une critique qui nous fait chavirer le cœur
Minouspace
On a repéré le réalisateur letton Gints Zilbalodis avec Autre partun film sur la profonde solitude d’un humain abandonné sur une île. Le cinéaste avait réussi cet exploit seul (ou presque), au point de relier son expérience à celle de son personnage.
Avec Coulerl’artiste a désormais les moyens de ses ambitions, et avec lui, une équipe. Il est le premier à faire le lien entre son parcours et celui de ce petit chat obligé de faire confiance à d’autres animaux sur un bateau de fortune. Ceci explique peut-être l’évidence instinctive et viscérale de cette histoire sans dialogue. D’une part, le long métrage a une clarté thématique et structurelle impressionnante d’universalité. En revanche, sa mise en scène continue de créer un voile de mystère qui le rend unique.
Alors que nous commençons dans une maison pleine de statues de chats, Couler se livre à l’ambiguïté de son hors-champ. Dans ce monde apparemment post-apocalyptique, les humains semblent avoir disparu. Derrière l’étonnante quiétude qui se dégage de cette absence, ce sont nos amis les animaux qui en paient le prix. La catastrophe écologique prend ici la forme d’une inondation (imagerie impressionnante, portée par un rendu de l’eau très réussi), qui engloutit le passé autant qu’elle impose une mutation à notre planète.
Embarqué contre son gré dans un voyage aux connotations mythologiques campbelliennes, notre ami félin est contraint, comme ses compagnons (un labrador, un lémurien, un héron et un capybara), de s’adapter. L’environnement a l’ascendant, et c’est aussi celui qui oriente le récit. On sent le film nourri par le jeu vidéoavec sa caméra qui tournoie autour des corps et pénètre l’espace en travellings saisissants. Avec un sens des proportions aussi poétique que spectaculaire, Zilbalodis nous raconte une nature qui panse ses blessures, se réamorce avec toute la violence que cela suppose.
Je danse le miaou
C’est aussi pour cette raison que Couler n’hésitez pas à invoquer une certaine noirceurun sentiment d’abandon cosmique où cette troupe d’animaux n’a plus qu’elle-même à se protéger. Si les plans séquences spectaculaires du film renforcent la lourde menace de raz-de-marée sur notre petite créature poilue (on pense à la tension qu’a su insuffler Alfonso Cuaron Les Fils de l’Homme Et Pesanteur), la sensation de sublime qu’elle capte, à la manière d’un tableau de Caspar Friedrich, impressionne autant qu’elle effraie.
Sans jamais donner de mots ni sans trop anthropomorphiser les animaux, le long-métrage transpose à travers leur regard une forme d’éco-anxiété très contemporaine, un rapport bouleversant à l’Anthropocène malgré la disparition de l’être humain de l’équation. Quelle Terre allons-nous laisser derrière nous ? Quelle sera notre responsabilité dans l’effondrement du monde ? Et quel impact aurons-nous sur les espèces survivantes ?
C’est dans cette terreur existentielle, constamment suggérée par cette nature accablante et les ruines de nos civilisations (superbe passage dans ce qui semble être une ville antique) que Couler captive le plus. Contrairement aux fables de La Fontaine, cette fable axée sur le vivre ensemble, la solidarité et la bienveillance n’a pas besoin de caractéristiques humaines pour exister. C’est même le contraire. C’est peut-être mieux sans nous.