une étude pour sonder les profondeurs du marais d’Orx, potentiel puits de carbone
Un petit échantillon de sang en plein cœur du ventricule nord du marais d’Orx. Du 28 au 30 octobre 2024, un petit groupe d’humains s’est rassemblé autour d’un forage programmé dans le cadre d’une étude de la paléoécologie, la science qui relie les organismes fossiles et leur environnement.
Mardi 29 octobre, à proximité des deux salariés espagnols du groupe basque Alios, spécialiste de l’ingénierie des sols, le gardien naturaliste du site, Yohann Montané, et le scientifique Hervé Cubizolle attendent, au rythme des coups de marteau géants du carottier, leur prochaine pièce. de marais. Il y en a dix au total pour autant de mètres.
Connaissance partagée
Cette opération en terrain humide est une étape, préambule à de longues heures au bureau et en laboratoire. « Le moins amusant commence, je vais ramener les carottes à Saint-Étienne et on va se partager le travail avec Jean-Nicolas Haas (paléoécologue à l’université d’Innsbruck, en Autriche, NDLR) », prévoit Hervé Cubizolle, ajustant son chapeau en cuir.
Ce spécialiste des tourbières partagera également ses échantillons avec des géochimistes et archéologues bordelais, car la recherche est un domaine propice à la solidarité et en ce sens, le carottage est rendu possible grâce aux crédits (financement de la Région) dont dispose « un collègue médiéviste (François Boutoulle , NDLR), intéressé par le projet.”
Les réponses contenues dans les entrailles du marais d’Orx sont nombreuses et embrassent un large éventail de disciplines. Les premiers carottages, réalisés il y a deux ans, en ont livré. « Nous avons été un peu surpris car en creusant quatre mètres de profondeur, nous pensions remonter très loin dans le passé. » Ce n’était pas vraiment le cas, mais cela « a un avantage car ça fait que la séquence est très dilatée », savoure Hervé Cubizolle. Le délai est plus court, mais il y a donc des données plus précises à exploiter.
Les analyses des premières carottes sont toujours en cours. Chaque segment est soigneusement pelé, au millimètre près, depuis le macroreste (gros reste animal ou végétal) jusqu’au grain de pollen. « Nous attendons toujours les résultats de la datation au radiocarbone sur le bois et les plantes. Il faut trier, observer, cela prend du temps. »
Avec cette deuxième phase de forage, l’étude va plus loin dans le sol et le passé du marais. Il touche à son histoire sédimentaire et devrait, à terme, renseigner sur l’évolution des lieux au fil des millénaires ; et pourquoi ne pas résoudre des énigmes endémiques, comme le lit originel de l’Adour. Mais plus que cette partie de l’histoire du marais, la douzaine de carottes prélevées soulèvent une problématique qui transcende les époques. Et c’est là qu’intervient la tourbe, premier amour d’Hervé Cubizolle.
Piège à carbone
« Dès moins 4 mètres, nous avons la preuve d’incursions marines, en tout cas un groupe de créatures qui appartiennent au monde marin. Puis il y a environ 4 000 ans (plus haut dans le sol, NDLR), nous sommes tombés dans une tourbière. Pour quoi ? Nous ne le savons pas », déclare l’universitaire. Or, parce que c’est sa nature, la tourbe, qui permet de piéger les émissions de carbone, en aurait stocké une certaine quantité sous le sol spongieux du marais (l’équivalent de 3,6 millions d’euros, à 82 euros la tonne de CO2, selon une étude). élève d’Hervé Cubizolle).
Le professeur explique le procédé : « Le lieu, rapidement saturé d’eau, voit la nappe phréatique monter constamment, cela empêche tout oxygène gazeux. Les micro-organismes (bactéries, champignons) qui décomposent la matière organique ne peuvent pas fonctionner. Le carbone, qui constitue la matière organique, n’est pas libéré. »
Une fonction salvatrice à l’échelle planétaire, pourtant bien trop négligée : « Il ne reste plus que 100 000 hectares de tourbières en France, alors qu’en 1850, il y en avait dix fois plus ». Le marais, artificialisé au gré des usages humains contemporains, ne l’a pas entamé, mais le chemin parcouru depuis près de deux siècles (1) n’est en aucun cas une impasse.
Contenu par des drainages et un canal de ceinture, Orx se vide et se remplit perpétuellement. « Dans la perspective d’une restauration, il faudra par exemple se demander quels fossés doivent être comblés en priorité. À l’origine, le marais était plus grand qu’aujourd’hui ; le risque est que 300 à 400 hectares autour redeviennent des marais. On entrerait alors dans le domaine de la politique locale », pèse Hervé Cubizolle.
Un projet fou
«C’est un peu de la science-fiction», pour Yohann Montané, passionné par l’aspect restauration des stocks de carbone du projet, mais conscient de l’effort que cela implique. Le guide sait néanmoins que son joyau devra s’adapter au changement climatique. « On pourrait se concentrer sur le marais nord, mais dans l’état actuel, nous n’avons pas fait suffisamment de travaux de prospection pour en être sûr », précise le policier rural.
L’idée reste séduisante et la présence mardi 29 octobre, sur le chantier de forage, de Béatrice Ducout, membre du CPIE Seignanx Adour (association labellisée de sensibilisation, d’éducation et de formation à l’environnement), en témoigne. « C’est très intéressant, notamment pour notre complexe de tourbière de Sainte-Marie-de-Gosse. Je sais que la Réserve Naturelle de l’Etang Noir s’y intéresse également. Nous intervenons, avant peut-être de reproduire cette œuvre. »
Ceux-ci n’en sont qu’au stade embryonnaire. Reste à trouver le financement des études qui suivront, et ne se focaliseront pas uniquement sur cet aspect carbone. « Nous avons des contraintes budgétaires et avant de penser au passé et à l’avenir du marais, il faut s’occuper du présent », ajoute Yohann Montané. Le gardien du chantier sait que dans les noyaux des marais, les trois temps s’enchaînent.
Un autre chapitre
Le marais d’Orx, propriété du Conservatoire du Littoral, offre ses 1 000 hectares, dont 775 classés en Réserve Naturelle Nationale, une grande partie de sa biodiversité et notamment ses près de 300 espèces d’oiseaux répertoriées. Mais l’étude paléoécologique en cours pourrait donner un nouvel élan pédagogique au site, qui est également engagé dans un plan de gestion jusqu’en 2031.
« On a une idée de l’époque napoléonienne mais on peut remonter bien plus loin », explique Yohann Montané. Nous pourrons décrire l’environnement sur plusieurs périodes et proposer une évolution du paysage, avec un corpus de connaissances là où il y avait un vide. C’est une excellente opportunité. »
(1) Un décret napoléonien de 1808 ordonna l’assèchement du marais aux frais de l’Etat.