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Une momie préservée depuis 32 400 ans nous en apprend davantage sur les fascinants rhinocéros laineux



32 400. C’est l’âge millénaire de la carcasse congelée d’un rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis), trouvé bien conservé près de la rivière Tirekhtyakh (République de Sakha ou Yakoutie, Sibérie, nord-est de la Russie).

L’ancienne créature, surnommée « rhinocéros d’Abyisky » et décrite dans la revue Doklady Earth Sciences en juillet 2024, offre aux scientifiques une fenêtre unique sur le Pléistocène : de nombreuses parties des tissus mous de l’animal, ainsi que sa peau et sa laine – qui se décomposent généralement rapidement en raison de micro-organismes et de processus biologiques (humidité, chaleur, oxygène) – ont été retrouvées intactes, préservées par le pergélisol.

Des géants adaptés aux conditions du Pléistocène

Les rhinocéros laineux étaient de grands mammifères terrestres trapus, aux poils longs et dotés de deux cornes sur le museau. Ils habitaient l’Eurasie à l’époque du Pléistocène (il y a 2,58 millions à 11 700 ans), une période qui comprend la plus récente expansion glaciaire (le « dernier maximum glaciaire » ayant culminé il y a environ 21 000 ans). Ils ont coexisté avec les mammouths laineux (Mammuthus primigenius), occupant ainsi la deuxième place sur la liste des plus grands animaux de cet écosystème du passé. Les deux espèces partageaient une épaisse toison de laine les protégeant du froid, d’où leurs noms.

Les squelettes de rhinocéros laineux et leurs représentations dans l’art rupestre ont beaucoup appris aux chercheurs. Mais ils en apprennent encore plus de leurs momies, qui, en préservant les tissus mous, permettent d’étudier leur anatomie avec une précision sans précédent… et apportent une preuve supplémentaire de leur adaptation exceptionnelle à un environnement hostile, avec des températures pouvant descendre bien en dessous de -40°C. Pourtant, seuls quelques spécimens ont été préservés. Ou du moins, ont été retrouvés.

Un jeune rhinocéros exceptionnellement préservé

Six d’entre eux ont été exhumés dans la République de Sakha depuis la fin du XVIIIe siècle, rapporte IFL Science. Dans l’article récemment publié, l’équipe dirigée par Gennady Boeskorov de l’Institut de géologie des diamants et des métaux précieux, branche sibérienne de l’Académie des sciences de Russie, présente trois d’entre eux – dont celui de Sasha, le premier bébé rhinocéros laineux complet jamais identifié, dont la découverte a fait sensation lors de son annonce en 2021.

Le portrait de l’une des momies, la célèbre découverte en 2020 près de la rivière dans le district d’Abyisky, est inédit. Il lui manque une grande partie d’un côté de son corps, notamment les intestins, conséquence de la prédation, soupçonnent les auteurs de l’étude. L’autre côté conserve en revanche de la peau, quelques touffes de poils et des tissus mous. La cause de la mort du rhinocéros reste secrète, même si des restes de puces d’eau et de crustacés parasites microscopiques – aujourd’hui éteints dans la région – dans ses poils suggèrent que sa carcasse a passé quelque temps dans une petite étendue d’eau douce.

D’autres indices ont permis d’estimer son âge, entre 4 et 4,5 ans : sa taille globale ; les os de son crâne ; la longueur et les caractéristiques de sa corne nasale, au-dessus de ses vaisseaux. Car tout comme les cernes d’un arbre ou les stries sur les défenses des mammouths, le nombre de stries transversales à la surface des cornes des rhinocéros aident à estimer l’âge de l’animal. Tout comme Sasha, mais contrairement à la troisième momie décrite dans l’article, exhumée en 2007 dans une mine d’or de la Kolyma, aucun élément (mamelle, tétons) ne permettait de déterminer le sexe du rhinocéros d’Abyisky.

Du jamais vu : une boule de graisse dans le dos

L’aspect le plus impressionnant de cette nouvelle étude est peut-être une caractéristique anatomique jamais observée auparavant chez aucun autre membre de son espèce : une bosse graisseuse sur le dos. Une analyse chimique en cours devrait permettre de découvrir sa fonction. Pour l’instant, les chercheurs supposent qu’elle aurait pu servir de réservoir supplémentaire de nutriments ou d’isolant. Une « épaule » lourde, associée à des cornes, aurait également pu constituer un spectacle intimidant pour un concurrent ou un prédateur.

Quant à la raison pour laquelle cette bosse n’avait pas été découverte plus tôt, l’auteur principal, Gennady Boeskorov, a expliqué à Ars Technica qu’elle ne se développerait qu’en hiver, lorsque le stockage de graisse pourrait être avantageux, par exemple. Des squelettes et des dessins d’art rupestre ont également suggéré son existence. Si les examens actuels révèlent effectivement de la graisse dans la bosse du rhinocéros d’Abyisky, ce serait une première historique.

Des secrets encore bien gardés en Sibérie

Les travaux sur cette dernière momie ne sont pas terminés. Des parties de son corps restent à étudier. Ses organes internes et son estomac, notamment, pourraient révéler davantage d’informations sur son régime alimentaire et son environnement durant la période interstadiaire du Karginien (32 440 ± 140 ans), une période climatique de la fin du Néopléistocène tardif marquée par le réchauffement, au cours de laquelle l’animal aurait évolué. D’ores et déjà, les spores et le pollen retrouvés dans l’estomac préservé de son homologue de la Kolyma ont confirmé les hypothèses de précédentes études, menées sur les dents de rhinocéros laineux : ils se nourrissaient d’un régime herbivore composé d’herbes, d’arbustes et de nombreuses autres plantes.

À mesure que les températures augmentent, de plus en plus de ces fascinants géants sont exposés au dégel du pergélisol. Malheureusement, le temps presse. Une fois exposés aux éléments, leurs restes se détériorent rapidement. La tête squelettique de la momie de Kolyma s’est séparée de son corps lorsqu’elle a été extraite des sédiments. Ses cornes et ses pattes ont été identifiées à proximité. Ces spécimens délicats doivent être manipulés avec beaucoup de précaution.

D’autant que des questions persistent à leur sujet. Pourquoi, par exemple, les mammouths laineux se sont-ils retrouvés dans la péninsule de Taïmyr (au nord de la Sibérie centrale) ou ont-ils traversé le détroit de Béring pour rejoindre les Amériques… alors que les rhinocéros laineux, considérés comme leurs compagnons de voyage lors de la dernière période glaciaire, n’ont pas fait de même ? Certains de ces mystères ne seront peut-être jamais résolus par des ossements ou des momies.

GrP1

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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