Un procès pour le cas « extraordinaire » de violences sur enfants placés
Il s’agit d’une affaire « inhabituelle par son ampleur » mais révélatrice des « déficiences considérables et récurrentes du système de protection de l’enfance » (ASE), résume l’avocat Jean Sannier. Il défend l’association Innocence en danger et au moins cinq victimes dans le procès de dix-neuf personnes accusées de maltraitance sur une vingtaine d’enfants placés, qui s’ouvre lundi à Châteauroux (Indre).
Parmi ces prévenus, Julien M. et Bruno C. portent à leur encontre la plupart des accusations de violences. Entre 2013 et 2017, des dizaines d’enfants suivis par les services sociaux, peut-être jusqu’à une centaine, ont été envoyés à l’association « Enfance et Bien-être » créée par Julien M., alors que cette dernière n’avait pas l’agrément nécessaire pour s’en occuper. des mineurs sans famille. Trois ans plus tôt, les parents de Julien M., Colette M. et Antoine M., ont perdu leur droit d’accueil de ces jeunes après la condamnation du père pour agression sexuelle sur enfants placés » mais ils continueront à prendre en charge via l’accueil de leur fils association », assure Jean Sannier.
D’autres familles d’accueil, en Indre, en Creuse et en Haute-Vienne, assistent Julien M., elles aussi en toute clandestinité, révélait Radio France en septembre dernier. Des personnes « en difficulté » qui servent de sous-traitants à l’entreprise de Julien M., selon l’un des prévenus qui s’est confié sur parisien.
Des violences insupportables
Julien M., est rapidement rejoint par un certain Bruno C. Les enfants sont envoyés par l’ASE du département du Nord dans la structure censée être à but non lucratif. Les deux hommes « profiteront de cette aubaine pour déchaîner leur violence sur ces enfants, donnant des coups de pied, des coups de poing, des fouets, mettant la tête dans les toilettes et tirant la chasse d’eau », précise l’avocat. Des médecins crapuleux ou de fausses prescriptions leur ont permis de soigner lourdement les jeunes avec des « médicaments pour chevaux », ajoute l’avocat.
« Julien nous a très mal parlé, il nous a dit : ‘Je vais te casser les genoux…’ J’avais tellement peur que, la nuit, je n’osais pas descendre au rez-de-chaussée pour aller au toilettes, je l’ai fait sur moi », raconte Karl, aujourd’hui âgé de 19 ans, parisien. Un autre jeune, Antoine, se souvient s’être « noyé dans la piscine » au point d’avoir l’impression de « s’en aller », au bord de « perdre connaissance ». Mathias, 22 ans, parle de coups de fouet mais aussi de scènes particulièrement humiliantes. Julien M. « m’a mis les doigts sous la gorge, il a essayé de me soulever. Il a baissé mon pantalon que j’ai immédiatement remonté. Puis il a baissé le sien avant de me pisser dessus », raconte-t-il à Radio France. Des faits que les deux amis n’ont pas contestés devant les enquêteurs.
C’est par l’intermédiaire de Mathias que l’affaire a finalement éclaté, mettant fin au calvaire de ces dizaines de jeunes en souffrance, « abandonnés par leurs parents, puis abandonnés par la justice », dénonce Me Sannier. En 2017, alors qu’il n’a pas encore 15 ans, Mathias est transporté au CHU de Limoges par Julien M. qui affirme être tombé en faisant du vélo. L’adolescent est resté dans le coma pendant six jours avant de se réveiller et se souvient avoir été frappé comme si « sa tête était un ballon de football », rapporte son conseil. Il supplie de ne plus être remis à l’homme qui l’a déposé. Alerté, le personnel médical a exprimé ses réserves auprès des autorités qui vont ouvrir une enquête. C’est le début de la fin pour ces jeunes traumatisés, pour la plupart désormais adultes et dispersés à travers la France. Mais il faudra attendre sept ans pour un procès auquel certains n’ont même pas les moyens d’assister. Si dix-neuf victimes ont été identifiées, seule la moitié sera jugée. C’est pourquoi l’avocat a ouvert une cagnotte Leetchi, permettant à ces jeunes de se rendre pendant quatre jours à Châteauroux et de témoigner à la barre.
Grands absents au procès
Durant ces sept années de maltraitance, Julien M. et Bruno C. ont empoché au moins 630 000 euros selon la procédure, une somme « plus proche du million », selon les calculs de Jean Sannier. Argent versé directement par l’ASE du Nord, malgré avoir été alerté à au moins quatre reprises des abus subis. « L’ASE connaissait parfaitement les conditions d’accueil de ces enfants et n’a volontairement pas bougé le petit doigt », a déclaré l’un des avocats de la défense interrogé par Radio France. Or, l’ASE du Nord n’est pas citée à comparaître ni à témoigner, s’étonne Jean Sannier, selon qui « en ignorant, en ne voulant pas entendre, elle a permis ces violences, ce que les deux prévenus ont appelé des « recadrages » ». Autre malentendu : la non-poursuite de certains actes comme le « travail forcé sur mineurs » ou les « violences sexuelles ». Deux questions qui devraient occuper les débats dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Châteauroux.
Placer les enfants sans être trop exigeant sur la destination, « ce n’est malheureusement pas exceptionnel », selon Françoise de Gouville, directrice de la prévention et du développement social du département de l’Indre. « Beaucoup de départements importants qui manquent de places ont tendance à envoyer les enfants dont ils ont la charge dans d’autres départements sans être suffisamment prudents et respectueux de la réglementation », explique-t-elle à Radio France.
L’affaire dramatique pour ces enfants révèle finalement les failles « endémiques bien connues » du système de protection de l’enfance, estime Jean Sannier. Ces placements dans des structures ou des familles non agréées « sont extrêmement fréquents », concède aussi Kim Reuflet du Syndicat de la magistrature à Radio France, alors que le nombre d’enfants à placer augmente quand le nombre de places ne cesse de diminuer.