un producteur laitier dénonce la réduction des volumes de lait collectés par le géant français
Le numéro un mondial des produits laitiers a annoncé qu’il réduirait, dès fin 2024, les volumes de lait achetés aux élevages français. « Un coup dur » pour ce producteur des Deux-Sèvres, dont l’exploitation familiale livre du lait à Lactalis depuis plus de cinquante ans.
« Nous allons nous faire virer ! » Dans le petit bureau de sa ferme laitière, à Boussais, dans les Deux-Sèvres, Etienne Morin annonce la nouvelle à un voisin venu prendre l’apéro lundi 30 septembre. Lactalis vient de l’informer qu’elle allait résilier son contrat de collecte de lait d’ici un an. « Non ? Tu es sur la liste ? » » demande l’invité, refusant d’y croire. Etienne Morin, son père, et son grand-père avant lui, fournissaient le géant français des produits laitiers depuis plus de cinquante ans. « Licencier ainsi des producteurs est un manque de respect. Lactalis nous a trahis”fulmine l’éleveur de 35 ans.
Dans la campagne environnante, l’annonce de Lactalis a fait l’effet d’une bombe. « Dans le nord du département, ce sont une vingtaine de producteurs qui sont concernés »estime Etienne Morin. C’est également le cas de dizaines d’autres en Vendée et dans le Maine-et-Loire voisin. « Nous ne sommes déjà pas nombreux à faire du lait ici… et ils vont dégoûter les derniers »murmure l’éleveur. Au total, le numéro un mondial des produits laitiers a annoncé qu’il allait réduire sa collecte annuelle « de l’ordre de 450 millions de litres » dès fin 2024. Soit environ 9 % de la quantité de lait achetée en France. Et les premiers concernés sont les producteurs de « Zones Est et Sud Pays de Loire à l’horizon 2026 », précise le groupe dans un communiqué (PDF).
L’annonce est parvenue aux oreilles d’Etienne Morin le jeudi 26 septembre. Le soleil n’est pas encore levé, mais le producteur est déjà dans la salle de traite, comme tous les jours dès 6h30 du matin. « Je n’avais pas dormi de la nuit à cause de la tempête qui avait détruit tout mon maïs »il se souvient. Alors quand il entend la décision de Lactalis à la radio, la matinée devient encore plus sombre.
A peine le temps de téléphoner à quelques collègues du secteur qu’il reçoit à son tour un appel du technicien laitier. « Je me suis dit ‘Oh, ça pue' »commente le producteur laitier. « Il vient de nous informer que le contrat allait prendre fin. Qu’ils ne s’intéressaient plus au lait de notre filière. En quelques minutes, l’affaire est close. Etienne Morin cherche les mots pour décrire sa réaction. « Un marteau », « scotch ».
« Certains disent que c’est comme être licencié… mais c’est bien pire ! Nous ne recevons rien et nous avons les prêts agricoles à rembourser. »
Etienne Morin, producteur laitiersur franceinfo
Il n’a pas fallu longtemps pour qu’un deuxième appel arrive. Cette fois-ci, c’est le responsable des approvisionnements de la région Ouest de Lactalis qui est en ligne. « Il nous dit qu’ils vont faire appel à un cabinet externe pour trouver des solutions pour nous »explique l’agriculteur, sans avoir l’air d’y croire. Malgré la colère, Etienne Morin n’est pas du genre à hausser le ton au téléphone. « C’était franc, mais je suis resté calme. Le gars au téléphone m’a dit qu’il avait été insulté.il raconte.
Dans son communiqué, publié le 25 septembre au soir, Lactalis assure que cette décision « difficile » sera « progressif entre 2024 et 2030″. Mais le compte à rebours est déjà commencé pour Etienne Morin. Le camion citerne du groupe ne passera plus d’ici fin novembre 2025. Un bouleversement pour cette exploitation familiale, bordée par les maisons de l’éleveur, de ses parents et de ses grands-parents, au coeur du village..
Depuis plus de cinq décennies, les trois générations d’agriculteurs ont vu passer le collecteur du groupe tous les trois jours. Et en quelques années, le trentenaire a fait passer sa production annuelle de 730 000 litres de lait à 1,3 million de litres. « Nous avons été poussés à intensifier nos opérations pour couvrir nos coûts »explique Étienne Morin. Avec le premier produit laitier comme acheteur, l’éleveur se croyait à l’abri des aléas : « On voit beaucoup de petites coopératives qui ont parfois des problèmes, mais on s’est dit : ‘Ce n’est pas demain que Lactalis va fondre’. »
Il s’agissait de prendre en compte la nouvelle stratégie de l’entreprise, dont le siège historique est situé à Laval (Mayenne), à moins de 200 kilomètres de l’exploitation. Le groupe avait déjà prévenu qu’il envisageait de réduire la production globale de lait. « Nous étions déjà tout au sud de leur bassin laitier, et maintenant ils nous disent que nous sommes trop loin »explique, fataliste, l’éleveur, dont le lait est envoyé à la laiterie de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, pour y être transformé en poudre. « Je pensais que cela arriverait un jour… mais pas si tôt. »
L’entreprise estime qu’il est nécessaire « se recentrer sur les produits de consommation français, mieux valorisés car moins soumis aux aléas des marchés mondiaux ». Fini les produits industriels vendus sur les marchés de « produits laitiers »comme du lait en poudre. Ces denrées seraient trop soumises aux aléas des prix mondiaux.
« Lactalis pense en termes de rentabilité. Ils aiment toutes les industries qui se délocalisent hors de France.
Etienne Morin, producteur laitiersur franceinfo
D’ici un an, Etienne Morin devra tout changer pour pouvoir survivre. Recyclage? « Impossible »l’éleveur décide clairement : « Avec les prêts, nous ne pouvons pas… et nous aimons notre métier ! Malgré des négociations difficiles sur le prix du lait et le mouvement de colère des agriculteurs en début d’année, « nous étions fiers de travailler pour Lactalis »assure le trentenaire.
Après des années de combat, Lactalis a fini par annoncer, au printemps, une nouvelle formule de calcul du prix du lait, prenant en compte un « prix de revient agricole »c’est-à-dire l’estimation de ce qu’un éleveur doit recevoir pour gagner sa vie. Résultat : le lait produit par Etienne Morin lui est actuellement acheté 437,80 euros les 1 000 litres. « Ce n’était pas trop mal. Nous pensions continuer avec Lactalis. »commente l’éleveur, qui associe désormais tout au passé. Au supermarché, il a également arrêté d’acheter les fromages Président, l’une des marques les plus connues du groupe Lactalis.
Il est désormais à la recherche d’un nouveau collectionneur. « Il faut rebondir, on n’a pas le choix »murmure-t-il après avoir enlevé sa combinaison de travail. Dans son viseur : une coopérative qui produit du beurre AOP Charentes-Poitou. « Mais leur cahier des charges est beaucoup plus strict, il va falloir investir davantage et cela risque de nous déstabiliser »hésite le producteur.
Tout son projet de vie est bouleversé par la décision de Lactalis. « Nous souhaitions également installer deux robots de traite pour gagner un peu de confort de vie » explique l’éleveur en touchant ses épaules, déjà abîmées par des années de traite manuelle. Mais il est désormais impossible d’être sûr de disposer d’une trésorerie suffisante pour cet investissement coûteux.
Etienne Morin n’est pas le seul à être balayé par la volte-face de Lactalis. Dans la salle de traite, son petit frère, Victor, pourrait aussi en faire les frais. Le jeune agriculteur envisageait de s’installer sur la ferme en 2027. Mais il s’interroge : « Allons-nous pouvoir faire ce que nous avions prévu ? Y aura-t-il encore de la place pour tout le monde ici une fois Lactalis parti ? »