La Croix : état d’urgence déclaré, maisons submergées et habitants évacués… Depuis décembre, les éruptions volcaniques se multiplient dans le sud-ouest de l’Islande. Que se passe-t-il dans ce pays ?
Jacques-Marie Bardintzeff : Toute cette région est volcanique. Lorsqu’on s’y promène, on constate que tout le terrain est composé de roches volcaniques, issues d’éruptions vieilles de plusieurs siècles, voire millénaires. Mais dans cette partie de l’Islande, rien ne s’était passé depuis 800 ans. Les choses ont commencé à bouger en 2020, avec une crise sismique qui a conduit à une éruption en 2021. Depuis, cela ne s’est pas arrêté. Il y a eu une éruption en 2022, deux en 2023, et nous en sommes déjà à la quatrième en 2024.
Cette augmentation des éruptions s’explique par le fait qu’il existe un réservoir de lave profond qui se remplit et se vide régulièrement. Les volcanologues islandais estiment qu’elle contient entre 10 et 20 millions de mètres cubes de lave.
Avant l’éruption du 29 mai, 20 millions de mètres cubes s’étaient accumulés depuis la fin de la dernière éruption le mois dernier. On s’attendait donc à une nouvelle éruption, et elle est arrivée. Il y avait un rideau de lave sur une fissure de 3,4 km de long, cinquante mètres de haut et plusieurs mètres de large. Cette éruption avait un débit très élevé, de l’ordre de 2 000 mètres cubes par seconde. En une journée, 15 millions de mètres cubes ont été libérés, mais depuis, le débit a fortement diminué, l’éruption pourrait donc durer, mais on ne sait pas combien de temps.
Combien de temps pourrait durer cette période d’activité volcanique avec des éruptions fréquentes ?
J.-MB : La vie d’un volcan est comme la vie humaine, mais multipliée par mille. Nous vivons cent ans, lui vit 100 000 ans. Nous dormons huit heures, lui dort 800 ans. Sommes-nous remontés à 800 ans d’activité volcanique ? Nous ne pouvons pas le savoir aujourd’hui. Cette série d’éruptions pourrait s’arrêter, mais elle pourrait aussi durer des années, voire des décennies, voire des siècles. Nous ne le saurons qu’après coup, et si cela dure des siècles, nous ne serons plus là.
Ces éruptions sont-elles dangereuses pour les habitants ?
J.-MB : Grindavík est une ville que je connais bien. C’est un port de pêche de 3 000 habitants qui a dû être évacué. Cependant, ce type d’éruption ne fait pas de victimes, car on a le temps de les voir venir. En revanche, ils causent de gros dégâts matériels : routes coupées, maisons détruites. On a même cru, à un moment donné, que Grindavík allait être inondée de lave. Des barrières ont été installées pour arrêter efficacement la lave. Pour l’instant, avec la diminution de l’intensité de l’éruption, on pense que le pire est passé, même si tout peut arriver.
En termes de risques, les gaz sont également à prendre en compte et selon le vent, ils peuvent menacer certaines zones. Il n’y a aucun risque de mort, mais ils peuvent quand même gêner les gens. Cependant, un scénario à la Pompéi est impossible, car le volcan en question est un volcan de lave. Elle ne projette donc pas de nuages enflammés, comme sur la ville vésuvienne.
De même, une perturbation du trafic aérien dans toute l’Europe est exclue. En 2010, nous avons vécu cela avec le volcan islandais Eyjafjallajökull, car il produisait des panaches de cendres, d’aérosols et de gaz qui s’élevaient sur dix kilomètres. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Le panache ne monte que d’un kilomètre. Il peut y avoir certains risques pour l’aviation locale, mais pas à l’échelle européenne ou mondiale.