Une « escroquerie caritative » hors du commun devant les tribunaux
Les nouvelles les plus importantes de la journée

Une « escroquerie caritative » hors du commun devant les tribunaux

Une « escroquerie caritative » hors du commun devant les tribunaux

« Mais laisserez-vous jamais les prêtres tranquilles ? »Le président du tribunal l’avait fustigé lors d’une première audience en mars. Ce jeudi 5 mars, Kevin Gosse, le meneur présumé d’une vaste escroquerie visant de nombreux prêtres âgés, était jugé au tribunal du Havre pour escroquerie en bande organisée, commise entre 2021 et 2024, aux côtés de neuf autres prévenus. 62 prêtres, âgés de 69 à 94 ans, ont été victimes de ces escroqueries, pour un préjudice de 440 000 euros.

Faux policiers, magistrats, conseillers bancaires…

Dix ans de prison ont été requis contre Kevin Gosse, un récidiviste. Pour ses complices présumés – dont son frère jumeau James Gosse – soupçonnés d’avoir aidé au transfert des fonds, souvent contre commission, les peines demandées vont de dix-huit mois de prison avec sursis à deux ans de prison. Le verdict sera rendu le 7 novembre.

Le modus operandi de Kevin Gosse, qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés, est aussi rodé qu’efficace. Depuis sa cellule de la maison d’arrêt de Val-de-Reuil (Eure), où il purge une peine de cinq ans pour les mêmes faits, armé de son téléphone portable, il a contacté des prêtres à la retraite dont il a retrouvé les coordonnées.  » Dansl’annuaire des prêtres, sur Google”. Son scénario favori ? Se faire passer pour un policier, sur la piste d’un prêtre arnaqueur. Les victimes étaient invitées, pour collaborer à la fausse enquête, à effectuer des paiements par virement, cartes prépayées, comptes Winamax, chèques, ou encore Western Union, et ainsi aider à attraper le fraudeur.

Isolés, saisis par l’urgence de l’enjeu – sauver des confrères d’une éventuelle escroquerie –, de nombreux prêtres ont obtempéré. Leurs doutes ont été apaisés par une cascade d’appels, provenant d’un entourage fictif, créé de toutes pièces : un faux conseiller bancaire, un faux magistrat, opportunément venus authentifier la réalité des investigations du présumé policier. Dans d’autres cas, Kevin Gosse, qui sait imiter les voix féminines et les multiples accents, a pu incarner un veuf, criblé de dettes, jeté dehors par sa belle-famille, désespéré financièrement. En tout cas, l’accusé joue sur la corde sensible de la charité, avec une exaltation de la pitié et du sens du service des prêtres. »analyse Maître Ernest Safar, avocat des parties civiles.

175 000 euros volés à un prêtre de 83 ans

Accablés par la honte d’avoir été dupés, selon leurs avocats, seuls 16 prêtres sur 62 ont finalement porté plainte, et un seul s’est présenté à l’audience. « Je suis venu pour représenter les autres. La Conférence des évêques de France a payé un avocat pour nous défendre », a-t-il ajouté. se réjouit le père Pascal Burnel. Ce prêtre du diocèse de Coutances, trente-huit ans de sacerdoce, s’est fait voler 1 450 €. Mais son cas est loin d’être le plus critique. Le cas du père B., du diocèse de Chambéry, illustre les dégâts que peut causer cette escroquerie.

Qualifié comme « L’oie d’or de Kevin Gosse » Selon l’avocat des parties civiles, le prêtre de 83 ans aurait ainsi perdu plus de 175.000 euros, une somme familiale destinée à payer les soins de son jeune frère handicapé. « Nous sommes toujours étonnés qu’une organisation aussi simple puisse aller jusqu’à voler cent mille euros », « C’est en plein confinement que l’arnaque a commencé, visant le père B, qui était isolé, avec son téléphone comme seul lien avec le monde extérieur », a souligné le président du tribunal dès le début de l’audience. Kevin Gosse a réussi à gagner sa confiance, le prêtre était fier de pouvoir aider les autorités à mettre fin à une fraude visant ses confrères. On ne se rend pas compte de la solitude de ces hommes d’Eglise »ont plaidé à l’audience ses avocats, Me Ernest Safar et Olga Migeon.

Interrogé sur ses motivations, le prévenu n’est pas très loquace. Il invoque tour à tour le désœuvrement de la prison, sa coûteuse addiction aux paris sportifs ou encore le prix exorbitant des cigarettes et du cannabis en détention. Alors son avocat, Me Yannis Benrabah, tente : « Je ne sais pas si vous voulez en parler, mais la procédure stipule que vous auriez repris »« L’arnaque du prêtre » de ton père. L’intéressé ajoute : « Oui, j’avais 14 ans, mon père sortait d’une longue peine de prison et je l’accompagnais à la cabine téléphonique, pour l’écouter arnaquer les prêtres. » Le président coupe court : « Nous avons lu l’article de Libé, Maître ! » En effet, à la veille de l’audience, le quotidien a publié une enquête détaillée, en deux parties, retraçant les origines tragiques de cette arnaque, inventée par le père de Kevin Gosse dans les années 1980.

Attirance du gain et vengeance contre les prêtres

Le père de l’accusé, Michel Gosse, condamné à trente-sept ans de prison pour ses escroqueries sur des clercs, affirme avoir agi par vengeance contre le clergé. Confié à la Ddass à l’âge de 4 ans, il a été placé à 11 ans aux Orphelins d’Auteuil, où il dit avoir été agressé par un moine spiritain, qui l’a ensuite « offert » à un autre frère, a-t-il confié à LibérerEn 2023, dans un rapport de la CRR (1) que le quotidien a pu consulter, la Congrégation du Saint-Esprit a reconnu la plausibilité des faits dénoncés par Michel Gosse. L’homme, qui a aujourd’hui presque 70 ans, a reçu de la commission 60 000 euros pour ses dommages et intérêts, soit le montant maximum d’une indemnisation financière accordée par l’instance. Le père n’est pas tendre avec son fils, qui a repris son modus operandi : « Ce n’était pas pour l’argent pour moi (…). C’est un petit con, c’est le profit qu’il veut », il a confié à Libérer.

Près de quarante ans après la première « arnaque au prêtre » de la famille Gosse, l’escroquerie va-t-elle enfin cesser ? Le 5 février, alors que l’audience touche à sa fin, le procureur semble en douter, déplorant « un questionnement très limité, voire inexistant » par Kevin Gosse. Ce dernier, qui a passé un CAP cuisine en prison, parle d’une  » maladie «  et assure qu’il a commencé une « travail psychologique ».

(1) L’organisme chargé de soutenir les victimes de pédocriminalité dans les congrégations religieuses catholiques.

New Grb1

Quitter la version mobile