Un référendum fourre-tout et qui « ne changera pas les choses »
Dimanche sous haute tension en Equateur. Dans un contexte de violences très tendu combiné à une crise énergétique, qui a conduit le gouvernement à mobiliser la police et l’armée, les électeurs sont appelés à s’exprimer. Le référendum soutenu par le président Daniel Noboa vise à renforcer l’arsenal législatif pour lutter contre la criminalité organisée qui sévit dans le pays. 20 minutes fait le point sur ce vote que le gouvernement équatorien espère crucial avec Jimena Reyes, avocate directrice du bureau Amériques de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
Dans quel contexte se déroule ce référendum ?
Autrefois oasis de paix à côté de la Colombie, le pays a également succombé à la violence des cartels de la drogue. Jimena Reyes situe « le début de cette explosion au début de 2016, lorsque les FARC ont laissé l’espace libre en Colombie ». Le Covid-19 a favorisé cette « reconfiguration des acteurs du marché », avec « le port de Guayaquil de plus en plus utilisé pour exporter de la cocaïne ». Le nombre de meurtres de rue a bondi de 800 % entre 2018 et 2023, et la violence s’est encore intensifiée.
En un an, cinq maires ont été assassinés, dont trois le mois dernier. Début août, le candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, Fernando Villavicencio, a été abattu à la sortie d’un meeting. « Dans ce contexte d’instabilité politique, c’est un inconnu, Daniel Noboa, fils d’un riche homme d’affaires, qui a été élu provisoirement », explique l’avocat. Il situe le « point culminant » des violences au début de l’année, avec l’évasion des dirigeants du cartel des prisons. « Il y a eu des bagarres dans les rues et une prise d’otages sur un plateau de télévision », se souvient-elle. Par ailleurs, l’Équateur est confronté à une grave crise énergétique sur fond de corruption.
Quelles sont les propositions du gouvernement pour lutter contre le crime organisé ?
Le niveau de violence était tel début janvier que Daniel Noboa a déclaré l’état de « conflit armé interne ». Mais « on ne peut pas mettre indéfiniment des soldats dans la rue pour mener des opérations de police, la Constitution ne le permet pas », explique Jimena Reyes. D’où l’idée de ce référendum, qui est l’occasion de « légitimer le maintien de l’ordre par les militaires ». Le texte proposé par Dianel Noboa contient 12 questions « qui partent dans tous les sens, ou plutôt vont très clairement vers un régime sécuritaire et ultralibéral », dénonce le directeur du bureau Amériques de la FIDH.
Au menu donc, une question sur la possibilité pour l’armée de mener des opérations de police, une sur la régulation des armes, une autre sur « faciliter l’appropriation des biens saisis aux cartels » par le gouvernement. Noboa soulève également la question de l’extradition des Équatoriens vers des pays souhaitant les juger pour leurs liens avec le crime organisé. Mais il y a aussi « des questions qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui s’y posent d’une manière très surprenante », comme la possibilité du « recours à l’arbitrage international pour résoudre les conflits commerciaux », aujourd’hui interdit par la Constitution, ou la mise en place d’un d’un contrat « zéro heure » visant à rendre le marché du travail plus flexible. « Il y a une volonté claire de démanteler la Constitution de Correa », analyse l’avocat.
Ce texte peut-il vraiment changer la donne face à l’enracinement des cartels ?
A moyen terme, « ce référendum ne changera pas les choses », estime Jimena Reyes. « Mettre les militaires dans la rue sans avoir une justice qui ait les moyens d’enquêter sur les intellectuels qui organisent les cartels est une solution à court terme », explique-t-elle. Plus généralement, elle dénonce un texte qui ne s’attaque pas au mal à la racine. « Les juges, les policiers et les hommes politiques reçoivent des salaires du crime organisé », note-t-elle.
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Et l’Équateur n’est pas le seul pays concerné. « Il y a une explosion du crime organisé qui se propage en Europe depuis le Covid-19 », selon Jimena Reyes. Elle va plus loin : « Cela fait quarante ans que nous agissons par la répression et cela n’a rien donné. Pourquoi avons-nous une société qui consomme de plus en plus de stupéfiants ? » L’avocat veut proposer une « solution transnationale », où le référendum Noboa « lui permettra peut-être de gagner les élections d’ici un an, mais ne changera rien ».