Un poignard vieux de 3 600 ans réapparaît en Méditerranée, aux côtés d’une fascinante civilisation de l’âge du bronze
« Un secret vieux de 3 600 ans a été révélé dans les profondeurs de la Méditerranée »a déclaré sur ses réseaux sociaux le ministre turc de la Culture et du Tourisme, Mehmet Nuri Ersoy, dans un post daté du 29 août 2024. Il commentait alors la récente découverte faite par l’université turque d’Akdeniz, lors des fouilles sous-marines d’un navire échoué au large de la province d’Antalya. Celle d’un poignard en bronze corrodé de 18 centimètres, décoré de rivets en argent. Pourtant, les spécialistes l’associent à la civilisation minoenne aujourd’hui disparue, dont l’influence a façonné une grande partie du monde méditerranéen durant l’âge du bronze.
Témoins de la « première civilisation européenne »
Le fascinant poignard a été retrouvé dans le cadre d’un projet archéologique au large des côtes du district de Kumluca (sud-ouest de la Turquie), qui a débuté en juillet 2019 sous la direction du Dr Hakan Öniz, professeur associé du département de conservation et de restauration des biens culturels de l’université d’Akdeniz. L’épave découverte sur le site « est un candidat pour devenir l’une des découvertes les plus importantes non seulement pour l’archéologie sous-marine turque, mais aussi pour l’archéologie sous-marine mondiale »avance le ministre Ersoy dans sa publication.
Des relevés au sonar et des photogrammétries ont permis d’éclaircir le sort du navire. Des analyses approfondies de son chargement ancien, des lingots de cuivre indispensables à la fabrication du bronze, le datent d’entre 1500 et 1600 avant J.-C. Les experts supposent donc que le bateau, venu des montagnes du Troodos à Chypre, a coulé lors d’une tempête il y a 3 600 ans alors qu’il faisait route vers la Crète.
L’île méditerranéenne était le foyer des Minoens, dont la civilisation, considérée comme la première avancée en Europe, a prospéré de 3000 av. J.-C. à 1100 av. J.-C. L’époque du naufrage correspond même à celle de son apogée, marquée par des réalisations architecturales monumentales et des œuvres d’art raffinées que les archéologues ont révélées au cours des deux derniers siècles. Le grand palais de Cnossos, en particulier, dont l’architecture complexe et les 1 300 pièces sur 22 000 mètres carrés ont inspiré le mythe du labyrinthe du Minotaure.
Le patrimoine culturel et linguistique des Minoens
La civilisation minoenne a également fortement influencé la civilisation mycénienne, qui a émergé sur le continent grec entre 1700 et 1100 av. J.-C., à la fin de l’âge du bronze – et y a laissé une empreinte durable. Architecture, urbanisme, art, iconographie… Les Mycéniens ont adopté (et adapté) de nombreux éléments de la culture minoenne, avec laquelle ils ont étroitement interagi. Après s’être concentrés sur la cité antique de Mycènes (Péloponnèse), les premiers ont fini par s’emparer des îles voisines, dont la Crète, supplantant ainsi les seconds.
Le lien entre les deux groupes s’étendrait également au domaine de l’écriture. Le linéaire A, un système de type hiéroglyphique utilisé en Crète, reste à ce jour indéchiffré, laissant planer un voile de mystère sur la langue et les écritures minoennes – même si des projets semblent en cours. En revanche, le linéaire B, apparemment dérivé par les Mycéniens du linéaire A, a été déchiffré au XXe siècle… et s’est révélé être une forme ancienne du grec. Une découverte qui nous a permis d’approfondir notre compréhension des pratiques administratives et économiques des Égéens.
Maîtres des mers et artisans de l’âge du bronze
Pour revenir aux côtes de Turquie, les Minoens étaient aussi d’habiles marins à leur époque, commerçant à travers des réseaux complexes dans toute la Méditerranée, carrefour de civilisations antiques. Ils rencontrèrent ainsi d’autres cultures importantes de l’époque, en Égypte, en Grèce, à Chypre ou en Syrie, échangeant et repartant avec de nombreuses marchandises sur leurs navires. Les recherches suggèrent même que leur influence aurait pu s’étendre jusqu’à l’Asie Mineure à l’est, jusqu’à la péninsule Ibérique à l’ouest.
La découverte du poignard ajoute une pièce précieuse au puzzle historique, reliant les objets matériels aux pratiques culturelles de cette civilisation sophistiquée de l’âge du bronze. Elle rappelle également le savoir-faire des Minoens dans de nombreuses disciplines, des fresques à la poterie en passant par la joaillerie… jusqu’au travail du métal complexe et aux armes finement ouvragées, dont certaines parviennent à nos yeux plus de trois millénaires après leur conception.
Je remercie les équipes de l’Université d’Akdeniz et du Département turc des fouilles et de la recherche pour leur travail minutieux visant à mettre au jour les traces de civilisations cachées dans les profondeurs de la Méditerranée. – Le ministre turc de la Culture et du Tourisme, Mehmet Nuri Ersoy
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