’encadrement sur les infrastructures ou la composition des effectifs.
Au cœur de ces changements se trouve la mise en place d’une licence club donnant accès à plusieurs niveaux de subventions fédérales, avec un minimum de 350 000 euros. « Les équipes évoluant dans le championnat Arkema Premier League doivent justifier d’une organisation salariée pour assurer le développement de l’équipe féminine et répondre aux évolutions et à la professionnalisation de la pratique »écrit la LFFP dans son cahier des charges. Certaines compétences peuvent être « transversal à l’ensemble du club »c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire de recruter pour ces postes et que ceux déjà existants pour l’équipe masculine peuvent être partagés.
Parmi ces profils indispensables, la ligue cite ceux de responsable administratif, manager d’équipe, référent communication, référent stade et référent médias. Un même référent peut occuper plusieurs postes, jusqu’à deux maximum. Des prérequis sont également exigés au niveau du staff, avec une présence médicale hebdomadaire d’au moins dix heures et un kiné à temps partiel. Pas de quoi étoffer outre mesure les staffs, dont beaucoup restent constitués de seulement cinq personnes : l’entraîneur et son adjoint à temps plein, un préparateur physique, un entraîneur des gardiens et un analyste vidéo à temps partiel. Aucune exigence non plus en termes de budget investi par les clubs chaque saison dans leur section féminine, alors que certains dirigeants, comme Montpellier, ont déjà annoncé une réduction des sommes allouées.
« Après plus de cinq ans en D1, j’ai vu très peu de changement sauf au niveau des infrastructures, où nous avons moins de terrains synthétiques, plus de terrains en herbe, liste un joueur expérimenté du championnat français. Le passage en ligue professionnelle ne nous a apporté aucun changement. » Ce qui réfute Marie-Hélène Patry, déléguée générale de Foot unis, le syndicat patronal du football professionnel : « Si on veut avoir la licence club, il faut mettre en place un certain nombre d’éléments qui représentent des coûts. Cela risque d’augmenter les budgets des sections féminines plutôt que de les réduire. Et c’est l’objectif, car derrière un budget, il y a aussi, en principe, une capacité à avoir plus de performances sur le terrain, peut-être potentiellement plus de partenaires. C’est un cercle vertueux. »
D’autres joueurs constatent qu’ils jouent plus souvent dans le « stade des grands garçons » qu’auparavant, mais en aucun cas grâce au changement de statut, puisque le nombre de ces matches reste fixé à trois par saison. « Pour l’instant, il n’y a que le nom (du championnat) ça a changé, mais je pense que pour nous en tant que joueurs, tant que la convention collective n’est pas signée, il n’y aura pas de réel changement. »résume Laëtitia Philippe, gardienne de but du Havre et joueuse de D1 féminine depuis 2007.
Car bien que le championnat soit devenu officiellement professionnel le 1er juillet, il démarre sans accord collectif, en raison de l’absence d’accord entre toutes les parties, alors qu’il devait initialement être annoncé le 1er mars. « Nous ne sommes toujours pas engagés à signer une convention collective qui permettrait de réunir un minimum, une base solide pour que le statut social des joueurs soit considéré comme professionnel »note Fabien Safanjon, vice-président du Syndicat national des footballeurs professionnels et membre de la commission de haut niveau du football féminin. Il pointe du doigt certains clubs qui « ne sont pas encore ouverts ou enclins à vouloir donner aux filles les mêmes choses qu’aux garçons ».
Sans convention collective, il y a beaucoup d’incertitudes pour les joueuses qui vont se blesser, tomber enceintes ou avoir des litiges administratifs. Et si les parties parviennent à trouver un accord en cours de saison, la mise en place de la future convention collective devrait de toute façon être reportée à la saison prochaine, pour des raisons administratives.
« Aujourd’hui, les clubs ne veulent plus entendre ça pour les filles, ils veulent rester à 17h30. Mais quand on sait que la plupart des filles en contrat à temps partiel sont payées sur la base du SMIC, la différence entre un contrat de 21 heures et un contrat de 30 heures, c’est 17h30. (comme les hommes) ou 17,5 heures représentent un effort de 100 ou 150 euros par mois pour un joueur qui va gagner 600 ou 700 euros. Donc on ne casse pas l’équilibre économique des clubs »il assure, déplorant que, dans une ligue censée être professionnelle, « Certains joueurs se réveillent le matin en se demandant s’ils pourront manger à leur faim. »Derrière cette étiquette de championnat professionnel, il y a en fait des joueurs contraints de travailler à temps partiel comme surveillants dans les collèges ou comme agents d’entretien.
Au total, seules 11 joueuses par équipe devront être sous contrat professionnel à temps plein, au sein d’un effectif souvent composé d’une vingtaine de joueuses. En l’absence de convention collective, le salaire minimum est fixé à 21 840 euros bruts par an, comme le prévoit un accord de branche lié au sport professionnel, soit juste un peu au-dessus du SMIC (21 203 euros bruts par an). À des années-lumière de ce qui se fait à Lyon et au Paris Saint-Germain, où les meilleures joueuses ont des salaires à plusieurs zéros : Marie-Antoinette Katoto (696 000 euros), Kadidiatou Diani (600 000 euros), Wendie Renard et Ada Hegerberg (540 000 euros). Une disparité qui a fait dire à Sonia Bompastor, coach de l’équipe féminine de l’OL la saison dernière, qu’elle souhaitait « la fin d’une D1 à deux vitesses, afin d’avoir une cohérence dans le développement du football féminin ».
« Entre nous, on pense que le niveau va baisser, car beaucoup de joueurs sont partis, très peu de grands noms sont arrivés, même le PSG et l’OL n’en ont recruté aucun. Il y a un nivellement par le bas. »
Une joueuse expérimentée de D1 féminine, sous couvert d’anonymatà franceinfo : sport
Dans les coulisses, les joueurs indiquaient même « N’ayez pas peur de frapper ».« Ils ne veulent pas y aller, comme nous. Mais ils l’ont en tête, ils savent que ça fait partie des outils pour se faire entendre, malheureusement »ajoute le représentant syndical.
Parmi les points de friction figurent les questions de rémunération de fin de carrière et de droits à l’image. « Leur salaire correspond à leur travail, mais s’ils ont la possibilité de mettre un peu de beurre dans les épinards en exploitant leur image, ce sera un plus.« , dévoile Fabien Safanjon. Autant de points de discorde qui engendrent une sorte de ras-le-bol dans les clubs hors top 3.
« Avec les années que j’ai passées en D1, je pensais que la professionnalisation arriverait bien plus tôt que ça. Chaque année depuis dix ans, on en parle, et au final, on constate que ce n’est toujours pas signé. »
Laëtitia Philippe, gardienne du Havreà franceinfo : sport
« J’ai l’impression que c’est un peu du vent, comme c’est souvent le cas en France avec le football féminin », constate avec tristesse une joueuse qui évolue en D1 depuis cinq ans, coincée au milieu du tableau. Pour elle, comme pour d’autres, la grève est loin d’être un tabou, mais elle s’interroge : « On n’en a pas parlé entre nous mais je l’ai vu sur les réseaux sociaux… Je ne sais pas trop ce qui pourrait marcher à part ça, qu’on ne participe pas à cette première journée, mais je ne sais pas non plus s’il y a suffisamment de joueurs qui sont prêts à le faire. J’ai l’impression que tout le monde est désormais prêt à revivre une saison comme ça et qu’au final, on se passera de la convention pour le moment. »