Une première fouille archéologique vient d’avoir lieu dans la Station spatiale internationale
Quand on pense à l’archéologie, on imagine souvent des temples de civilisations lointaines ou des ossements d’animaux d’une autre époque. Mais elle est parfaitement adaptée à l’étude de la vie humaine dans l’espace. Justin St. P. Walsh, professeur d’histoire de l’art, d’archéologie et d’études spatiales à l’université Chapman, en connaît un rayon. Depuis 2022, lui et ses collègues réimaginent les méthodes archéologiques pour mener la première expérience de ce type à bord de la Station spatiale internationale (ISS), en faisant intervenir des astronautes sur place. Ils viennent de publier les analyses de leurs deux premiers sites de « fouilles ».
Les résultats ouvrent une fenêtre sur la vie dans le plus ancien habitat spatial de l’humanité, peuplé de près de 280 personnes en vingt-trois ans. A partir de l’observation des bandes de velcro, dont l’usage détourné offre un réservoir gravitationnel pour autant de stockage potentiel, ces archéologues de l’espace donnent des clés de compréhension aux architectes des futures stations spatiales – notamment la station Gateway qui suivra l’orbite lunaire. Ils illustrent ainsi le manque criant de stockage, mais aussi d’intimité.
Tout a commencé en janvier 2022, lorsque Justin St. P. Walsh et ses collègues ont demandé aux astronautes de l’ISS (qui commanditaient l’expérience) d’aménager cinq sites expérimentaux à peu près carrés. Des zones choisies par les archéologues pour couvrir les lieux de travail, de sport et de loisirs. L’équipage de l’ISS a également sélectionné un sixième site en fonction de ses propres intérêts. Puis, pendant soixante jours, les astronautes ont photographié quotidiennement ces carrés pour observer les allées et venues des objets.
Cette méthode nouvellement inventée est l’équivalent spatial de la plus élémentaire des techniques archéologiques : la prospection au sol. Les photos obtenues traduisent la richesse du paysage culturel de l’ISS, tout en balayant certains stéréotypes de science-fiction sur la vie dans l’espace. La station est chaotique, désordonnée, exiguë, sale. Il n’y a pas de limites entre les zones de travail et de repos. L’intimité est inexistante ou presque. Il n’y a même pas de douche.
Deux sites examinés : le mur d’entretien et un mur libre
Ce qui nous amène à nos deux premiers sites. L’un se trouve dans le module américain Harmony, à proximité des laboratoires japonais et européen, et où reposent quatre couchettes. Il s’agit donc d’un point de transit majeur. Plus précisément, la cible du premier carré dévoilé est le mur de maintenance – un panneau métallique bleu sur lequel sont fixées quarante attaches velcro pour fixer des objets. En dessous, une table pour réparer du matériel est visible.
La NASA a conçu cette zone pour la maintenance, comme son nom l’indique. Pourtant, les archéologues ont observé presque tout sauf cela. Pendant cinquante jours, cet endroit n’a servi qu’à stocker des objets. Il faut dire que le nombre de bandes Velcro en fait une zone de stockage privilégiée. 44 % des objets qui y sont passés n’y avaient pas leur place. Ce qui montre que ces bandes auto-agrippantes ont tout simplement la vertu d’offrir une sorte de gravité temporaire aux multiples objets qui peuplent l’ISS.
Le mur qui sert d’autre lieu de « fouilles » n’a pas de fonction aussi définie que le mur de maintenance. En fait, il n’en a pas. Situé dans le module Tranquility, qui abrite les toilettes et les machines de fitness, l’espace est un passage obligé vers l’un des endroits préférés des astronautes : la plate-forme d’observation de la Coupole. L’utilisation de ce mur sans fonction particulière est donc assez éclectique. Il sert à ranger un ordinateur portable, des outils pour une expérience antibactérienne et des sacs réutilisables.
Un membre de l’équipage y a même conservé sa trousse de toilette pendant cinquante-deux jours. Ce qui est logique, compte tenu de la proximité des toilettes et des tapis d’exercice, sur lesquels les astronautes courent plusieurs heures par jour. Mais le caractère très public du lieu (l’équipage y passe constamment) témoigne du peu d’espace disponible à l’ISS pour l’intimité et l’hygiène.
L’analyse de ces deux premiers sites archéologiques spatiaux révèle donc une distorsion entre les usages prévus et réels. Grâce à cette collecte de données archéologiques hors Terre, une première historique, nous comprenons désormais mieux l’architecture d’une station spatiale et les enjeux sociaux qui s’y jouent. Les quatre sites restants devraient également s’intéresser aux relations entre les astronautes et les décorations apportées par les membres de l’équipage. Cette expérience pourrait être notre seule chance d’étudier l’ISS sous cet angle, puisque la station doit être détruite en 2031.