Dans « L’Affaire Madame », à paraître vendredi, Emmanuelle Anizon, journaliste au « Nouvel Obs », révèle une enquête sur le milieu qui a répandu la rumeur selon laquelle la Première dame était une femme transgenre.
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Une rumeur devenue obsession. Depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, des théories du complot se propagent régulièrement sur les réseaux sociaux affirmant que Brigitte Macron, née Trogneux, serait en réalité une femme transgenre dont le nom de naissance était Jean-Michel. Un vaste complot serait depuis à l’œuvre pour masquer ce changement d’état civil, selon cette rumeur, qui a également donné lieu à des accusations plus graves de pédophilie portées contre la Première dame.
Malgré des plaintes en diffamation déposées par Brigitte Macron dès 2022, l’affaire continue de circuler sous différents « noms de code ». Au point d’amener le président de la République lui-même à réagir publiquement le 8 mars. « Le pire, ce sont les fausses informations et les scénarios fabriqués, avec des gens qui finissent par les croire et qui vous contrarie, y compris dans votre vie privée »a dénoncé Emmanuel Macron.
Bien au-delà d’une rumeur people inoffensive, cette théorie reflète la défiance envers le pouvoir en tant que fait social réel, comme le note la journaliste Emmanuelle Anizon, qui revient sur les origines de cette calomnie dans un livre paru vendredi 22 mars : L’affaire Madame, anatomie des fake news : le jour où la première dame est devenue un homme. Elle répond aux questions de franceinfo.
Franceinfo : Quand cette théorie a-t-elle été formulée pour la première fois ?
Emmanuelle Anizon : Tout a commencé le 10 décembre 2021, lorsqu’une personne nommée Natacha Rey, sur une chaîne YouTube complètement obscure tenue par un média, a expliqué qu’elle travaillait depuis trois ans à démontrer que Brigitte Macron était une femme transgenre. Ce show, contre toute attente, a été extrêmement relayé sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers de fois. Et il a obligé Brigitte Macron à apparaître sur TF1 et RTL, début janvier 2022, un mois plus tard, et à porter plainte pour diffamation. Il y a plusieurs raisons à ce « succès ». D’abord, cela touche le sommet de l’État et tout ce qui est lié aux élites et au sommet de l’État. Il y a une défiance absolument extrême, et là, on touche à la première dame. Donc cela suscite tout de suite l’intérêt.
Vous avez infiltré le milieu dans lequel cette rumeur est née, étudié le profil de ceux qui la propagent. Qui sont-ils ?
Il y a ceux que j’appelle les « défiants ». C’est important pour moi parce que quand on dit « complotiste », on est tout de suite dans le jugement. Les « défiants » englobent une plus grande variété de personnes. On a tous vu pendant le Covid, dans nos familles, comment les gens autour de nous pouvaient avoir différents niveaux de défiance. Il y a l’idée des 50 nuances de défiance. Il y a des gens qui ne sont pas forcément marginaux, qui ne sont pas forcément extrémistes. Sur le plan social aussi, c’est très diversifié. J’ai rencontré des gens très différents. Quelqu’un qui travaillait dans une banque et qui a voté pour Emmanuel Macron en 2017, un assureur, un jeune entrepreneur de 28 ans qui fait des événements culturels… C’est très important de ne pas caricaturer. Cela suscite aussi la curiosité des citoyens ordinaires. Parce que cette rumeur aujourd’hui, on en parle dans les dîners de manière rigolote. C’est quelque chose qui touche d’autres sphères que la sphère d’origine.
Comment expliquer la diversité de ces profils ?
Ce qui les unit, et C’est là où c’est très actuel comme problème, c’est qu’on n’est plus dans une grille d’interprétation droite-gauche. On est dans une grille d’interprétation de rejet des élites, de défiance extrême envers les élites et les institutions, aussi bien politiques que médiatiques. Il y a aussi un rejet de la mondialisation, notamment économique, et de l’idée que ceux qui dirigent cette mondialisation dirigent contre les populations. C’est ce qui rassemble tous ces gens. Si ces gens ont peur, sont méfiants, ne croient plus à ce qu’on leur dit, c’est aussi parce qu’il y a eu d’énormes manquements en matière de transparence médiatique et politique, et on le paie cher aujourd’hui. Et dans cette idée que les élites sont mauvaises, il y a l’idée qu’elles sont mal orientées, qu’elles cachent la réalité de ce qu’elles font et de ce qu’elles sont, l’idée qu’elles mentent sur leur vraie nature.
« Ce qui les dérange vraiment dans l’idée que Brigitte Macron soit transgenre, c’est que cela voudrait dire qu’elle a menti, qu’elle a construit une fausse histoire. »
Emmanuelle Anizonà franceinfo
Quel est leur but en entretenant cette rumeur ?
C’est très variable. Natacha Rey est absolument sincère dans sa démarche : elle y a consacré une grande partie des dernières années et elle est persuadée de détenir la vérité. Ce n’est pas une personne cynique qui fait ça pour des raisons de déstabilisation. Elle a très mal pris la manière dont son travail a été reçu, la façon dont la justice et les médias l’ont traitée de complotiste et de transphobe. Il m’a fallu plusieurs mois pour la convaincre de me rencontrer car elle était extrêmement méfiante. Autour d’elle, il y a beaucoup de gens qui sont aussi absolument sincères dans leur recherche de la vérité. Et puis, au-delà de ces gens, il y a évidemment une récupération politique. Cette rumeur a été relayée par Faits et documents, un journal assez confidentiel classé d’extrême droite, et qui est lié aux trumpistes américains. Là, le but est effectivement de déstabiliser l’État. On voit aujourd’hui que les trumpistes américains se servent de cette affaire Brigitte Macron, donc on est vraiment dans quelque chose de totalement politique et géopolitique.
Pourquoi la rumeur persiste malgré son absurdité ?
La réalité est souvent imparfaite. Quand Natacha Rey demande un acte de naissance, la mairie ne lui répond pas et lui dit que cet acte de naissance n’existe pas, alors qu’il existe. Cela alimente la défiance. Quand elle a vu la photo de mariage où le premier mari de Brigitte Macron est effacé parce qu’elle ne veut pas qu’on revienne à sa vie d’avant, cela alimente complètement la défiance. Natacha Rey s’appuie sur ces silences, sur ces imperfections, sur tous les petits défauts pour les prouver. Le dialogue est très compliqué parce qu’à chaque fois qu’on essaie de rationaliser, il y a ces imperfections parce que le monde n’est pas carré. Et chacun de ces défauts est perçu comme un signe.
En publiant cet ouvrage, quelle réaction attendez-vous du grand public ?
Je voudrais que ce livre soit un pont qui permette l’échange. PPour moi, le plus gros problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de dialogue. Le fossé se creuse. On voit que ces questions gagnent du terrain autour de nous, on ne peut pas continuer à faire semblant de se dire : au final, tout ça est loin et ce ne sont que des abrutis. J’ai une position d’immersion, de raconter des histoires pour essayer de comprendre un phénomène social que l’on sent de plus en plus important autour de nous et que la simple position de jugement ou de ricanement ne suffit pas. Je me dis que si je peux participer à expliquer le fonctionnement de l’intérieur d’une fake news, c’est utile. C’est la base de ma démarche.
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