« Une période sombre » pour la construction de logements en France

« L’entreprise est sur répondeur. Le commercial ne répond plus, le chef de chantier non plus. On n’a aucun moyen de les joindre », explique cet informaticien de 62 ans qui construisait dans la région du Guilvinec (Finistère).

Fin juillet, un autre constructeur, AST (Rhône), qui se présente comme le deuxième constructeur français de maisons individuelles, a vu son plan de sauvegarde rejeté par ses créanciers. Près de 600 emplois sont menacés.

Les demandes de permis de construire au plus bas

Comme AST et Maisons Kervran, de nombreux constructeurs de maisons individuelles souffrent de la violente crise de l’immobilier neuf, pris en étau entre la hausse des coûts de construction et la perte de pouvoir d’achat des acquéreurs.

En témoigne la chute des permis de construire de maisons individuelles, qui ont atteint leur plus bas niveau en France depuis 2000, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique.

Entre juillet 2023 et juin 2024, 124 600 permis de construire pour des logements individuels (maisons et lotissements) ont été délivrés en 12 mois, soit 18,1% de moins sur un an.

« Nous avons beaucoup de points d’interrogation qui nous empêchent de dormir la nuit », s’inquiète le sexagénaire. Il ne sait toujours pas quand il pourra emménager dans sa nouvelle maison, pour laquelle il a payé 200 000 euros.

Sur Facebook, un groupe baptisé « Infos et d’entraides des maisons Kervran » qui compte actuellement plus de 600 membres, a été créé, notamment pour préparer les dossiers à transmettre au garant.

«C’est bien de sentir qu’on n’est pas seul», confie Daniel Queffélec.

« Cataclysme économique »

Pour Sylvain Massoneau, vice-président de la Fédération française du bâtiment (FFB), ce « cataclysme économique » que subit le secteur est la conséquence directe de « choix politiques ».

Il critique notamment un « calendrier dramatique » dans la mise en œuvre de deux mesures « très impactantes » : la loi Elan de 2018 et la réglementation environnementale (RE 2020) sur la performance énergétique des bâtiments.

Avec le Covid et la guerre en Ukraine, « deux événements majeurs qui ont profondément marqué nos métiers », il était « irresponsable de notre part de nous lancer dans ces questions ».

« Un moratoire d’un ou deux ans aurait permis au secteur de prendre une bouffée d’air frais avant de se lancer dans cette ambition forte d’améliorer son impact environnemental », explique Sylvain Massoneau.

Selon lui, le marché a été « divisé par trois en trois ans ». « On construisait environ 150.000 maisons par an en France, maintenant on est tombé à moins de 50.000 », souligne-t-il.

En 2022, le groupe Géoxia, constructeur des célèbres maisons Phénix, a été placé en redressement judiciaire tandis que le numéro un français de la construction de maisons individuelles, Hexaom, a enregistré une baisse de son chiffre d’affaires au premier semestre.

« Le marché est en train de mourir », prévient Sylvain Massonneau, qui affirme que près de « 10 000 emplois sont détruits chaque mois » dans le secteur.

« Stratégie de destruction »

La hausse des taux d’intérêt et la suppression des prêts à taux zéro en avril dernier ont également affecté la capacité des ménages à investir dans l’immobilier.

La FFB regrette le « manque de dialogue » avec l’Etat et les ministères. « L’écosystème du logement en France va droit vers un mur » mais l’Etat poursuit « sa stratégie de destruction (…) les faillites se multiplient », s’inquiète la FFB.

« En France, on construit aujourd’hui beaucoup moins de logements que nécessaire, alerte Damien Hereng, président de la Fédération des constructeurs de maisons individuelles. On va vers une période sombre si les pouvoirs publics ne prennent pas le problème à bras le corps. »

Selon le ministère du Logement, 370.000 logements devraient être construits par an, « mais cette année, nous tablons sur 220/230.000 logements », précise Damien Hereng.