Une « enquête supplémentaire » révèle comment Ferrero a minimisé l’étendue de la contamination
En 2022, le groupe italien n’avait évoqué qu’un seul épisode de contamination dans son usine belge d’Arlon. En fait, plus de 80 échantillons se sont révélés positifs en deux mois, selon un rapport inédit.
« Nous sommes désolés. » Le 25 mai 2022, devant les lecteurs de parisienle directeur général français de Ferrero brise son silence. Le groupe italien, connu pour ses marques Nutella, Kinder et Crunch, est dans la tourmente depuis deux mois. Des centaines d’enfants européens sont tombés malades après avoir mangé des chocolats Kinder contaminés à la salmonelle. Rien qu’en France, 81 cas ont été enregistrés, dont 22 nécessitant une hospitalisation. A terme, quelque 400 patients seront recensés, dont 121 en France, sans qu’aucun décès ne soit signalé. « Ce qui s’est passé n’est pas acceptable »reconnaît le leader, Nicolas Neykov.
Le patron de la branche française de Ferrero promet la transparence. « Tout ce que je sais, je vous le dirai. (…) Il n’y a jamais eu de tromperie ni de volonté de cacher la vérité »assure-t-il. Interrogé sur l’origine de la contamination, il avait alors fait état d’une détection de salmonelles dans l’usine Ferrero à Arlon, en Belgique, le 15 décembre 2021. Quelques semaines plus tôt, début avril, un communiqué du groupe ne faisait pas mention de déjà cette alerte, datée du 15 décembre.
Des traces de salmonelles ont-elles été trouvées dans l’usine à d’autres moments ? Le directeur général suggère qu’il s’agit d’un cas isolé. « Tous nos tests effectués dans les jours suivants se sont révélés négatifs, ce qui nous a ensuite permis de rouvrir l’usine »assure-t-il. « Nous travaillons dur pour que cela ne se reproduise plus jamais. »ajoute-t-il encore. En ce jour d’opération transparence, le patron français de Ferrero oublie de préciser que « que » c’est déjà arrivé à nouveau. Des dizaines de fois.
Deux ans et demi plus tard, « Complément d’enquête » révèle pour la première fois au grand public l’ampleur des contaminations, grâce à un document jusqu’ici passé sous les radars. Dans son reportage intitulé « Ferrero : les petits secrets du géant du chocolat », diffusé jeudi 17 octobre à 22h45 sur France 2, le magazine montre comment les autorités sanitaires européennes ont mis à mal la version de l’entreprise dans un reportage publié le 18 mai 2022. , une semaine avant l’entretien avec Nicolas Neykov.
« Un total de 81 échantillons » de l’usine belge testé positif à la salmonelle « sur une période de production de deux mois entre le 3 décembre 2021 et le 25 janvier 2022 »c’est ce que révèle ce bilan épidémique, signé par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En ligne en anglais sur le site de l’ECDC (PDF)cette publication n’a été repérée à l’époque que par des sites spécialisés tels que Food Process et Food Safety News. Dès le 12 avril, un premier bilan faisait déjà état de prélèvements s’étant révélés positifs en janvier.
Tous ces résultats proviennent de contrôles autosanitaires effectués par le groupe Ferrero lui-même sur les produits finis, les matières premières ou encore les outils de production. Un premier résultat positif sur un prélèvement daté du 3 décembre ; quatre autres le 13 ; cinq le 14… Les alertes se sont poursuivies les 15, 16, 18, 20 décembre. La production, arrêtée le 16 décembre, a repris le 3 janvier. Un échantillon prélevé le même jour s’est révélé positif et la liste s’est encore allongée. Au total, 21 jours sont ponctués d’anomalies, soit 20 de plus que dans le discours officiel du géant alimentaire italien, selon lequel les tests se sont révélés négatifs après la mi-décembre.
Malgré d’importantes opérations de désinfection à Arlon, d’autres cas ont été découverts dans les mois suivants. Début avril, lorsque le scandale du chocolat contaminé a éclaté, les autorités sanitaires belges ont lancé une inspection de l’usine. Pendant neuf jours, ils ont contrôlé le site de fond en comble. « Nous avons prélevé toute une série d’échantillons et nous avons eu sept premiers résultats positifs à la salmonelle », détaille l’Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire dans « Enquête complémentaire ». « L’enquête s’est emballée, jusqu’au 8 avril, date à laquelle nous avons décidé de rappeler tous les produits fabriqués dans l’usine » et fermez le site.
Le groupe Ferrero reconnaît-il cette avalanche de tests positifs ? Interrogé par « Complément d’enquête », il s’est contenté d’une réponse vague : « Avant le retrait du produit en avril 2022, dans le cadre de nos systèmes de contrôle, la présence de salmonelles a été détectée sur le site d’Arlon en Belgique. » Durant cette crise, « Tous les lots de produits ont été rigoureusement testés avant d’être mis sur le marché »ajoute Ferrero, sans expliquer comment des produits contaminés pourraient se retrouver dans les rayons d’une quinzaine de pays européens, ainsi qu’au Canada et aux Etats-Unis.
Reste également à déterminer si l’entreprise a manqué à ses obligations d’alerte sanitaire. En Belgique, s’il estime qu’il n’y a pas de danger pour les consommateurs, un fabricant n’est pas obligé de prévenir les autorités en cas d’incident. Le groupe Ferrero était-il dans cette situation ? « Si l’on regarde au bout du compte, sur la base de tous les éléments dont nous disposons après plusieurs semaines d’enquête, on peut dire qu’il y avait une obligation de notification »estime l’Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Avant les qualifications.
« C’est la procédure judiciaire qui déterminera s’ils n’ont pas respecté ou non cette obligation de notification. »
Aline Van den Broeck, porte-parole de l’Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentairevers « Enquête complémentaire »
De son côté, l’entreprise affirme avoir, « dès le début », « collaboré pleinement avec les autorités de santé et de sécurité alimentaire ». En avril 2022, elle a cependant reconnu « des défaillances internes, entraînant des retards dans la récupération et le partage des informations ». L’affaire fait actuellement l’objet d’une enquête en Belgique pour déterminer les responsabilités du groupe italien. En France, une enquête préliminaire est également ouverte, à la suite d’une plainte pour « tromperie aggravée » et « mise en danger d’autrui » déposée par plusieurs familles de victimes auprès de l’ONG Foodwatch.
En attendant un éventuel procès, Ferrero a déjà négocié avec les parents d’enfants français infectés. Pour éviter une procédure judiciaire longue et incertaine, certains ont accepté une compensation financière, en échange d’une clause de confidentialité et d’un renoncement à toute action judiciaire. « Nous avons obtenu environ entre 10 000 et 20 000 euros » par famille, rapporte leur conseiller, Jérémy Kalfon, dans l’émission. L’industriel y trouve son intérêt, l’avocat reconnaît : « Le jour où il y aura un procès, moins il y aura de familles, moins il sera retentissant. »