Dans un rapport publié ce jeudi, l’ECLJ détaille, en s’appuyant sur des images satellites, des disparitions ou destructions inquiétantes de monuments du patrimoine arménien dans cette région, passée sous contrôle azerbaïdjanais en septembre 2023.
Le patrimoine millénaire du Haut-Karabakh est en danger. C’est non seulement la crainte des 100 000 Arméniens qui ont fui leur terre en septembre 2023 après une opération militaire de l’Azerbaïdjan, mais aussi le constat dressé par le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Dans un rapport publié ce jeudi, et que Le Figaro a pu consulter, détaille l’ONG chrétienne internationale« effacement culturel » Bakou a mené des opérations militaires dans cette région désormais sous son contrôle, au moyen d’églises détruites, de croix enlevées et de cimetières vandalisés. Cette politique « effronté et dévastateur (…) utilise à la fois la destruction et le révisionnisme pour effacer l’héritage des Arméniens du Haut-Karabakh », prévient l’organisation basée à Strasbourg.
La région du Haut-Karabakh, peuplée quasi continuellement par les Arméniens depuis l’Antiquité et disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la chute de l’Union soviétique, compte environ 500 sites culturels abritant quelque 6 000 reliques du patrimoine arménien. En 2020, près de 70 % du territoire du Haut-Karabakh était déjà tombé sous le joug de Bakou, au terme d’une guerre de 44 jours. Depuis septembre 2023, date à laquelle l’ensemble du territoire est passé sous contrôle azéri, l’Azerbaïdjan refuse systématiquement aux observateurs étrangers l’accès aux sites culturels, malgré de nombreuses demandes de l’Arménie et des institutions internationales. Ainsi, c’est grâce aux images satellites collectées par des chercheurs et des organisations que l’ECLJ a pu établir un inventaire précis des églises détruites, des statues disparues ou des cimetières vandalisés.
Les églises rayées de la carte
Parmi elles, l’église Saint-Sargis du XVIIIe siècle à Hadrut, détruite en 2022, a vu son terrain dégagé pour ériger un nouveau bâtiment. Le 4 avril 2024, l’église Saint-Jean-Baptiste de Chouchi, endommagée par les bombes azerbaïdjanaises en 2020, a été rasée. Construite en 1847, l’église « chapelle verte » a été complètement rayé de la carte, selon l’ONG Caucasus Heritage Watch, qui s’appuie notamment sur des images fournies par l’université Cornell aux États-Unis.
Une autre forme d’effacement est le remplacement des églises par des lieux de culte musulmans. L’église de l’Ascension à Berdzor, qui« Organisme public de protection des monuments » L’Azerbaïdjan avait proposé de le transformer en mosquée en 2022, mais il a été, vraisemblablement à cette fin, démoli et son terrain a été dégagé.
Certaines églises ont été spécifiquement dépouillées de leurs emblèmes chrétiens. La cathédrale de Chouchi, selon des images diffusées sur les réseaux sociaux azerbaïdjanais, a vu les anges de son portail, ses coupoles et sa croix retirés. Dans l’église de Sourb Sargis, dans un petit village construit au XIIIe siècle, le gouvernement azerbaïdjanais, sous prétexte de rénovations, « rénovation », Des symboles religieux ont été détruits. Deux dalles de pierre polies historiques, décorées d’œuvres d’art chrétiennes et d’inscriptions arméniennes médiévales, ont été brisées, rapporte l’ECLJ. Selon des sources locales, la cathédrale Saint-Jean-le-Théotokos, construite et consacrée en 2019, a également été vandalisée par des Azerbaïdjanais. La croix qui surplombait l’église Vankasar du VIIe siècle à Tigranakert a également été retirée.
Les cimetières, marqueurs culturels
Pour Patrick Donabédian, historien de l’art médiéval spécialiste du Caucase, cette politique azerbaïdjanaise est « la continuation par de nouveaux moyens de la politique de l’Empire ottoman, au XIXe siècle, qui consistait à éliminer toute présence arménienne de la région ». « Cela s’est manifesté tour à tour par l’extermination de la population (le génocide arménien, ndlr), par la destruction de son patrimoine, ou par la réaffectation de ce patrimoine à d’autres. L’objectif étant, après avoir chassé la population, d’empêcher définitivement son retour, et de montrer que les Arméniens sont des étrangers dans ces régions sans aucun droit sur ces terres. ».
Dans cette perspective, les cimetières sont également visés. Ces lieux, qui tiennent une place particulière dans l’identité arménienne très attachée aux ancêtres, avec leurs fameux khachkars, pierres tombales dont les plus anciennes datent du IXe siècle, ont fait l’objet de nombreux actes de vandalisme lors des opérations militaires azéries. Après le départ des derniers Arméniens, le cimetière de Ghuze T’agh près d’Aknaghbyur, datant du XIXe siècle, a été entièrement démoli. Un autre situé près de Vazgenashen, datant du XIVe siècle, qui abritait plusieurs khachkars médiévaux, se trouve dans une zone de construction intensive depuis 2023. Selon des images satellites, une partie importante du cimetière a déjà été détruite, faisant craindre un remplacement par des infrastructures modernes. Dans les cimetières de Ghazanchetsots et de la Porte d’Erevan, construits entre les XVIIIe et XIXe siècles, des bulldozers ont déversé des débris sur les pierres tombales et creusé une route à travers les tombes, fauchant des pierres tombales historiques.
À la lumière de cette série inquiétante, l’ECLJ dit craindre pour l’intégrité des monastères du Haut-Karabakh, qui pourraient être « dépouillés de leur héritage ». « En particulier, le sort du monastère de Dadivank (construit entre le IXe et le XIIIe siècle), du monastère de Gandzasar (construit au XIIIe siècle) et du monastère d’Amaras (construit au IVe siècle) a suscité l’inquiétude de la communauté internationale. »souligne l’ONG.
Le précédent du Nakhitchevan
L’ECLJ rappelle que cette opération d’effacement, qui s’inscrit dans la continuité d’un rapport de force entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis l’époque soviétique, a été observée des deux côtés par le passé. En 1993, lorsque l’Arménie a remporté la première guerre du Haut-Karabakh, entre
Entre 450 000 et 500 000 Azerbaïdjanais ont été expulsés de force de la région et de nombreuses mosquées et sites culturels ont été détruits. L’ONG souligne cependant que « Cette destruction culturelle n’était pas aussi généralisée ni systématique que celle qui a lieu aujourd’hui au Haut-Karabakh ».
L’ONG s’inquiète d’autant plus de l’effacement culturel en cours que Bakou a déjà fait ses preuves dans ce domaine au Nakhitchevan, autre région enclavée située entre la Turquie, l’Iran et l’Arménie, sous autorité azerbaïdjanaise depuis le partage des territoires sous l’ex-URSS. Entre 1997 et 2011, les autorités azerbaïdjanaises ont détruit près de 98 % des monastères, églises et cimetières arméniens médiévaux de cette région historiquement arménienne. « Il y a eu une destruction systématique et totale du patrimoine arménien. C’était monstrueux », a-t-il déclaré. « , précise l’historien Patrick Donabédian. Quelque 89 églises, 5.840 khatchkars et plus de 22.000 pierres tombales arméniennes avaient alors disparu. Dans le cimetière de Djoulfa, vieux de 1.500 ans, la quasi-totalité des 10.000 khatchkars arméniens ont été détruits.
Ces destructions sont un signe inquiétant de perspectives de paix alors que l’Azerbaïdjan et l’Arménie tentent de conclure un traité bilatéral. À Stepanakert, capitale de l’ancienne république autoproclamée d’Artsakh, de nombreux monuments et statues commémorant l’histoire arménienne, dont celle de Charles Aznavour érigée devant le Centre culturel francophone Paul Eluard, ont été détruits ou enlevés. Et les vidéos de la destruction du parlement d’Arstakhian par des bulldozers, qui ont circulé sur les réseaux sociaux, restent dans l’esprit des Arméniens en exil comme un geste chargé de menaces.